En vingt ans, depuis les premiers cas notifiés
en 1984, le Sida en RCA a ravagé insidieusement toutes les couches
socio-professionnelles. Les chiffres sont effroyables, l'infection
à VIH est un problème extrêmement grave qu'on ne peut résoudre par
des solutions simplistes.
Pour Jean Firmin Fesseramitia, spécialiste de la formation/Communication,
"le Sida, qui était considéré comme un problème de santé publique,
puis un problème de développement au regard de l'impact sanitaire
socio-économique, est désormais devenu un problème de survie de
la population pour lequel des actions urgentes et efficaces doivent
être engagées". L'ancien président Ange Félix Patassé avait déclaré
dans un discours : "Si l'on ne le maîtrise pas rapidement, le Sida,
cette bombe à retardement, décimera d'ici une décennie toutes les
couches sociales valides". Malgré une mobilisation importante des
O.N.G.1, des associations, des O.A.C.2, du
gouvernement, l'épidémie de Sida ne montre aucun signe de fléchissement.
Le nombre d'infections et de décès dus au VIH continue son ascension.
Quel est l'ampleur du mal ? Quelles en sont les causes ? Quelles
formes prend-il ? Y a-t-il un espoir ?
L'ampleur du problème
Les rapports de l'ONUSIDA et de l'Institut Pasteur de Bangui sur
le Sida en Centrafrique sont alarmants. Le taux de séroprévalence,
qui était de 2,6% en 1985, a atteint 13,84% en 1999 dans la tranche
d'âge 15-49 ans. Pour 2001, l'ONUSIDA estime le nombre de personnes
vivant avec le VIH/Sida à 130 000 femmes, 90 000 hommes, et 30 000
enfants. À 22 000 le nombre de décès, et à 110 000 le nombre d'orphelins
du SIDA. Pour 2002, le chiffre de 12,9% d'adultes infectés est publié3.
Dans les services de médecine générale, deux tiers des lits d'hôpitaux
sont occupés par des sidéens adultes. L'infection à VIH a occasionné
la recrudescence de la tuberculose, qui reste depuis 1996 la première
cause de mortalité en milieu hospitalier. 78% des tuberculeux sont
séropositifs.
Le système éducatif n'est pas épargné : 85,71% des décès d'enseignants
de cause connue étaient liés au VIH en 1996-1997. Cette situation
a entraîné comme conséquences immédiates, selon le Dr Marie-Christine
Sepou Yanza Awa, conseillère en matière de VIH/Sida à l'OMS, "l'indisponibilité,
le déficit en enseignants, des années d'expérience et de services
perdus". Les décès liés au Sida créent des frustrations psychologiques
et émotionnelles dans les familles affectées. "L'impact social demeure
ressenti par la famille. La chronicité de la maladie entraîne des
effets néfastes tant sur le plan émotionnel que sur le plan financier,
surtout sur les membres de la famille de la personne infectée",
dit le Dr Sepou.
La dernière cartographie de l'infection à VIH réalisée entre novembre
2001 et octobre 2002 par l'Institut Pasteur estime le taux de prévalence
à 15% chez les femmes enceintes et à 18% chez les femmes en population
générale. "Les prévalences médianes à Bangui, la capitale, et en
province, sont du même ordre de grandeur chez les femmes enceintes,
alors qu'elles sont plus élevées en province qu'à Bangui chez les
femmes en population générale", indique le rapport de la cartographie.
L'infection est plus répandue dans les zones rurales qu'en ville.
Les prévalences les plus élevées sont relevées dans les zones enclavées
ou reculées comme Zémio (27,1%) et Amdafok (28%). Mais, pour le
Centre d'IEC4 pour la Santé Sexuelle des Jeunes (CISJEU),
ces chiffres ne traduisent en rien la situation réelle de la prévalence
de l'infection, si l'on tient compte du faible niveau d'accès des
populations aux services de santé en raison de leur éloignement
des établissements de soins et, surtout, de l'indisponibilité des
services de dépistage au niveau des formations sanitaires périphériques.
L'accès à un service de dépistage demeure le privilège d'une partie
de la population essentiellement constituée des habitants de certaines
grandes villes.
Les causes
André Samba, spécialiste en IEC, soutient que la forte et rapide
progression de l'infection à VIH/Sida s'explique par une combinaison
de facteurs convergents tels que la pauvreté accrue des ménages,
les comportements sexuels à risque, la persistance de certaines
pratiques traditionnelles néfastes à la santé de la femme, et certaines
insuffisances propres au système de santé.
Le retard désespérant pris par la RCA dans la campagne d'information
et de sensibilisation a mis et continue de mettre en danger la population,
son développement et son avenir. "Des programmes efficaces de prévention
du VIH doivent être massivement élargis si nous voulons avoir une
chance réaliste de réduire le nombre de nouvelles infections", dit-il.
Des réponses en dents de scie
Entre 1987 et 1999, le gouvernement centrafricain a entrepris des
actions de lutte contre le fléau visant à apprécier le niveau de
connaissances de la population de Bangui en matière de VIH/Sida
ainsi que les attitudes et pratiques face à l'épidémie, et cherchant
à réduire la transmission du VIH/Sida et l'impact de la maladie
sur la morbidité et sur l'économie. Mais, constate Jean-Firmin Fesseramitia,
"Les résultats de ces actions n'ont pas pu infléchir la courbe,
puisque l'on note un accroissement constant de la maladie". Le VIH
a augmenté d'une manière vertigineuse.
Face à ces performances mitigées, l'État a mis en place une planification
stratégique qui devrait identifier et hiérarchiser les actions prioritaires
pouvant renforcer la réduction de l'impact de l'épidémie. Le 26
janvier 2001 est créé le Comité National de Lutte contre le Sida
(CNLS) dont la présidence est octroyée au président de la République
et la vice-présidence au Premier ministre. Ce comité mettra en place
le plan cadre stratégique de lutte contre le Sida avec quatre domaines
prioritaires :
- renforcement de la prévention,
- comblement du manque d'information,
- renforcement de la prise en charge psycho-médico-sociale,
- et mise en place des domaines transversaux (recherche, cadre
juridique, coordination/décentralisation, suivi-évaluation).
Le ministère de la Santé Publique et de la Population se préoccupe
des femmes enceintes en lançant en 2000 le Programme Transmission
Mère?Enfant (PTME) afin de réduire de 35% le taux de transmission
materno-infantile du VIH parmi les femmes enceintes séropositives.
Ce projet, financé par l'ONUSIDA et exécuté par l'UNICEF, a pour
objectif, selon le Dr. Hyacinthe Lao Koutouyombo, Coordonnateur
national du programme, de "contribuer à la réduction de la transmission
du VIH de la mère à l'enfant en République Centrafricaine par le
développement d'un service de dépistage/conseil et un système de
prise en charge des femmes enceintes séropositives intégrés aux
services de Santé Maternelle et Infantile". Le projet ne couvre
cependant pas la totalité du pays. Seule la capitale Bangui et les
villes périphériques Bégoua, Bimbo et Mbaïki, en bénéficient. Le
ministère de la Santé compte, dans un proche avenir, étendre le
PTME à tout le pays. "Devant l'ampleur du problème que constitue
le VIH/Sida en général et la transmission de la mère à l'enfant
en particulier, il est tout à fait justifié de passer du stade de
projet pilote cantonné à Bangui, à un programme national couvrant
toute l'étendue du territoire", dit le Dr. Lao Koutouyombo.
Le projet C.A.F., bailleur de fonds des O.N.G.
Le projet C.A.F. est un accord de programme pour trois ans entre
le PNUD et le gouvernement centrafricain. Il a pour objectifs la
redynamisation des organes de concertation et de coordination de
la lutte contre le VIH/Sida en RCA, la réduction des comportements
sexuels à risque par des actions d'IEC au sein de la population,
l'amélioration des connaissances sur l'impact socio?économique du
VIH/Sida, et la réduction de son impact socio?économique. "Les stratégies
de mise en œuvre du programme ont été élaborées en fonction des
groupes cibles qui sont les pouvoirs publics, la société civile
et le secteur privé, les prostitués, les jeunes et les femmes ainsi
que les personnes vivant avec le Sida", explique André Samba, chef
du projet.
Ce projet (1 140 000 dollars, dont 990 000 financés par le PNUD
et 150 000 par le gouvernement) ne couvre pas, lui non plus, toute
l'étendue du territoire. Une infime proportion en bénéficie : les
préfectures de Bambari, Mobaye, Bouar, Berbérati et la ville de
Bangui dans les 2e, 5e, 6e et 7e arrondissements. Le projet C.A.F.
travaille aujourd'hui avec 107 O.N.G., O.A.C. et associations de
de lutte contre le Sida.
Nombre de partenaires
bénéficiant de l'appui du CNLS |
O.N.G.
Médias |
O.A.C. |
Associations d'artistes |
Bangui |
24 |
10 |
4 |
Nana-Mambéré |
9 |
47 |
0 |
Mambéré-Kadéï |
13 |
0 |
0 |
Le nouveau financement du Fonds mondial de lutte contre le Sida,
la tuberculose et le paludisme, d'un montant total de 25 090 594
dollars sur cinq ans, servira au dépistage volontaire gratuit et
à une prise en charge des personnes vivant avec le VIH/Sida. Même
si avec ces programmes la riposte s'améliore, elle reste cependant
bien en deçà des besoins.
Accès au traitement : ce n'est pas demain la
veille...
Moins de 200 personnes, toutes résidant à Bangui, ont actuellement
accès au traitement anti-rétroviral. Par manque de médecins prescripteurs
en nombre suffisant, les malades de province n'y ont pas accès.
Le colonel Jean-Bertrand Wata, directeur du futur centre de traitement
ambulatoire de Bangui (CTA), suggère aux malades de province de
venir à Bangui se faire soigner. Mais le coût de traitement du Sida
reste encore très élevé. "Les traitements varient de 22 800 à 90
000 F CFA par mois", annonce le colonel Wata. Le prix de la trithérapie
est fonction des revenus. "Tout le monde n'a pas le même revenu
donc il y aura des subventions à certaines personnes vivant avec
le VIH/Sida pour leur permettre d'avoir accès au traitement au même
titre que tout le monde", informe-t-il.
Les traitements
anti-rétroviraux en RCA |
Pour la RCA, en 2001, plusieurs actions ont été
menées dans le cadre de l'accès au traitement
:
- la mise en place d'une structure nationale de coordination
de l'accès aux ARV,
- la signature de conventions avec différentes firmes
pharmaceutiques (MSD, CIPLA, GSK) dans le cadre de l'initiative
ACCESS
- le développement de partenariat avec les institutions
hospitalo-universitaires (Hôpital européen
Georges Pompidou, Hôpital Necker de Paris, le réseau
ville-hôpital d'Orléans, les ONG (Hanuman,
Croix-Rouge française) et les laboratoires pharmaceutiques
(Fondation Glaxo Wellcome) dans le projet de jumelage nord-sud
denommé Esther.
L'importation et la distribution des ARV est assurée
par l'unité de cession médicale (UCM) et Centrapharm.
Concernant la tarification du traitement, un système
de recouvrement des coûts est appliqué en fonction
du revenu du patient.
Le protocole utilisé par le PTME est la Névirapine
monodose donnée à la mère au début
des contractions et à l'enfant dans les 72 heures suivant
la naissance.
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Une O.N.G. japonaise, Amis d'Afrique, prend en charge quelques
séropositifs de Bangui et des villes périphériques en leur donnant
des soins infirmiers de qualité, un supplément alimentaire et un
appui financier pour encourager les personnes vivant avec le VIH/Sida
à se prendre en charge en exerçant des activités génératrices de
revenus.
Même si aujourd'hui les traitements sont presque inaccessibles et
si les moyens financiers manquent, il existe cependant un espoir
: il réside, affirme André Samba, dans une mobilisation tous azimuts
de la communauté.
Prospert Yaka Maïde
Lire l'article original : http://www.ideesplus.com/SPIP/article.php3?id_article=108
1 Organisation Non Gouvernementale
2 Organisation à Activité Communautaire
3 Estimation ONUSIDA (AIDS Epidemic Update 2002)
4 Information, Éducation, Communication
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