Deux
spécialistes des rétrovirus, les Professeurs Françoise-Barré Sénoussi,
responsable de la recherche sur la biologie des rétrovirus (*) à
l’institut Pasteur de Paris, et Souleymane Mboup, chef du laboratoire
de Bactériologie-Virologie du CHU Aristide Le Dantec de Dakar, étaient,
vendredi dernier, les invités d’honneur du comité d’initiative scientifique
de l’Institut Pasteur de Dakar et de la Faculté de médecine, de
pharmacie et d’odontostomatologie de l’UCAD pour une conférence,
à l’amphithéâtre Khaly Amar Fall, sur les avancées de la recherche
sur le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
Beaucoup d’invités venus assister à ces deux présentations magistrales,
notamment des spécialistes et étudiants parmi lesquels des “têtes
d’œuf” en médecine humaine et vétérinaire (du fait des interrelations
entre agents pathogènes et ses hôtes homme et animal), sont repartis
l’esprit retourné pour les uns et la tête pleine d’interrogations
sur l’avenir pour les autres, devant la “complexité de plus en plus
déroutante du virus du Sida. Ne devrait-on pas dire les virus du
Sida ? Selon le Pr. Souleymane Mboup, dans une communication sur
la diversité des sous-types, “il y a eu le VIH1, dont le Pr. Françoise
Barré-Sénoussi, à l’époque membre de l’équipe du Pr. Jean Luc Montagnier
(qui a pris, il y a peu d’années sa retraite, et poursuit ses recherches
actuellement aux Etats-Unis), est le co-découvreur en 1983.
Par
la suite, a surgi le VIH2, isolé dans des sérums de prostituées
dakaroises en 1985, par les équipes de chercheurs des Prs. Max Essex
(université d’Harvard de Boston aux Etats-Unis, Souleymane Mboup
(UCAD), Francis Barin et François Denis (Facultés de médecine de
Limoges et Tours en France). “Le VIH1 et le VIH2 ont des similitudes.
Toutefois, le VIH2 est plus proche des virus simiens ou SIV (ndlr
: responsables de l’immunodéficience chez le singe et plus spécifiquement
des macaques et des mangabeys).
Les
deux orateurs se sont attardés sur la distribution géographique
de tout ce “monde” de l’infiniment petit “parents” et “descendances”,
leurs dynamiques, leurs virulences, leurs histoires naturelles et
leurs caractéristiques épidémiologiques.
ZONES
D’OMBRE PERSISTANTES
Le
Pr. Souleymane Mboup, dans une synthèse “rapide” de sa communication,
qui pourtant aurait pu être plus longue du fait de la situation
de la pandémie et des difficultés colossales à surmonter pour mettre
au point un traitement et (ou) un vaccin efficaces, a indiqué l’identification
de plusieurs sous-types. Il a cité premièrement les sous-types des
groupes M, N et O. Il y a encore, a-t-il dit, neuf sous-types (A,
B, C, D, E, F, G, H, I, J, K). Tout cela va, semble-t-il, s’entortiller
de plus en plus, avec le surgissement de recombinaisons qui “mettront
au monde” d’autres “diaboliques” nouveautés...
Pour
le Pr. Françoise Barré-Sénoussi, dont le Pr. Souleymane a loué les
qualités humaines et de chercheuse qui défend l’Afrique devant toutes
les assises scientifiques internationales, “la situation des résultats
des recherches, le degré de mutation très élevé et la sélection
séquentielle qui y est associée laisse penser à une nécessité de
se concentrer sur la recherche d’un vaccin à très large spectre
avec des réponses permanentes”. Membre de l’Agence Nationale de
Recherche sur le SIDA (ANRS) de France, coordonnatrice de plusieurs
projets de recherche en Afrique et en Asie (Vietnam et Cambodge),
notamment dans le cadre d’un vaste réseau d’une vingtaine d’institutions
scientifiques en Europe, Asie, Afrique et Amérique, le Pr. Barré-Sénoussi
a insisté sur l’importance de la prévention primaire, la recherche
sociale et comportementale, ainsi que sur l’impact socio-économique
de la maladie SIDA”.
C’est
ainsi que, parmi ses principaux sujets de recherche, on note ceux
qui sont relatifs aux déterminants de protection naturelle contre
l'infection par le VIH-1, aux déterminants précoces de protection
contre le SIDA chez le singe vert d'Afrique et au contrôle de la
transmission in utero (de la mère au fœtus) du VIH1.
Les
recherches de l’équipe du Pr. Barré-Sénoussi “visent à identifier
et caractériser des facteurs immunitaires responsables d'un état
de protection naturelle contre l'infection par le VIH-1. L’équipe
suit ainsi des individus dont des toxicomanes ou qui sont des partenaires
de sujets séropositifs, à Ho Chi Minh Ville (Vietnam), Phnom Penh
(Cambodge) et Bangui (République Centrafricaine), en collaboration
avec les Instituts Pasteur du Réseau International ”.
L’étude
cherche à comprendre ce qui se passe chez des individus exposés
au VIH-1, mais apparemment non infectés dans le contexte génétique
et environnemental des pays d'Asie et d'Afrique. “L'exposition continue
des populations de ces pays à des agents infectieux a une incidence
sur l'état d'activation immunitaire et la réponse immune”. “Ce terrain
immunologique particulier pourrait favoriser, a souligné le Pr.
Barré-Sénoussi, le contrôle de l'infection VIH-1 par l'intermédiaire
de réponses innées et (ou) de réponses spécifiques”.
URGENCES
MEDICALES ET PREVENTIVES
“Nous devons poursuivre, de façon plus ardue et pointue, afin d’arriver
un jour le plus proche possible à la mise au point de traitements
appropriés et moins coûteux pour la prise en charge des patients”,
a dit le Pr. Barré-Sénoussi. Selon elle, “il y a des urgences médicales
et préventives auxquelles il faut faire face et là, nous devons
mieux connaître les déterminants de la transmission du VIH dans
laquelle il y a encore des zones d’ombre”. “Les virus recombinants
jouent un rôle important dans la dynamique de l’infection”, a, pour
sa part, précisé le Pr. Souleymane Mboup. Cela devrait mieux asseoir
la compréhension de l’épidémiologie du VIH/SIDA et, aussi, l’ajustement
de la recherche sur le vaccin. Faudra-t-il
un vaccin pouvant jouer un rôle préventif contre les deux virus
(VIH1 et VIH2), les sous-types et les formes recombinantes circulantes
inter sous-types ?
Devrait-on
donc viser plusieurs vaccins ? Le Pr. Mboup a révélé la présence
de cas d’infection à ce groupe 0 du VIH1 au Sénégal, alors que celui-ci
est concentré en Afrique centrale, notamment au Cameroun et dans
les pays qui lui sont riverains. “Nous voyons également, a ajouté
le Pr. Mboup, la complexité des souches virales et des recombinaisons
de sous-types qui se recombinent…”
CONNECTIONS
SCIENTIFIQUES
Le
spécialiste sénégalais a, à l’examen de résultats de plusieurs études
grâce aux “connections” scientifiques établies par le réseau africain
de recherche sur le SIDA (RARS), précisé que l’on voit peu à peu
la diversité génétique et ses conséquences multiples qui doivent
être prises en compte dans les traitements antirétroviraux, notamment
dans la résistance et la recherche sur le vaccin. Le virologue sénégalais
a aussi dit “que dans la région ouest africaine où l’on assiste
à une diversité plus grande de sous-types, l’épidémie s’étend avec
une lenteur relative tandis que c’est le contraire en Afrique australe
(Afrique du Sud, Botswana, Zimbabwe), où l’épidémie de l’infection
à VIH s’est propagée et continue de le faire de façon fulgurante”.
Il s’est aussi attelé à expliquer la présence d’une possible parenté
entre le virus de l’immunodéficience humaine et celui de l’immunodéficience
simienne (chez le singe). Cette thèse est de plus en plus “prenable”.
Le Pr. Mboup est revenu sur des études dont celle qui a été menée
en RDC par des chercheurs africains et européens parmi lesquels
les membres de l’équipe du Pr. Eric Delaporte de l’IRD (Ex-ORSTOM)
de Montpellier (France) ; “au regard des données obtenues, il apparaît
que si une souche virale (groupe M, sous-type A) y prédomine, avec
une prévalence un peu supérieure à 50 %, tous les sous-types du
VIH1, connus à ce jour, sont présents dans ce pays”.
GRANDE VARIABILITE VIRALE
“Au sein même des 10 sous-types viraux circulant en RDC, les chercheurs,
dit-il, ont mis en évidence une grande variabilité génétique ainsi
que de nombreux virus recombinants. “Par ailleurs, certaines souches
virales isolées n'appartiennent à aucun des différents sous-types
viraux pour l'heure identifiés”. “En RDC, le Dr Mulanga a vu, à
Kinshasa, que c’est le sous-type A qui prédomine, suivi par les
sous-types F, G et D”. Une telle variabilité génétique n'a jamais
été observée dans les autres pays du continent africain, notamment
en Afrique de l'Est, de l'Ouest ou Centrale.
“Au Sénégal, 85 % des souches qui y circulent sont des souches recombinantes”,
a révélé le Pr. Souleymane Mboup. Dans ces régions, les souches
virales sont beaucoup moins diversifiées et, souvent, un ou quelques
sous-types du virus dominent très largement le paysage épidémiologique.
“Ces
résultats, a expliqué le chercheur, contribuent à une meilleure
connaissance de l'histoire du SIDA et la possibilité qu’une telle
diversité de souches virales résulte d'un long processus de mutation.
Ainsi, on dirait que “le VIH 1 serait présent de longue date dans
cette région d'Afrique Centrale qui serait alors le berceau de la
pandémie”.
M.
Mboup a ainsi indiqué que la phylogénie moléculaire a mis en évidence
des liens génétiques entre les différents virus des singes et les
VIH qui induisent le SIDA chez l’humain (voir encadré). Cela montre
encore d’autres difficultés à surmonter afin de mieux pister la
circulation de tous ses groupes de souches et leurs sous-types,
mais aussi les relations entre l’homme et l’animal…
En
ce qui concerne le vaccin, le Pr. Souleymane Mboup a expliqué que
depuis dix ans, plusieurs types de vaccins sont à l’étude. Certains
de ces vaccins tentent de provoquer des réponses des anticorps contre
des protéines de l'enveloppe du virus comme la glycoprotéine gp120.
C'est le cas pour le vaccin actuellement testé aux Etats-Unis, dans
un essai de phase III. D’autres sont en cours d'essais à travers
l’utilisation de virus inoffensifs pour l'être humain, en guise
de vecteurs vivants porteurs d'éléments du VIH.
“Il
est clair qu’il n’y a pas encore de vaccin en phase 3 et qu’il faudra
se mettre sur un vaccin adapté aux différentes souches du virus”,
a déclaré le Pr. Mboup. Le Pr. Bèye, modérateur des débats avec
le Dr Alioune Guèye de l’Insitut Pasteur, s’est prudemment avancé
pour dire qu’il y a une possibilité d’utiliser le VIH2, “moins virulent”,
vivant atténué pour un vaccin… [- * Les rétrovirus sont des virus
à ARN, caractérisés par la présence d’une enzyme, la transcriptase
reverse qui, comme une clé, lui permet d’ouvrir le lymphocyte ou
globule blanc, afin de copier l’ADN de la cellule humaine infectée,
à partir de son ARN viral. Cet ARN néoformé s’intègre de manière
stable dans l’ADN chromosomique de la cellule humaine, devenant
alors un proxivirus qui se comporte comme un gène de la cellule
infectée. C’est de là que démarre la multiplication du VIH. (Source
: Med. Tropicale / Flammarion/Pr Marc Gentilini/P435) - Sources:
thèse de doctorat sur le virus de l’immunodéficience humaine type
VIH1 au Sénégal : diversité génétique, place des recombinants et
implications dans l’émergence de résistance au traitement antirétroviral
(Dr Ndèye Coumba Touré-Kane)] FARA DIAW
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l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=12877&index__edition=9552
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