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Assurance maladie universelle (AMU) - Notre voie - Côte d'Ivoire - 13/05/02

Voici le regard critique de la France Sous la direction de Claude Evin, une mission a été effectuée, du 3 au 9 mars 2002, à Abidjan pour le compte du ministère des Affaires étrangères de la République française. Cette mission, pilotée par la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) dudit ministère, a porté sur “la mise en place de l’Assurance maladie universelle en Côte d’Ivoire”. Nous livrons, ici, l’intégralité du rapport dont nous avons pu avoir copie.

LE CONTEXTE DE LA MISSION

Les autorités de Côte d'Ivoire ont décidé de créer une assurance maladie universelle afin de garantir à l'ensemble de la population un véritable accès aux soins. A cette fin, l'Assemblée nationale a adopté un texte de loi en octobre 2001. Cette loi n° 2001-636 portant institution, organisation et fonctionnement de l'Assurance maladie universelle a été promulguée le 9 octobre 2001. La mission que nous avons réalisée du 3 au 9 mars 2002 avait pour but d'apprécier le projet ainsi que son état d'avancement et de formuler des recommandations stratégiques, voire d'envisager des actions de coopération technique qui pourraient être utiles aux autorités ivoiriennes. Nous avons, au cours de cette mission, pu rencontrer Monsieur le président de la République, Monsieur le Premier ministre, ainsi qu'une délégation de plusieurs députés. Nous avons eu plusieurs rencontres de travail avec Madame la ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, ainsi qu'avec plusieurs de ses collaborateurs. Nous avons rencontré Monsieur le ministre de la Santé publique, Madame la ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de la lutte contre le sida, ainsi que Monsieur le ministre de l'Agriculture. Nous avons aussi rencontré des représentants du patronat et d'organisations de salariés. Enfin, nous avons participé à plusieurs séances de travail dc l'atelier de restitution des travaux du Comité de pilotage de l'Assurance maladie universelle qui s'est tenu à Grand-Bassam du 5 au 7 mars. Nous avons, par ailleurs, rencontré Monsieur le directeur du bureau de l'OIT pour le Conseil de l'Entente, équipe multidisciplinaire pour l'Afrique de l'Ouest, ainsi que Monsieur le représentant du FMI à Abidjan.

2. LE PROJET D'ASSURANCE MALADIE UNIVERSELLE

2.1 Un projet ambitieux dont les objectifs doivent être soutenus

L'Assurance maladie universelle a pour objectif de répondre au constat d'une inégalité aujourd'hui flagrante en Côte d'lvoire concernant l'accès aux soins selon que les populations ont ou non des revenus identifiés et stables. Cette difficulté à pouvoir financer certains soins conduit les personnes sans revenus à y renoncer. Par ailleurs, les personnes qui disposent de revenus sont appelées, dans le cadre de la solidarité familiale, à payer ponctuellement les soins de leurs proches sans ressources. Il s'agit donc pour le gouvernement ivoirien de mettre en œuvre une démarche de solidarité nationale dans un souci de justice sociale et d'amélioration de l'accès aux soins pour répondre à une préoccupation de santé publique et de lutte contre la pauvreté.

L'objectif est ambitieux. Il correspond à des besoins que personne ne saurait contester. D'ailleurs, parmi nos interlocuteurs non gouvernementaux, nous n'avons rencontré personne qui ait remis en cause la générosité de cet objectif, les critiques formulées, notamment par les représentants du patronat et des organisations syndicales de salariés, portent, par contre, sur l'architecture du projet et sur le calendrier de mise en oeuvre, ainsi que sur leur faible implication dans ce projet de la part du gouvernement. Il s'agit vraisemblablement d'un projet qu'aucun autre gouvernement de la région n'a, à ce jour, exprimé de manière aussi ample. La réussite ou l'échec d'un tel projet ne manquera pas d'avoir des conséquences non seulement au sein de la Côte d'Ivoire mais aussi parmi les pays environnants qui se posent de plus en plus la question de l'amélioration de l'accès aux soins pour leur population. Il faut rappeler que ce projet répond à l'objectif d'extension de la protection sociale affirmé par l'Organisation internationale du travail dans la résolution que l'Assemblée générale a adoptée en juin 2001.

2.2 Un projet qui pour réussir doit être mis en place progressivement

La loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001 portant institution, organisation et fonctionnement de l'Assurance maladie universelle fixe le cadre dans lequel ont commencé à travailler les autorités de Côte d'lvoire. Le principe affirmé dans cette loi est de garantir à “toute personne résidant sur le territoire ivoirien la couverture des risques liés à la maladie et à la maternité ” (art. 1). Il est, par ailleurs, prévu de faire bénéficier de l'AMU les personnes de nationalité étrangère “en situation régulière au regard de la législation sur le séjour des étrangers en Côte d'Ivoire” (art. 2). L'affiliation à cette assurance maladie est obligatoire (art. 1).

Concernant l'architecture du système, la loi prévoit que l'Assurance maladie universelle soit organisée sur le plan national autour de deux régimes : l'un pour le secteur agricole, l'autre pour tous les autres secteurs (art. 6). Deux caisses nationales en assureront l'organisation administrative. Le recouvrement et la gestion des ressources financières seront organisés par une institution commune aux deux régimes, le Fonds national de l'Assurance maladie universelle (art. 13). Dans l'esprit de plusieurs responsables ivoiriens, ainsi que dans la perception que nous ont retraduit notamment les représentants du patronat et des organisations syndicales, le calendrier de démarrage de ce dispositif semble être très court. La loi fixe, en effet, des échéances : l'article 98 de la loi précise, en effet, que “des décrets détermineront les dates auxquelles entreront en vigueur les dispositions de la présente loi. Ces dates ne pouvant excéder un délai de 12 mois”. Par ailleurs, l'article 99 de la loi prévoit un délai de carence de six mois entre le moment où les cotisations seront commencées à être prélevées et le moment où les dispositions relatives aux prestations de chacun des régimes pourront prendre effet. La date du 1er juin a été évoquée par des responsables et semble avoir été retenue par la population pour marquer le démarrage de l'AMU sans toutefois que les éléments marquant ce démarrage soient précisés.

ll est évident qu'un projet d'une telle ampleur ne peut se mettre en place dans des délais aussi courts, d'une part compte tenu de la complexité d'un tel système si on veut en éviter les effets pervers, et ce, quel que soit le pays qui le met en œuvre, mais aussi compte tenu de la faiblesse de l'offre de soins dans certaines régions et vis-à-vis de certaines populations de Côte d'Ivoire. Il serait dangereux politiquement pour les autorités ivoiriennes et pour la crédibilité du projet lui-même que la mise en place de l'AMU ne puisse se traduire par une véritable amélioration de l'accès aux soins rapidement perceptible par la population qui n'est pas ou insuffisamment couverte aujourd'hui. On peut penser que pour mettre en place un tel dispositif, il faille prendre plus de temps et que la démarche soit organisée par paliers permettant de construire progressivement des mécanismes de solidarité, dans un premier temps certes plus limités, mais suffisamment solides pour que soient ainsi construites les fondations de l'édifice final que la Côte d'Ivoire vient d'inscrire dans sa législation.

Nous avons, au cours de notre séjour à Abidjan, formulé cette recommandation aux différents responsables gouvernementaux rencontrés. Monsieur le président de la République, ainsi que Monsieur le Premier ministre nous ont confirmé qu'il s'agissait bien pour eux aussi de respecter cette progressivité dans la démarche afin de garantir la réussite du projet à la fois compte tenu de leur souci de répondre concrètement aux attentes des Ivoiriens et au regard de ce que la démarche a d'original dans la région. En tout état de cause, les travaux de restitution de différentes composantes du Comité de pilotage de l'AMU à Grand-Bassam ont révélé que, sur de nombreux sujets, l'état d'avancement de la mise en place du dispositif ne permettrait pas de respecter le calendrier affiché, indépendamment du fait qu'aucune évaluation économique de ce projet ne nous a été présentée.

2.3 Un projet dont certains des éléments de l'architecture nous semblent discutables

Notre mission s'étant située après l'adoption du projet de loi par l'Assemblée nationale, nous n'ignorons naturellement pas la force de ce texte et la difficulté que représenterait sa modification. Les éléments critiques que nous formulerons ont plutôt pour objectif d'offrir des sujets de réflexion et d'inflexion dans la mise en oeuvre du dispositif.

- La loi prévoit que tous les Ivoiriens soient affiliés à l'Assurance maladie universelle même s'ils sont aujourd'hui couverts par un autre système: Mutuelles, entreprises d'assurances ou institutions de prévoyance. Ces organismes sont renvoyés à la prise en charge de la couverture complémentaire (art. 4). Ce choix pose problème aux secteurs d'activités déjà couverts et qui estiment que la mise en place de l'AMU ne pourra, dans la réalité, se substituer aux couvertures sociales existantes et représentera un prélèvement supplémentaire.

Permettre aux organismes qui assurent déjà des populations selon certains critères à but non lucratif (mutuelles ou institutions de prévoyance sociale) voire même permettre à de nouveaux organismes de mettre en place une couverture pour des populations non couvertes pourrait contribuer à répondre à l’objectif d’extension de la protection sociale sans passer, du moins dans un premier temps, par la mise en place d’un mécanisme lourd tel que prévu par la loi. Ces organismes pourraient être délégués par les caisses nationales pour exercer la mission de gestion du régime pour le compte des personnes du secteur concerné.

A titre de comparaison, en France, les fonctionnaires bénéficient de la couverture maladie dans le cadre de mutuelles qui remplissent la mission de gestion à la fois de la couverture de base et de la couverture complémentaire (voir par exemple, la Mutuelle générale de l'éducation nationale - MGEN). Cette démarche a l'avantage de diversifier les modalités de gestion. Il est, par ailleurs, possible de prévoir des mécanismes de compensation entre systèmes afin d'assurer la solidarité du financement entre des catégories socioprofessionnelles qui ont des évolutions démographiques différentes. Nous avons bien noté que “l'option Caisse corrige les disparités sociales et assure une harmonie entre les différentes couches sociales”. Mais cet objectif d'harmonie entre les différentes couches sociales peut aussi trouver sa concrétisation dans des mécanismes de conventionnement entre les caisses et des organismes tels que les mutuelles ou les IPS assurant la couverture de certaines populations pour le compte de l'AMU.

- Le texte de loi prévoit que la gestion de l'Assurance maladie universelle est organisée par des caisses nationales mais ne prévoit pas d'organisations régionales de ces caisses. A titre de comparaison, en France, si les caisses nationales assurent l'homogénéité du système et ont notamment la fonction de la négociation avec les prestataires de services de santé, il existe aussi des caisses régionales ou locales qui permettent une gestion plus proche des assurés sociaux. Ces caisses ne sont pas seulement une déconcentration de la gestion administrative nationale puisqu'elles sont administrées par des conseils d'administration représentants aussi à ce niveau les assurés concernés. Au moment où la Côte d'Ivoire s'engage dans un mouvement de décentralisation de sa gestion administrative, se poser la même question concernant la gestion de l'Assurance maladie pourrait être utile pour éviter de s'enfermer dans la création d'une institution trop centralisée.

- Le choix a été fait de ne pas retenir la notion d'ayant droit, mais de considérer que toute personne quel que soit son statut ou son âge serait affiliée à l'AMU et paierait une cotisation proportionnelle ou forfaitaire ou que quelqu'un paierait pour elle. Si ce choix semble correspondre à une volonté d'éviter les fraudes aux prestations, il risque de conduire à ce que le prélèvement sur les personnes disposant de revenus soit, non pas, en réalité, proportionnel à ce revenu, mais proportionnel à la charge familiale qu'a cette personne : nombre d'enfants, nombre de membres de sa famille à sa charge. Cette situation risque d'être insupportable pour des personnes qui, certes sont aujourd'hui appelées à manifester leur solidarité familiale lorsque des proches sans revenus sont malades mais qui demain verraient leurs revenus salariaux être fortement grevés par des prélèvements obligatoires. Il n'est pas certain qu'une telle situation évite davantage les risques de fraude.

- D'autres questions nous sont apparues à la lecture du texte de loi. Nous les évoquerons succinctement sans être exhaustif sur l'ensemble des points qui peuvent soulever débat : L'article 31 prévoit qu’“en cas de non-exécution de la mise en demeure, les ministres de tutelle peuvent demander aux organisations professionnelles de pourvoir au remplacement de leurs représentants”. Pourquoi cette disposition ne s'appliquerait-elle pas aussi aux organisations patronales qui siègent dans les conseils à coté des organisations professionnelles et de l'Etat (voir les art. 15 et 16) L'article 46, qui a été modifié par amendement lors du débat à l'Assemblée nationale, prévoit qu’“un assuré social qui perçoit des revenus non salariaux est prélevé uniquement sur le revenu le plus élevé”. La justification sociale de cette disposition ne nous est pas apparue évidente. L'article 75 ne cite parmi les professionnels de santé dont les actes sont pris en charge au titre de l'AMU que les médecins, chirurgiens dentistes et laboratoires “régulièrement inscrits en cette qualité”. Aucune autre profession médicale ou para médicale n'est citée, ce qui semble donc exclure, ou du moins priver de base légale, la prise en charge des soins réalisés par des sages-femmes, infirmiers (ères), kinésithérapeutes qui exerceraient en secteur privé ... L'articulation entre les conventions prévues à l'article 78 et le règlement conventionnel minimal prévu à l'article 79 n'apparaît pas.

Qu'est-ce qui différencie l'un de l'autre ? Dans le droit français de la sécurité sociale, dont semblent s’inspirer ces deux mécanismes, le règlement conventionnel minimal s’applique lorsqu’il n’existe pas de convention conclue entre les caisses de sécurité sociale et des organisations syndicales représentatives d’un secteur professionnel. Le fait que les prestations soient contrôlées par les caisses et que le paiement aux prestataires soit assuré par le Fonds national d’Assurance maladie nous semble devoir être source de difficultés de contrôle.

3. La création d’un système de financement socialise de l’accès aux soins nécessite qu’un certain nombre de précautions soient prises lors de sa mise en place

Nous avons, au cours de nos différents entretiens, rappelé que, outre la situation éventuellement spécifique à la Côte d'Ivoire, des constantes devaient être connues afin d'apprécier les enjeux de la mise en place de l'AMU et prendre ainsi des précautions lors de la mise en place des institutions et des mécanismes qui l'organiseront. Différents entretiens avec des acteurs potentiels de cette AMU, ainsi que la lecture des comptes-rendus des travaux des différentes composantes du Comité de pilotage de l'AMU, ainsi que la participation au séminaire de restitution de ces travaux à Grand-Bassam nous amènent à formuler ici quelques-une de ces constantes sur lesquelles il nous semble nécessaire d'attirer l'attention des autorités ivoiriennes.

3.1 La mise en place d'un financement socialisé a des effets inflationnistes sur les dépenses de santé si les mécanismes permettant de maîtriser l'évolution de ces dépenses ne sont pas suffisamment organisés.

La demande de soins pour une personne qui souffre est en effet par principe illimitée. Si une insuffisance de revenus restreint aujourd'hui la demande, la mise en place d'un financement garanti par la collectivité peut engendrer des réflexes de “consommateurs de soins” si l'assuré social n'est pas limité dans le recours aux soins qui sont pris en charge par l'AMU. Les professionnels de santé et les établissements de soins peuvent avoir aussi la même démarche symétrique. Il est donc nécessaire que des règles concernant aussi bien l'accès des patients à ces soins que la responsabilité des prestataires de soins d'engager des dépenses prises en charge par l'assurance maladie soient clairement définies. La liberté de choix du prestataire de service de santé par le patient, ainsi que la totale liberté de prescriptions pour ce prestataire sont incompatibles avec un financement garanti par la collectivité.

De ce point de vue, l’article 75 de la loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001 portant institution, organisation et fonctionnement de l'Assurance maladie universelle prévoit que “seuls sont pris en charge au titre de l'AMU les soins, actes et prescriptions effectués par les médecins, chirurgiens dentistes et laboratoires inscrits en cette qualité. [...]”. La liste des professionnels de santé dont les actes et prescriptions peuvent être pris en charge doit être établie avec précaution en fonction de critères de bonne répartition de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire. La même observation vaut pour les établissements de santé (art. 85). Concernant les assurés sociaux, le projet prévoit dans les travaux de la composante santé du Comité de pilotage que l'accessibilité se fera selon les différents niveaux de la pyramide sanitaire.

Un tel principe ne vaut que si ces différents niveaux fonctionnent effectivement, car c'est bien souvent l'absence de réponse sanitaire de premier niveau qui conduit les personnes malades à s'adresser directement au niveau le plus élevé, ce qui n'est satisfaisant ni sur le plan de l'efficacité, ni sur le plan économique. Par ailleurs, une telle règle ne précise en rien quelle est l'articulation entre les soins pris en charge lorsqu'ils ont été réalisés dans le secteur public et les soins pris en charge lorsqu'ils sont réalisés dans le secteur privé. Au titre des précautions concernant la maîtrise des coûts de santé, il est nécessaire d'évoquer la question du médicament. Le remboursement exclusif des génériques doit être la règle retenue lorsque ceux-ci existent pour le traitement d'une pathologie déterminée. Une telle décision doit être accompagnée de la formation des prescripteurs à formuler leurs prescriptions en “Dénomination commune internationale” (DCI), et que l'approvisionnement du pays en génériques fasse partie des orientations de la politique de santé publique mises en oeuvre par le gouvernement. Si l'objectif est bien de faire financer par la solidarité nationale ce qui est nécessaire et utile à la santé de la population, cette solidarité nationale n'a pas à être mobilisée pour financer des soins inutiles.

La mise en place de l'AMU nécessite que soient diffusées aux professionnels de santé des recommandations de bonne pratique afin qu'ils observent “la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l'efficacité des soins” comme cela est affirmé à l'article 76 de la loi. A cette fin, des actions de formation médicale continue doivent être prévues de manière obligatoire pour l'ensemble des médecins habilités à fournir des prestations dont la prise en charge est assurée par l'AMU. Malgré la mise en place de mécanismes de maîtrise de l'évolution de la dépense, la consommation de soins a tendance à augmenter lorsque le financement de cette consommation est socialisé comparativement à ce qu'il était en l'absence de ce financement.

En d'autres termes, l'appréciation des coûts de la mise en place de l'AMU sur la base de la consommation actuelle de santé nécessite pour être réaliste d'être multipliée au moins par 3 ou 4. 3.2 Certains modes de “rémunération” des professionnels de santé par les organismes d'Assurance maladie ont plus d'effets inflationnistes que d'autres. C'est ainsi que le remboursement des soins reçus dans le secteur privé sur la base d'une facturation à l'acte coûtera beaucoup plus cher qu'un remboursement sur une base forfaitaire à la capitation correspondant par exemple à la prise en charge d'une population définie ou éventuellement d'une pathologie précise. Or, de ce point de vue, la reprise par la composante santé d'une proposition de “Nomenclature générale des actes professionnels des médecins chirurgiens dentistes, sages-femmes, infirmiers (ères) et auxiliaires médicaux” qui s'inspire de l'architecture de la NGAP française nous semble inadaptée au démarrage d'un système qui tend à améliorer progressivement la couverture maladie à des populations non couvertes aujourd'hui.

En tout état de cause, même pour les populations déjà couvertes, la facturation à l'acte est inflationniste. 3.3 Le financement doit être assis sur des recettes sûres et pérennes. Il est dangereux que le financement de l'Assurance maladie soit exclusivement garanti par des prélèvements qui seraient trop sensibles à des fluctuations économiques. C'est la raison pour laquelle, en France, nous sommes passés d'un prélèvement uniquement assis sur les salaires à un prélèvement sur l'ensemble des revenus. Il est utile qu'en Côte d'Ivoire, on veille à ce que la part de financement de l'AMU qui sera assise sur certaines activités ou types de production ne soit pas trop déterminante mais que soient diversifiées les sources de financement.

A titre d'exemple, le bon niveau de recettes actuellement envisageable sur la production de café, de cacao et de coton ne peut garantir un financement sur plusieurs années. L'utilisation de ces recettes sous la forme d'un prélèvement par filière ou à l'exportation doit, par exemple, être sécurisée par des cotisations perçues directement auprès des producteurs eux-mêmes ou, pour le moins, à travers leurs coopératives. Une telle perception aurait de plus l'avantage de donner aux assurés ainsi couverts le sentiment de concrètement contribuer au financement de leur caisse d'assurance maladie davantage que lorsque le financement est assuré par un prélèvement fiscal.

En conclusion

Nous avons recommandé aux autorités ivoiriennes de prévoir la mise en place de l'Assurance maladie universelle selon un calendrier plus étalé et de le faire par palier.

- Il nous semble nécessaire de commencer par envisager de fournir d'abord à la population qui ne dispose pas de couverture maladie un système qui lui permette de bénéficier de ces droits. Les agriculteurs nous sembleraient constituer la première population qui pourrait bénéficier de cette démarche d'autant que des actions d'information et de sensibilisation ont déjà commencé auprès de certaines populations rurales.

- Les populations actuellement couvertes, mêmes insuffisamment, devraient pouvoir continuer de bénéficier de leurs propres mécanismes. Il serait dangereux de supprimer ce qui existe déjà et qui remplit une fonction, qui n'est certes peut-être pas de solidarité nationale, mais qui permet un accès aux soins pour une part de la population. Le risque de contestations sociales que ferait encourir une telle suppression ne serait certainement pas compensé par l'amélioration de l'efficacité du service rendu à ces populations par le nouveau système. Toute incitation à la création de mécanismes nouveaux (du type mutuelle) devrait pouvoir continuer d'être soutenue afin d'améliorer ainsi la couverture d'assurance maladie et aller progressivement vers l'AMU par conventionnement avec les caisses lorsque celles-ci auront pris “leur vitesse de croisière”. Une plus grande association des partenaires sociaux structurés (organisations patronales et de salariés du secteur formel privé) nous semblerait utile à une meilleure implication de leur part dans le processus qu'engagent les autorités de Côte d'Ivoire avec ce projet.

- Il nous semble nécessaire de commencer la prise en charge en la limitant à quelques prestations. L'accès aux médicaments semble être la préoccupation première de très nombreux Ivoiriens. Un mécanisme permettant de garantir cet accès par un mécanisme de solidarité serait certainement utile, à condition que l'ensemble de la filière du médicament en Côte d'lvoire soit organisée à cette fin notamment concernant l'approvisionnement et la prescription et la distribution de génériques.

- Quelles que soient les populations et la ou les prestations retenues dans une première étape, il est absolument impératif d'expérimenter le dispositif mis en place à une échelle limitée.

- L'objectif d'une assurance maladie universelle étant d'améliorer l'accès financier aux soins, il est nécessaire que l'amélioration de la qualité de l'offre de soins précède la mise en place de l'AMU ou au moins soit menée parallèlement. Quelle serait la crédibilité d'un système de financement qui ne pourrait permettre l'accès à des prestations parce que celles-ci ou les prestataires de service de santé chargés de les mettre en oeuvre n'existeraient pas ou auraient des équipements inutilisables ? La question de la qualité des plateaux techniques et celle relative au fonctionnement effectif des centres de santé doivent être traitées de toute urgence. La mise en place de démarches communautaires autour de ces centres pourrait présenter un intérêt afin de mobiliser la population à la prise en charge de ses soins et de son financement.

- La mise en place de certaines fonctions : recouvrement, identification, contrôle médical ... vont nécessiter la mobilisation de compétences dont certaines existent déjà directement ou indirectement sur la Côte d'lvoire : CNSS, CIFCOSS, CIPRES. Il serait opportun qu'il leur soit fait appel pour préparer des procédures ou former du personnel. D'autres compétences peuvent aussi être sollicitées : BIT, ADECRI ...

- Un appui technique serait toutefois nécessaire le plus vite possible auprès de Madarne la ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale afin de l'aider à répondre à un certain nombre de contraintes auxquelles elle est confrontée même dans l'hypothèse du choix de la mise en place progressive du dispositif. Pour être véritablement utile, le choix du conseiller technique devrait se porter sur quelqu'un de rapidement opérationnel. Son rôle serait celui d'un ensemblier susceptible en tant que de besoin de faire appel à des compétences techniques précises mais ponctuelles. La France et le BIT gagneraient à apparaître ensemble pour apporter cet appui technique aux autorités de la Côte d'lvoire, tant, comme nous l'avons indiqué au début de notre rapport, si ce projet d'Assurance maladie universelle répond à un objectif louable qui mérite d'être soutenu, les conditions de son démarrage nécessitent une grande prudence.

Lire l'article original : www.notrevoie.ci/story.asp?ID=5218

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