Insuffisance des infrastructures et des équipements,
mauvaise répartition de ces infrastructures, pénurie en personnel
qualifié, inadaptation de l'administration inadaptée. Telle est
l'image que renvoient les hôpitaux du Sénégal au professeur de chirurgie
générale à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, M. Cheikh Tidiane
Touré. Ce médecin colonel, membre de l'Académie française de chirurgie,
ne s'est pas limité à en faire le constat intra muros, il a aussi
adressé, aux différents ministres de la Santé sous l'alternance,
un mémorandum intitulé "Besoins en infrastructures hospitalières
au Sénégal" et à propos duquel il nous a entretenu.
Wal Fadjri : Vous venez d'adresser
un mémorandum au ministère de la Santé pour lui exposer les difficultés
auxquelles le système de santé de notre pays est confronté. Pourquoi
ce mémorandum sur la santé des Sénégalais ?
Pr Cheikh Tidiane Touré
: Etant depuis longtemps sur le terrain avec bientôt trente
ans dans la chirurgie (passés entre Dakar, les différentes régions
du Sénégal et la sous-région), j'ai quand même acquis une certaine
connaissance. Et j'ai constaté des anomalies qui font que les infrastructures
hospitalières ne fonctionnent pas correctement. A mon sens, il y
a des correctifs à apporter. Et c'est ça qui a motivé le document
dans ce sens-là envoyé à différentes autorités, dont le ministère
de la Santé. C'est une forme de contribution pour améliorer le système
hospitalier du pays au plan général.
Wal Fadjri : Peut-on connaître
en substance le contenu de ce mémorandum ?
Pr Cheikh Tidiane Touré
: Il y a plusieurs rubriques dans ce document où j'ai évoqué
les réformes hospitalières au Sénégal. Ce document met sur la table
d'opération la situation des besoins actuels en santé hospitalière
au Sénégal, une évaluation des besoins actuels en soins de santé
spécialisée. Pour ce qui est des soins de santé offerts au niveau
des hôpitaux, j'ai parlé, en premier lieu, de l'état du système
de santé national, notamment la qualité de l'offre. Et sous cette
rubrique, j'ai évoqué l'état des infrastructures, dans les régions
d'abord, puis à Dakar. Dakar pose un problème particulier puisque
le tiers des Sénégalais y vive. Le poids démographique de Dakar
pèse donc lourdement sur les besoins actuels des populations en
santé hospitalière. Les gens disent que les hôpitaux sont concentrés
à Dakar, mais en réalité, il y a une pénurie d'hôpitaux dans la
région. Aristide Le Dantec, Principal, Abass Ndaw, l'Hôpital général
de Grand Yoff ne suffisent plus. Tellement la pression démographique
est persistante. Il y a également la situation du Centre hospitalier
universitaire (Chu). La fonction du Chu, c'est de soigner avec des
soins de qualité et de haut niveau. Mais également de former des
personnels de santé. Surtout dans la spécialisation des soins de
haut niveau. Cette formation est souvent compromise parce que l'état
du Chu laisse à désirer. L'autre chapitre du document dont vous
parlez, est consacré aux infrastructures, aux équipements et au
personnel. Pour dire que l'état des normes hospitalières n'est pas
satisfaisant en termes d'infrastructures, d'équipements, de personnel
et de gestion administrative. J'ai aussi évoqué dans un chapitre
ce qu'on appelle la planification des infrastructures hospitalières.
La question que l'on se pose actuellement est de savoir s'il y a
un programme d'édification des hôpitaux au Sénégal. Peut-être qu'il
y en a. Mais est-ce qu'on précise le nombre d'hôpitaux qu'il faut
construire, là il faudra le construire et qu'en même temps, on planifie
les équipements qui vont aller dans ces hôpitaux-là et le personnel
qui va faire fonctionner ces infrastructures hospitalières ? Je
crois que ce n'est pas encore fait de façon très précise. Ensuite,
je parle du nerf de la guerre, c'est-à-dire du financement des hôpitaux.
En fin de compte, les structures hospitalières du Sénégal ne fonctionnent
pas. Parce qu'il n'y a pas assez d'argent. Les hôpitaux sénégalais
participent par des forfaits que les patients payent. Il y a donc
une péréquation qu'il faudrait que l'Etat assure en donnant une
subvention. Dans une structure comme Le Dantec, la subvention que
l'Etat accorde est insuffisante. Dans certains pays comme le Canada,
le citoyen a droit à un système de soins gratuits. Il ne paye rien
du tout. Le Sénégal ne peut pas le faire. Les citoyens aussi ne
peuvent pas le faire. Il faudrait donc aller à la création d'un
système d'entraide sociale de prise en charge. On parle du droit
des citoyens sénégalais d'être soignés quand ils sont malades. La
majorité des Sénégalais, plus de 95 %, n'ont pas ce droit-là. Les
particuliers sont les salariés, et ils ne sont que 100 000. C'est
donc une portion congrue de Sénégalais qui a le droit d'être soigné
quand il est malade. Il y a lieu de créer des structures sociales
d'entraide - mutuelle, assurance etc.
Wal Fadjri : Quelle a été la
réaction des autorités ?
Pr Cheikh Tidiane Touré
: Favorable. Ce document a été bien accueilli et elles ont
pris acte et la réflexion se poursuit. La santé, je le dis souvent,
est un tout global. Il ne s'agit pas de prévenir par ici et de soigner
ailleurs. Médecine préventive et médecine curative, c'est un tout.
Ce que je déplore, c'est une absence de vision prospective en matière
de santé. Le fait de sérier les acteurs ne fait que compliquer la
tâche. Quand on multiplie les acteurs et que la cible est la même,
cela crée la confusion. Le système de soins hospitaliers ne fonctionne
pas correctement. Car certains malades devraient être soignés à
la base. Parmi les milliers de personnes malades qui se rendent
chaque jour à l'hôpital Le Dantec ou Principal, certaines devraient
être prises en charge en amont dans les postes de santé ou districts
de santé. Ici, la santé a un coût. Le problème de financement des
hôpitaux se pose. Je l'ai dit tout à l'heure. Au lendemain des indépendances,
l'Etat s'était engagé à financer totalement les hôpitaux. Ensuite,
il y a au la création des Associations des personnes hospitalisées
(Aph). Maintenant, les hôpitaux sont des structures publiques, autonomes,
auxquelles l'Etat accorde une subvention. C'est bien. Et d'ailleurs
personne ne sait sur quoi l'Etat s'est basé pour subventionner telle
somme à un hôpital et telle autre somme à un autre. Il y a une différence
dans le traitement. Par exemple, à l'hôpital Principal, la subvention
par lit est différente de celle de Le Dantec qui est elle-même différente
de ce qui est appliqué à l'hôpital général de Grand Yoff. C'est
basé sur quoi ? Je ne sais pas. Il faut donc se débrouiller pour
fonctionner. Nous, à Le Dantec, nous avons vocation de prendre en
charge des indigents. Il y a des déficits chroniques qui vont en
s'aggravant au fil des années. Si on n'y prend pas garde, on va
vers le mur. La réforme du système de santé en tant que telle est
donc inachevée.
Wal Fadjri : Le fait de changer
de ministre de la Santé ne risque-t-il pas d'affecter le système
de santé du pays ?
Pr Cheikh Tidiane Touré
: Ce sont des choses politiques. Et en général, le fait de
construire beaucoup d'hôpitaux dans un pays ne signifie pas directement
que les citoyens de ce pays seront en bonne santé. Il faut un niveau
de vie élevé, des populations bien éduquées avec une alimentation
saine et équilibrée. En général, les politiques sont en déphasage
avec les techniciens de la santé.
Issa NIANG
Lire l'article original : http://www.walf.sn/societe/suite.php?rub=4&id_art=10343
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