Contactez_nous
La_santé_tropicale_sur_internet  
www_santetropicale_com
Santé mentale: le “Penc” de Fann et l’agitation de Thiaroye - Le soleil - Sénégal - 26/03/02

Il n’est pas rare que les noms des hôpitaux de Fann ou de Thiaroye soient brandis comme une menace pour effrayer une personne ayant commis quelque bêtise. L’hôpital psychiatrique demeure un lieu de projection des fantasmes de la société, la folie suscite fascination et répulsion. Mardi dernier, les participants au Premier Congrès panafricain de santé mentale ont été conviés à une visite de ces centres psychiatriques. L’occasion pour les psychiatres venus du monde entier d’évaluer la prise en charge des troubles mentaux en milieu hospitalier, d’appréhender des techniques thérapeutiques propres au Sénégal et de constater certaines des lacunes dont pâti le système de soin psychiatrique sénégalais. Ce tour d’horizon a, en outre, permis aux tradithérapeutes de connaître davantage les méthodes curatives de leurs collègues psychiatres. Au-delà de l’aspect médical, c’est la question de la perception culturelle de la folie qui s’est posée.

Le Sénégal compte deux structures traitant des maladies mentales, celles de Fann et de Thiaroye. Au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Fann, le quartier réservé à la psychiatrie se trouve dans un bâtiment composé de deux ailes rattachées en leur milieu par les services de direction et d’assistance sociale. Cette disposition architecturale est des plus classiques, respectant le schéma du panoptique décrit par Michel Foucault et permettant une surveillance incessante. Dans l’aile gauche, située au rez-de-chaussée, un long couloir sombre aligne ses chambres où vivent les malades et leur accompagnant qui peut être un membre de sa famille ou une personne rétribuée pour ses services de garde malade.

Le CHU de Fann héberge actuellement une trentaine de patients. En contrepartie d’une contribution financière de 2 500 FCFA par jour, ils reçoivent nourriture, soins et gîte. L’architecture interne de type carcéral rappelle le temps des asiles prisons. Une période où les malades mentaux étaient ravalés au rang de parias. Si cette époque est révolue grâce aux progrès de la médecine psychiatrique, le corps architectural en conserve les stigmates, comme le prouve la survivance de ces portes lourdes à double entrée. Désormais, assure le Professeur Momar Guèye qui dirige le centre psychiatrique, l’hôpital reçoit des patients en consultation externe, l’internement n’étant plus systématique. C’est pourquoi il vaut mieux parler en termes de nombre de consultations (environ 2000 à 2500 par an) des malades internés.

Maintenant, l’hôpital est ouvert, les patients vont et viennent comme bon leur semble dans les couloirs et participent tant que faire se peut à la vie de l’hôpital. Les séances de peinture et de “penc” ponctuent l’emploi du temps des patients de l’hôpital. Deux fois par semaine, l’équipe soignante permet aux internés de s’exprimer par le biais de l’art et de la parole. Le “penc” est une forme de thérapie collective particulièrement adaptée à la culture africaine puisqu’elle se rapproche de la palabre. Les malades se retrouvent sous un fromager, en compagnie de leur médecin traitant, pour parler de leurs difficultés. Les réalités sociologiques africaines sont ainsi respectées, non seulement au cours de l’exercice du “penc”, mais également grâce à la présence des accompagnateurs qui suivent les malades le temps de leur hospitalisation.

Cette pratique présente avantages et inconvénients. En effet, si elle permet d’atténuer le choc de l’internement en préservant un lien avec le monde extérieur et augmente les chances de réinsertion post-hospitalière, elle pose un certain nombre de problèmes en termes de capacité d’accueil et d’hygiène. Pour le docteur Domangeat, psychiatre français, la difficulté majeure provient du fait que le nombre d’accompagnateurs “mercenaires” (c’est-à-dire payés pour rester avec le malade) sans compétence médicale aucune est en augmentation constante.

L’hôpital psychiatrique de Thiaroye diffère de celui de Fann par sa capacité d’accueil plus importante (160 lits) et par la gravité des cas qui y sont traités. Situé dans un immense parc, le bâtiment est divisé en quatre services. Toutes sortes de pathologies y sont recensées, mais les plus fréquentes demeurent les psychoses et les troubles mentaux liés à la toxicomanie. Comme à Fann, les malades sont suivis par des accompagnateurs dont la prise en charge logistique est assurée par l’hôpital. Ici, les adultes et les enfants, les hommes et les femmes sont regroupés sans distinction d’âge ou de sexe. Tandis qu’un calme relatif régnait à Fann, à Thiaroye l’agitation est perceptible dans certaines divisions. Peut-être est-ce à mettre au compte de la venue de nombreux visiteurs…

FRESQUES MURALES

Des fresques murales représentant des scènes de “Ndeup” (séance d’exorcisme) ornent les murs tristes de l’hôpital. Apparition surprenante de la tradition dans un univers médicalisé. Chaque bâtiment renferme les mêmes couloirs interminables, alignant leurs rangées de chambres et de cellules. A droite, des chambres où le mobilier se résume à quatre lits en bétons, fichés dans le sol et recouverts d’un matelas ; tandis qu’à gauche, des cellules dénuées du minimum nécessaire abritent les malades agités ou jugés dangereux. Car l’hôpital de Thiaroye est le seul qui dispose des structures nécessaires pour recevoir les personnes dont les troubles sont estimés suffisamment graves pour justifier un placement d’office. Et il s’agit parfois d’employer des méthodes plutôt musclées pour les ramener au calme. Trois divisions sur les quatre que compte le centre sont composées pour moitié de cellules. Celles-ci sont dépourvues du strict nécessaire, sans lit, sans matelas, sans eau, sans commodité élémentaire, les patients agités restent ici le temps de recouvrer leur calme.

L’odeur d’urine qu’exhalent les cellules apporte la preuve que les malades sont laissés dans le plus grand dénuement, même si le directeur et les médecins affirment le contraire. Au cours de la visite, un psychiatre congolais s’insurge contre ces pratiques de contention qu’il juge d’un autre âge. Un débat s’entame mettant aux prises deux concepts parfois difficilement conciliables, c’est-à-dire les droits de l’homme et la sécurité. Le manque cruel de moyens alloués à la santé mentale explique, en dernière analyse, la survivance de telles pratiques.

Dans la section II, un homme raconte qu’il a dû insister pour que les médecins enferment son fils âgé de 23 ans qui manifestait des troubles violents de l’humeur. Quelques patients regardent la télévision dans une salle peu attrayante. Ici, les murs sont couverts d’inscriptions à la craie dont seuls les malades détiennent le sens. Assis devant un plat de riz, un autre patient affirme aux visiteurs qu’il est traité “comme un frère ici”.

La motivation de l’équipe médicale ne peut occulter l’état peu reluisant des locaux. Les sanitaires sont en nombre insuffisants et défectueux. Deux toilettes et deux douches pour une trentaine de personnes. Des douches suintantes, à peines closes par un semblant de porte en bois, voilà le triste constat que l’on peut dresser dans les couloirs de Thiaroye. A l’extérieur du corps central du bâtiment, des cases ont été construites pour accueillir les malades chroniques au nombre d’une quinzaine. Ceux-ci, après avoir connu de multiples rechutes, ont élu domicile à l’hôpital. Malgré les efforts incontestables déployés par les équipes médicales, la psychiatrie demeure la parente pauvre du système de santé au Sénégal. Avec une dizaine de psychiatres exerçant sur l’ensemble du territoire, une prise en charge maximale des troubles mentaux semble s’annoncer pour un avenir lointain. Reportage de Hélène Dumas.

Lire l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=12623&index__edition=9546

Retour actualités