Il
n’est pas rare que les noms des hôpitaux de Fann ou de
Thiaroye soient brandis comme une menace pour effrayer une personne
ayant commis quelque bêtise. L’hôpital psychiatrique
demeure un lieu de projection des fantasmes de la société,
la folie suscite fascination et répulsion. Mardi dernier,
les participants au Premier Congrès panafricain de santé
mentale ont été conviés à une visite
de ces centres psychiatriques. L’occasion pour les psychiatres
venus du monde entier d’évaluer la prise en charge des
troubles mentaux en milieu hospitalier, d’appréhender
des techniques thérapeutiques propres au Sénégal
et de constater certaines des lacunes dont pâti le système
de soin psychiatrique sénégalais. Ce tour d’horizon
a, en outre, permis aux tradithérapeutes de connaître
davantage les méthodes curatives de leurs collègues
psychiatres. Au-delà de l’aspect médical, c’est
la question de la perception culturelle de la folie qui s’est
posée.
Le
Sénégal compte deux structures traitant des maladies
mentales, celles de Fann et de Thiaroye. Au Centre Hospitalier Universitaire
(CHU) de Fann, le quartier réservé à la psychiatrie
se trouve dans un bâtiment composé de deux ailes rattachées
en leur milieu par les services de direction et d’assistance
sociale. Cette disposition architecturale est des plus classiques,
respectant le schéma du panoptique décrit par Michel
Foucault et permettant une surveillance incessante. Dans l’aile
gauche, située au rez-de-chaussée, un long couloir
sombre aligne ses chambres où vivent les malades et leur
accompagnant qui peut être un membre de sa famille ou une
personne rétribuée pour ses services de garde malade.
Le
CHU de Fann héberge actuellement une trentaine de patients.
En contrepartie d’une contribution financière de 2 500
FCFA par jour, ils reçoivent nourriture, soins et gîte.
L’architecture interne de type carcéral rappelle le
temps des asiles prisons. Une période où les malades
mentaux étaient ravalés au rang de parias. Si cette
époque est révolue grâce aux progrès
de la médecine psychiatrique, le corps architectural en conserve
les stigmates, comme le prouve la survivance de ces portes lourdes
à double entrée. Désormais, assure le Professeur
Momar Guèye qui dirige le centre psychiatrique, l’hôpital
reçoit des patients en consultation externe, l’internement
n’étant plus systématique. C’est pourquoi
il vaut mieux parler en termes de nombre de consultations (environ
2000 à 2500 par an) des malades internés.
Maintenant,
l’hôpital est ouvert, les patients vont et viennent comme
bon leur semble dans les couloirs et participent tant que faire
se peut à la vie de l’hôpital. Les séances
de peinture et de “penc” ponctuent l’emploi du temps
des patients de l’hôpital. Deux fois par semaine, l’équipe
soignante permet aux internés de s’exprimer par le biais
de l’art et de la parole. Le “penc” est une forme
de thérapie collective particulièrement adaptée
à la culture africaine puisqu’elle se rapproche de la
palabre. Les malades se retrouvent sous un fromager, en compagnie
de leur médecin traitant, pour parler de leurs difficultés.
Les réalités sociologiques africaines sont ainsi respectées,
non seulement au cours de l’exercice du “penc”, mais
également grâce à la présence des accompagnateurs
qui suivent les malades le temps de leur hospitalisation.
Cette
pratique présente avantages et inconvénients. En effet,
si elle permet d’atténuer le choc de l’internement
en préservant un lien avec le monde extérieur et augmente
les chances de réinsertion post-hospitalière, elle
pose un certain nombre de problèmes en termes de capacité
d’accueil et d’hygiène. Pour le docteur Domangeat,
psychiatre français, la difficulté majeure provient
du fait que le nombre d’accompagnateurs “mercenaires”
(c’est-à-dire payés pour rester avec le malade)
sans compétence médicale aucune est en augmentation
constante.
L’hôpital
psychiatrique de Thiaroye diffère de celui de Fann par sa
capacité d’accueil plus importante (160 lits) et par
la gravité des cas qui y sont traités. Situé
dans un immense parc, le bâtiment est divisé en quatre
services. Toutes sortes de pathologies y sont recensées,
mais les plus fréquentes demeurent les psychoses et les troubles
mentaux liés à la toxicomanie. Comme à Fann,
les malades sont suivis par des accompagnateurs dont la prise en
charge logistique est assurée par l’hôpital. Ici,
les adultes et les enfants, les hommes et les femmes sont regroupés
sans distinction d’âge ou de sexe. Tandis qu’un
calme relatif régnait à Fann, à Thiaroye l’agitation
est perceptible dans certaines divisions. Peut-être est-ce
à mettre au compte de la venue de nombreux visiteurs…
FRESQUES
MURALES
Des
fresques murales représentant des scènes de “Ndeup”
(séance d’exorcisme) ornent les murs tristes de l’hôpital.
Apparition surprenante de la tradition dans un univers médicalisé.
Chaque bâtiment renferme les mêmes couloirs interminables,
alignant leurs rangées de chambres et de cellules. A droite,
des chambres où le mobilier se résume à quatre
lits en bétons, fichés dans le sol et recouverts d’un
matelas ; tandis qu’à gauche, des cellules dénuées
du minimum nécessaire abritent les malades agités
ou jugés dangereux. Car l’hôpital de Thiaroye
est le seul qui dispose des structures nécessaires pour recevoir
les personnes dont les troubles sont estimés suffisamment
graves pour justifier un placement d’office. Et il s’agit
parfois d’employer des méthodes plutôt musclées
pour les ramener au calme. Trois divisions sur les quatre que compte
le centre sont composées pour moitié de cellules.
Celles-ci sont dépourvues du strict nécessaire, sans
lit, sans matelas, sans eau, sans commodité élémentaire,
les patients agités restent ici le temps de recouvrer leur
calme.
L’odeur
d’urine qu’exhalent les cellules apporte la preuve que
les malades sont laissés dans le plus grand dénuement,
même si le directeur et les médecins affirment le contraire.
Au cours de la visite, un psychiatre congolais s’insurge contre
ces pratiques de contention qu’il juge d’un autre âge.
Un débat s’entame mettant aux prises deux concepts parfois
difficilement conciliables, c’est-à-dire les droits
de l’homme et la sécurité. Le manque cruel de
moyens alloués à la santé mentale explique,
en dernière analyse, la survivance de telles pratiques.
Dans
la section II, un homme raconte qu’il a dû insister pour
que les médecins enferment son fils âgé de 23
ans qui manifestait des troubles violents de l’humeur. Quelques
patients regardent la télévision dans une salle peu
attrayante. Ici, les murs sont couverts d’inscriptions à
la craie dont seuls les malades détiennent le sens. Assis
devant un plat de riz, un autre patient affirme aux visiteurs qu’il
est traité “comme un frère ici”.
La
motivation de l’équipe médicale ne peut occulter
l’état peu reluisant des locaux. Les sanitaires sont
en nombre insuffisants et défectueux. Deux toilettes et deux
douches pour une trentaine de personnes. Des douches suintantes,
à peines closes par un semblant de porte en bois, voilà
le triste constat que l’on peut dresser dans les couloirs de
Thiaroye. A l’extérieur du corps central du bâtiment,
des cases ont été construites pour accueillir les
malades chroniques au nombre d’une quinzaine. Ceux-ci, après
avoir connu de multiples rechutes, ont élu domicile à
l’hôpital. Malgré les efforts incontestables déployés
par les équipes médicales, la psychiatrie demeure
la parente pauvre du système de santé au Sénégal.
Avec une dizaine de psychiatres exerçant sur l’ensemble
du territoire, une prise en charge maximale des troubles mentaux
semble s’annoncer pour un avenir lointain. Reportage de Hélène
Dumas.
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l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=12623&index__edition=9546
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