Technicien à l'Office national des télécommunications (ONATEL),
Joseph Moussa Kafando est connu de son entourage, comme un guérisseur
de talent. Réservé, l'intellectuel tradithérapeute accepte parler
ici, non seulement de ses recherches en médecine traditionnelle,
mais également de son vœu de voir les guérisseurs vendre leurs produits
à des prix abordables pour les plus démunis et aussi, des limites
des structures de promotion et de protection de notre médecine traditionnelle.
Le talent de ce technicien-guérisseur a été consacré en 2000 par
l'Organisation africaine pour la propriété intellectuelle (OAPI)
qui lui a délivré un brevet pour la qualité d'un de ses produits.
Enrégistré sous le label de "Mikri", dont le sens est "aigreurs"
en mooré, le produit est un "curatif du tube digestif", déclare
son concepteur.
Présenté sous forme liquide, le produit traite les ulcères. "Il
a l'avantage non seulement de cicatriser les lésions du tube digestif,
mais il reste aussi un sédatif rapide et très puissant des ulcères,
même pendant les crises les plus fortes", explique Kafando. Il a
réussi à faire breveter son produit grâce au soutien de l'OAPI dont
la subvention a permis de mener les travaux de laboratoire nécessaires
avant toute acceptation.
Toutefois, Kafando révèle posséder les remèdes de 6 maladies en
tout, mais il a opté de faire breveter un seul, par prudence. Critique,
cet intellectuel ayant une formation d'homme de sciences, a entrepris
ses recherches dans le souci de trouver des médicaments aux maladies
que la médecine moderne n'arrive pas à traiter convenablement.
Au nombre de ces maux dont souffrent les Burkinabè et devant lesquels
les médicaments modernes restent inefficaces, figurent les ulcères
de l'appareil digestif, le Zona, l'asthme, l'insuffisance rénale.
A la question de savoir pourquoi protéger un seul médicament et
pas les autres, Kafando répond que "c'est par prudence".
A son avis, le brevet de l'OAPI présente une protection limitée.
Pour cause, tous les pays africains n'ont pas adhéré à la structure
et ne se sentent pas l'obligation de protéger les produits déclarés.
De plus, la protection de l'OAPI ne couvre pas l'Europe et l'Amérique,
de sorte qu'un produit africain peut être piraté par les firmes
pharmaceutiques desdits continents. Telles sont les raisons qui
incitent le technicien-guérisseur burkinabè à la prudence. Il attend
de voir le sort qui sera réservé à "Mikri" avant de dévoiler ses
autres recettes.
La médecine traditionnelle doit rester à la
portée des plus démunis
Pour l'heure, le combat de Kafando est centré sur la mise à disposition
de ses remèdes à la portée de la frange la plus démunie. "Le traitement
de certaines maladies dans les formations sanitaires coûte souvent
plus de 100 000 F CFA", déplore-t-il avant d'ajouter qu'avec une
somme dérisoire, la médecine traditionnelle peut offrir aux malades,
de meilleurs soins.
Il convie les autres guérisseurs à ne pas se laisser entraîner par
le gain facile au détriment de leur mission sociale qui est de soulager
la population en tenant compte de ses réalités matérielles. Il a
de même, invité à la prudence par rapport à la tendance de la médecine
traditionnelle à exposer ses produits à la curiosité du monde occidental
qui peut les en dépouiller.
"Une fois la composition de la recette mise à nu, le même produit
sera récupéré et vendu par les grandes firmes à des prix inaccessibles
aux populations", a-t-il mis en garde. Loin d'être contre les tentatives
de moderniser les recettes traditionnelles africaines, Kafando invite
plutôt à prendre des précautions pour passer à l'étape désirée,
sous forme d'initiatives africaines concertées et d'envergure sous-régionale.
Venu à la médecine traditionnelle par curiosité intellectuelle,
Kafando dit recueillir toujours l'avis du monde médical moderne
parmi lequel il compte des amitiés. Réalisant lui-même le diagnostic
du malade, il le fait toujours confirmer par des analyses médicales,
confie-t-il.
"Une des insuffisances de la médecine moderne face au traitement
des hémorroïdes est liée au fait que cette médecine soigne les manifestations
externes du mal sans en traiter les causes réelles", a-t-il fait
remarquer. Or, pour le guérisseur africain, le malade guérit parce
que le traitement allie aussi bien les soins externes que ceux internes
que sont les ballonnements, les constipations, facteurs des protubérances
annales se manifestant physiquement.
Né à Ziniaré en 1951, le technicien-guérisseur se dit convaincu
qu'un bon tradithérapeute doit être un spécialiste plutôt que de
prétendre soigner toutes les maladies. "Il doit viser l'efficacité
et dépouiller ses recettes de tout mysticisme", a-t-il souligné.
Il dit avoir pris goût à la recherche de la médecine traditionnelle
en observant sa mère apporter le réconfort à des malades souffrant
d'hémorroïdes en les soignant à partir d'un remède présenté sous
forme de boule.
Un bon guérisseur doit être un spécialiste de
maladies
Dans ses efforts pour percer les secrets de la guérison de ces
malades, Kafando a amélioré la recette maternelle en lui associant
des produits contre les troubles causant la maladie même. De ce
premier succès, sa curiosité s'est transformée en défi : soulager
les malades souffrant d'ulcères de l'appareil digestif et d'autres
maladies contre lesquelles les remèdes modernes sont inefficaces.
Ses efforts sont couronnés aujourd'hui par la maîtrise de 6 médicaments
portant des noms tirés du mooré et relatifs à la maladie traitée
dont "Mikri".
Joseph Moussa Kafando est membre d'une association dénommée "Leckre"
qui vend des plantes médicinales, fait des consultations, soigne
et s'adonne à l'écologie. Kafando affirme que la médecine traditionnelle
doit être dépouillée de son aspect mystique pour servir efficacement
les malades. "Elle ne doit pas être un bien familial qui se lègue
sous forme d'héritage", "mais est à la portée de tous ceux qui s'y
intéressent", précise-t-il. Convaincu que cette médecine relève
du patrimoine national, il s'insurge contre ceux qui renchérissent
les médicaments traditionnels. Assurément Kafando invite, par son
comportement, les intellectuels à l'action pour la sauvegarde du
patrimoine dans ses différents aspects.
Oumarou Saïdou CAMARA
Lire l'article original : http://www.sidwaya.bf/sitesidwaya/sidawaya_quotidiens/sid2004_17_04/sidwaya.htm
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