"Quelques temps après la naissance de ma fille,
alors que j'étais encore sur la table d'accouchement, j'ai commencé
à ressentir des caillots de sang sortir de mon ventre à grands jets.
J'ai eu très peur et je me suis mise à prier, jusqu'à ce que je
perde connaissance. C'est longtemps après que j'ai ouvert les yeux,
pour constater que je me trouvais dans mon lit, à côté de mon bébé".
C'est en ces termes que Sabine Elemva, 28 ans, raconte avec une
émotion contenue, ce qui lui est arrivée deux ans plutôt. Si Sabine
l'a échappé bel, ce n'est pas toujours le cas d'autres femmes, qui
n'auront jamais la possibilité de serrer leur enfant dans leurs
bras. Elles décèdent pour la plupart de suite d'hémorragie, venant
ainsi augmenter le nombre de femmes qui s'éteignent en donnant la
vie. En effet, la cause la plus fréquente de décès - un quart de
tous les décès maternels - est l'hémorragie grave, qui survient
généralement au cours du post-partum. Il s'agit de l'hémorragie
qui survient après l'expulsion du fœtus.
La journée de la mortalité maternelle est généralement
l'occasion pour mettre l'accent sur une cause susceptible de mettre
la vie de la future maman en danger quand elle est enceinte. La
huitième édition a été célébrée le 30 juin dernier. A cette occasion,
une table ronde, organisée dans la salle de conférence de l'hôpital
Laquintinie de Douala, avait pour thème : "Avortement et Planning
familial ".
Au Cameroun, l'avortement est illégal. Il n'en
demeure pas moins vrai que nombre de décès des mamans sont liés
aux complications qui résultent d'un avortement mal effectué. C'est
pour cela que le directeur de ce centre hospitalier, Dr Fritz Ntone
Ntone a tenu à rappeler au public, constitué pour la plupart de
médecins, sages-femmes, infirmiers-accoucheurs des hôpitaux de districts,
des structures privées et confessionnelles de la capitale économique,
qu'il est important de : "présenter aux femmes les conséquences
qui peuvent survenir après un avortement. Et surtout, quand on est
obligé de braver la législation, il est préférable de le faire correctement".
En dehors de l'interruption volontaire de grossesse, il y a l'hémorragie
du post-partum cité plus haut.
Les chiffres font peur. Rien qu'en 2003, à l'Hôpital
Laquintinie, on a enregistré 1009 décès maternels pour 100.000 enfants
vivants. Alors qu'avec le même nombre de naissance, on a enregistré
464 morts dans la plupart des pays africains. En outre, on peut
aussi mentionner parmi les origines de ces pertes, les infections.
Ces dernières sont souvent la conséquence d'une mauvaise hygiène
au cours de l'accouchement ou des infections sexuellement transmissibles
(Ist) non traitées. A cela, s'ajoutent les troubles de l'hypertension
liés à la grossesse, en particulier l'éclampsie (convulsions) et
le travail prolongé ou dystocique.
Le décès maternel est donc un ensemble de circonstances qui ne se
limitent pas seulement à ce qui se passe à l'hôpital le jour de
l'accouchement. En effet, si ces causes se situent en aval, ce qui
se passe en amont mérite d'être signalé. Il s'agit d'un certain
nombre de réalités qu'on serait même tenté de balayer du revers
de la main à la première occasion, mais qui sont toutes d'une importance
capitale.
Dans la plupart des pays en voie de développement,
le statut d'infériorité sociale et économique des filles et des
femmes limite leur accès aux ressources économiques et à l'instruction.
Généralement, elles sont incapables de prendre des décisions qui
touchent leur avenir, à plus forte raison leur santé. Une mauvaise
alimentation au cours de la grossesse, un travail physique excessif,
contribue aussi aux issues défavorables de ces grossesses. Certaines
femmes accouchent sans l'aide d'un professionnel qualifié, quand
elles ne le font pas toutes seules.
Pour limiter les décès, il est urgent que les pouvoirs publics et
privés mettent à la disposition des centres hospitaliers des équipements
performants. Ce matériel garantit la qualité des soins et leurs
accès pendant le travail, la naissance et les heures qui suivent.
La présence d'un professionnel qualifié est très utile au moment
de la délivrance. On pourra ainsi parvenir à une diminution importante
de la mortalité maternelle.
Le décès d'une mère a des répercussions sur l'ensemble
de la famille et sur plusieurs générations. C'est conscient de tout
cela que le service "Maternité" de l'hôpital Laquintinie organise
tous les trois mois une journée de la mortalité maternelle. Ce rendez-vous
trimestriel regroupe le personnel médical des autres structures
de santé de la ville qui peuvent échanger leurs idées et leurs expériences.
L'objectif est de réduire le nombre de décès maternel à Douala en
particulier et dans le Cameroun en général. Afin d'éviter de mourir
en donnant la vie.
Priscille G. Moadougou (Stagiaire)
Lire l'article original : http://www.quotidienmutations.net/cgi-bin/alpha/j/25/2.cgi?category=10&id=1090445217
Dr Pauline Ndobo : Aucune femme n'est à
l'abri. Gynéco-obstrétricienne, elle explique pourquoi certaines
mères meurent après l'accouchement - Mutations
- Cameroun - 22/07/2004
Mutations : Quelles sont les causes qui peuvent
expliquer qu'une femme décède en donnant la vie ?
Docteur Pauline Ndobo : Dans un
premier temps, il peut arriver qu'après avoir accouché normalement,
et au moment où le placenta doit être expulsé, celui-ci se trouve
entièrement retenu et ne peut pas sortir, or il est urgent qu'il
sorte le plus rapidement possible. La deuxième possibilité c'est
quand le placenta est sorti, mais l'utérus qui a porté le bébé ne
se rétracte pas. Ce qui occasionne de grandes hémorragies qui peuvent
entraîner la mort de la maman si elles ne sont pas maîtrisées.
Mutations : Quels sont les cas d'hémorragies
que vous rencontrez à l'hôpital Laquintinie ?
Docteur Pauline Ndobo : Il y a
notamment le décollement prématuré du placenta. Dans certaines circonstances,
celui-ci se décolle alors que le bébé est encore dans le ventre
de sa mère. Or, il doit se décoller après la sortie du fœtus. Et
quand ce processus est déclenché entre le placenta et le muscle
utérin, le saignement qui se fera à l'intérieur va entraîner un
appel de beaucoup de sang avec les facteurs de coagulation. Mais
on ne le voit pas à l'extérieur. Et si on n'est pas assez entraîné
pour poser le diagnostic, et prendre des dispositions longtemps
avant, on se retrouve avec une femme qui va mourir avec son bébé
dans le ventre. On peut aussi parler du "placenta praevia", il s'agit
du placenta qui barre la voie au fœtus au moment où il doit être
expulsé. C'est pour cette raison que le bébé ne pourra pas sortir.
Et quand la femme va entrer en travail, les contractions de l'utérus
entraîneront le décollement de ce placenta qui est mal placé et
au moment du décollement la femme se met à saigner.
Mutations : Qu'est-ce qui peut encore occasionner
des abondantes pertes de sang ?
Docteur Pauline Ndobo : La rupture
utérine est aussi très dangereuse. Malheureusement, il arrive que
l'utérus se rompe et saigne à l'intérieur du ventre. Celle-ci peut
survenir dans beaucoup de situations. Notamment lors de la présentation
vicieuse de l'enfant. Le bébé n'est pas situé de façon à ce que
les contractions puissent le pousser à l'extérieur. Il constitue
donc un obstacle. Les contractions sont tellement puissantes que
finalement, le muscle se rompt. Il peut aussi arriver que le bassin
de la femme soit rétréci, ce qui est également une entrave à la
descente du bébé. Les contractions étant fortes, le mobile fœtal
se heurte à une barrière, entraînant ainsi la rupture du muscle
utérin. Parfois, des médicaments, prescrits et mal utilisés, sont
à l'origine du renforcement du travail des contractions utérines.
Ces médicaments peuvent entraîner une augmentation de la force contractile
du muscle utérin et aboutir à une rupture utérine. Ceci peut arriver
même quand le bébé a une présentation normale, et lorsque la mère
n'a pas un bassin rétréci.
Mutations : Lors des visites prénatales, il
est vivement recommandé aux femmes de prendre beaucoup de fer. Est-ce
qu'une femme anémiée risque de perdre la vie en accouchant ?
Docteur Pauline Ndobo : Pendant
l'accouchement, la femme saigne, même si le flux n'est pas abondant.
Mais généralement, la femme perd beaucoup de sang. Ce qui peut s'avérer
dramatique pour une femme anémiée. Elle risque de perdre la vie
pendant l'accouchement, parce que le peu de sang qu'elle a dans
le corps sera aspiré. Existe-t-il des précautions à prendre pour
éviter le décès maternel Il est important que toute femme enceinte
soit suivie de façon régulière, que ce soit pendant la grossesse
ou au moment de l'accouchement. Un certain nombre d'examens doivent
également être faits pour juger le degré d'exposition de la future
mère au moment de l'accouchement, afin de savoir comment agir quand
le problème se pose.
Propos recueillis par Priscille G. Moadougou
Lire l'article original : http://www.quotidienmutations.net/cgi-bin/alpha/j/25/2.cgi?category=10&id=1090445096
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