Selon une étude réalisée par une équipe de dermatologues à Bobo-Dioulasso,
sur 100 femmes, 50 utilisent des produits dépigmentants. En effet,
il devient de plus en plus rare de rencontrer dans les artères de
la ville des femmes au teint noir ciré, satiné ou tout simplement
au teint naturel. Mais qu'est-ce que c'est que la dépigmentation
et quelles en sont les conséquences ? Le Docteur Andonaba, dermatologue
et vénérologue au CHU-SS de Bobo-Dioulasso, répond.
La dépigmentation a pris tellement d'ampleur qu'elle est devenue
le troisième problème de santé publique au Burkina après le paludisme
et les maladies respiratoires, affirme le Docteur Andonaba. Par
définition, c'est l'usage de produits dans le but de s'éclaircir
la peau. Cet éclaircissement se fait par la destruction de petites
cellules existant sous la peau. Ce sont ces cellules, appelées mélanines
qui produisent du pigment noir et protègent la peau contre les rayons
solaires et les cancers de la peau. Alors pourquoi cet engouement
des femmes à s'éclaircir la peau et à la fragiliser ainsi ?
Pour le Dr Andonaba, l'utilisation de ces produits dépigmentants
remonte à 38 ans dans le monde et à 25 ans en Afrique. Le phénomène
a commencé en Afrique de l'Est et a atteint progressivement les
autres parties du continent. Et jusqu'à nos jours, les raisons de
cette pratique n'ont pas pu être définies exactement. On pourrait
penser à "un complexe de la peau noire" vis-à-vis de la peau blanche.
Mais en ce qui concerne le Burkina, il ressort que c'est un désir
de séduction qui ne dit pas son nom car, les femmes ont tendance
à croire (et certains hommes les y encouragent) que seule la femme
au teint clair a de la valeur. Les causes du phénomène restent complexes
et sont fonction de chaque milieu en ce sens que des Noirs, qu'ils
soient Africains, Américains ou Européens se dépigmentent. Pour
les produits incriminés, le Dr Andonaba cite les corticoïdes qui
sont les plus prisés. Ce sont des produits utilisés en médecine
pour traiter des cas graves d'allergie, de choc hémorragique, etc.
Mais ayant découvert que ces produits dépigmentent, les gens en
font un usage abusif, dangereux pour leur santé. Les corticoïdes
sont très souvent utilisés sous forme injectable et les femmes qui
en font usage trouvent que ce sont les plus rapides et les plus
efficaces.
Les produits cosmétiques (crème, lait, pommade, savon) à base d'hydroquinone
gomment en surface tout le pigment noir. Ce sont les produits les
moins chers donc beaucoup plus utilisés par celles qui n'ont pas
de grands moyens. Le Dr Andonaba a tenu à souligner que l'utilisation
de l'hydroquinone requiert une préparation préalable de la peau
pour accélérer l'éclaircissement et obtenir un teint plus ou moins
uniforme. Pour cela, les femmes utilisent de l'eau de Javel, de
la potasse, du shampooing Dop pour se frotter vigoureusement la
peau dans le but d'éliminer la mélanine qui se trouve en surface,
avant d'appliquer le produit qui se chargera de la destruction de
la mélanine en profondeur. On trouve l'hydroquinone dans beaucoup
de produits cosmétiques sur la place du marché. Il s'agit entre
autres des crèmes "Clair-liss", "Maire-claire", "HT 25", "Immédiat",
"Maxi light"...
Les dérivés mercuriels sont présentement abandonnés parce qu'ils
ont entraîné beaucoup d'intoxication. Il y a enfin certains produits
qui contiennent en même temps tous ces excipients pour avoir un
effet optimal. Les amatrices de ces produits dépigmentants connaissent
très bien tous les rouages de la pratique. Ce qu'elles ignorent,
ce sont les conséquences désastreuses sur leur santé.
Toujours selon le Dr Andonaba, les conséquences sont multiples
et sont fonction du produit utilisé. Mais les spécialistes ont essayé
de les classer en deux grands groupes à savoir les conséquences
locales (sur la peau) et les conséquences globales (sur la santé
en général). Pour ce qui est des conséquences locales, on a d'abord
les brûlures de la peau qui laissent de grosses cicatrices sur les
parties touchées. Elles sont surtout dues à l'application en grande
quantité de pommade ou à l'injection de corticoïdes très puissants.
Il y a ensuite des allergies qui se manifestent par l'apparition
de boutons sur tout le corps, des noirceurs des parties de la peau
exposées au soleil.
Dans certains cas, la gravité de ces allergies peut entraîner la
mort. On a également les nombreuses vergetures sur tout le corps
qui sont dues à la destruction des fibres élastiques de la peau
qui se relâche. La peau devient mince et très fragile, ce qui empêche
une intervention chirurgicale au cas où la personne a un problème.
Le cas le plus désastreux, est celui des femmes enceintes qui doivent
subir une césarienne. Après l'intervention, les sutures ne tiennent
pas et cela peut entraîner la mort. Les utilisateurs de ces produits
deviennent progressivement multicolores. Elles dégagent une odeur
nauséabonde. Les défenses de la peau étant affaiblies, elles auront
tout le temps des furoncles, des dartres, des mycoses, la gale et
toutes sortes d'infections de la peau.
L'usage des dépigmentants combiné aux rayons ultra-violets du soleil
entraîne également un vieillissement prématuré de la peau qui se
manifeste par des rides et des plis sur tout le corps. Quant aux
conséquences générales, ce sont surtout les effets secondaires des
corticoïdes injectables. Ces produits qui sont directement envoyés
dans le sang entraînent l'hypertension, le diabète, les cancers
de la peau, les insuffisances rénales, la perturbation du cycle
menstruel, le risque de mettre au monde un enfant dont la croissance
sera très lente, les problèmes osseux parce que les corticoïdes
empêchent la consolidation des articulations, la cécité.
Ces conséquences ne se voient pas dès les premiers moments de l'utilisation.
C'est un long processus qui s'installe progressivement et détruit
la personne à petit feu. A la question de savoir si l'utilisation
de ces produits entraîne une situation de non retour pour la peau
ou si elle peut redevenir normale, le Dr Andonaba répond qu'un arrêt
à temps peut éviter certaines conséquences lointaines et minimiser
les séquelles déjà installées sur la peau puisqu'on ne peut pas
les supprimer totalement. Il y a toujours un grand bénéfice à arrêter
ces produits et le plus tôt est le mieux. Seulement cet arrêt doit
se faire progressivement pour un meilleur rétablissement de la peau.
Et la personne qui décide d'arrêter doit avoir un accompagnement
psychologique convaincant pour ne pas y retomber.
Les femmes qui utilisent ces produits sont-elles vraiment informées
de tous ces dangers ? Ce qui est sûr, déclare le Dr Andonaba, les
dermatologues et les autres spécialistes de la santé ont pris conscience
de l'ampleur du phénomène et ont décidé d'un commun accord de lancer
une vaste campagne de sensibilisation contre l'utilisation des dépigmentants.
En effet, on voit déjà des prospectus et des calendriers sur lesquels
il y a comme message :"Halte au tchatcho !", nom communément donné
à ces produits et à la pratique de la dépigmentation. Pour le Dr
Andonaba, le message à lancer à nos sœurs et mères ainsi qu'à tous
les utilisateurs, est très simple : "femmes burkinabè, africaines,
la peau naturelle est belle, elle est solide et elle n'a pas besoin
de ces produits dégradants". Aussi invite-t-il toute la population
à s'impliquer réellement dans cette lutte qui nous concerne tous.
On est bien tenté pour conclure, de rappeler le chanteur noir-américain
James Brown, qui dans les années 70, lançait en refrain : "Dites-le
haut et fort, je suis Noir et j'en suis fier".
Clarisse HEMA
Lire l'article original : http://www.sidwaya.bf/sitesidwaya/sidawaya_quotidiens/sid2004_17_04/sidwaya.htm
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