Interview
de Manuel Lopez Blanco*
L'accès aux médicaments ne doit pas être un objet
de négociation. C'est une question de vie ou de mort. Le SIDA
frappe 42 millions de personnes dans ce monde, même si l'on
peut se féliciter d'une certaine façon que le Sénégal
ne soit pas un des pays les plus touchés par ce fléau.
Plus de 3 millions sont des enfants. La malaria tue 1 million de personnes
en Afrique chaque année, soit 3000 par jour. Des épidémies
et des pandémies, qui s'étendent au-delà de ces
deux exemples, frappent avant tout les pays pauvres.
C'est pourquoi l'Union européenne (UE) ne peut accepter que
les négociations ouvertes au sein de l'Organisation Mondiale
du Commerce (OMC) pour permettre à ces pays d'accéder
aux médicaments essentiels échouent. Or, après
avoir bien progressé, les discussions menées à
l'automne n'ont pas abouti. 143 pays sur les 144 que compte l'OMC
étaient d'accord sur un compromis reprenant largement les thèses
européennes. Le 20 décembre, les Etats-Unis ont refusé
de rejoindre le consensus.
Comment a t-on pu en arriver là ?
Pour une raison de fond : nous devons trouver un dispositif qui permette
à la fois de traiter les urgences sanitaires et de financer
la recherche médicale. Les deux objectifs sont indissociables
: c'est la recherche qui permet d'élaborer les traitements
dont nous avons besoin et, une fois mis au point, ces traitements
doivent pouvoir être diffusés largement. Le fait qu'ils
le soient à des prix élevés, couvrant les coûts
de la recherche et la préparation de l'avenir, ne pose pas
problème dans les pays développés. On ne peut
agir de même pour les pays en développement, et en particulier
pour les pays les moins avancés, comme le Sénégal.
D'où l'accord intervenu en novembre 2001, à Doha, entre
pays membres de l'OMC ("Déclaration sur l'accord sur les
ADPIC (1) et la santé publique"). Sous l'impulsion de
l' UE, et en particulier du Commissaire européen du commerce,
Pascal Lamy, ils ont reconnu la gravité et l'ampleur des problèmes
de santé publique dans les pays en développement, notamment
pour ce qui concerne le SIDA, la tuberculose, la malaria et d' autres
épidémies. Cette déclaration confirme le droit
de chaque pays à accorder ce que l'on appelle des licences
obligatoires, c'est-à-dire le droit pour les pays en développement
de produire des médicaments sans l'autorisation du laboratoire
qui détient le brevet. Ce fut un premier succès qui
n'est pas remis en cause.
Mais il est limité aux pays qui disposent d'une capacité
de production pharmaceutique. Reste à régler la question
des pays sans capacités de production, ou avec des capacités
insuffisantes, et c'est le cas du Sénégal. Nous étions
convenus de résoudre avant la fin 2002 ce problème majeur.
Les principaux points de clivage portent sur le champ des maladies
couvertes par l'accord et le nombre de pays concernés. Dans
les deux cas, l'UE s'est toujours prononcée en faveur d'une
approche large et non restrictive. Les industries pharmaceutiques
se sont inquiétées de ces orientations, estimant que
la recherche scientifique et médicale pourrait en souffrir.
Nous ne le croyons pas : ce qui est en cause aujourd'hui, c'est la
diffusion de médicaments dans des pays qui, aujourd'hui, n'en
consomment pas
Malheureusement, les Etats-Unis n'ont pas partagé ce point
de vue, considérant que le champ des maladies couvertes par
le compromis était trop large. Face à ce blocage, l'UE
a voulu proposer un compromis le plus rapidement possible.
L'OMC, et le système international
dans son ensemble, doit répondre de façon responsable
à un besoin légitime. C'est une question de légitimité
et d'efficacité : à quoi bon un système international
démocratique, dans lequel chaque Etat a une voix, s'il ne parvient
pas à se doter de règles convaincantes en matière
de santé publique ?
C'est pourquoi l'UE a lancé récemment une initiative
impliquant l'intervention de l'Organisation Mondiale de la Santé
(OMS), instance reconnue dans les pays en développement. Qu'est-ce
que cela signifie ? Qu'en bâtissant sur notre accord de 2001
à Doha nous pourrions diffuser les médicaments nécessaires
au traitement des grandes épidémies - sida, tuberculose,
malaria et une vingtaine d'autres fléaux- tout en maintenant
la possibilité de traiter d'autres problèmes de santé
publique. Dans ce dernier cas, les membres de l'OMC pourraient se
tourner vers l'OMS pour avoir l'expertise médicale nécessaire.
L'action complémentaire de l'OMS et l'OMC permettra, nous en
sommes persuadés, de débloquer la situation et d'arriver
à un accord final.
Dans l'attente de cette solution durable, impliquant tous les pays,
il est bien évident que l' UE n'ouvrira pas de contentieux
à l'encontre des PVD agissant sur la base du projet d'accord
du 16 décembre 2002 proposé par le Président
du Conseil ADPIC.
Mais ce moratoire, présenté par certains comme une panacée,
n'est qu'une solution transitoire, dépourvue de sécurité
juridique et ne permettant pas le traitement des urgences sanitaires
sur la durée.
L' UE agit avec le souci d'améliorer concrètement la
situation sanitaire dans les pays en développement tout en
préservant les possibilités de financement de la recherche
médicale. Démontrant ainsi, nous l'espérons,
quelle est la bonne démarche à suivre dans le cadre
d'une gouvernance mondiale en construction.
(*) Chef de la Délégation de la Commission
européenne en République du Sénégal (sur
la base de la conférence de presse du Commissaire européen
au commerce Pascal Lamy du 9 janvier 2003)
(1) Accords sur les Aspects des Droits de Propriété
Intellectuelle qui touchent au Commerce
Lire l'article original : http://fr.allafrica.com/stories/200302040336.html |