Voici
le regard critique de la France Sous la direction de Claude Evin,
une mission a été effectuée, du 3 au 9 mars 2002, à Abidjan pour
le compte du ministère des Affaires étrangères de la République
française. Cette mission, pilotée par la Direction générale de la
coopération internationale et du développement (DGCID) dudit ministère,
a porté sur “la mise en place de l’Assurance maladie universelle
en Côte d’Ivoire”. Nous livrons, ici, l’intégralité du rapport dont
nous avons pu avoir copie.
LE
CONTEXTE DE LA MISSION
Les
autorités de Côte d'Ivoire ont décidé de créer une assurance maladie
universelle afin de garantir à l'ensemble de la population un véritable
accès aux soins. A cette fin, l'Assemblée nationale a adopté un
texte de loi en octobre 2001. Cette loi n° 2001-636 portant institution,
organisation et fonctionnement de l'Assurance maladie universelle
a été promulguée le 9 octobre 2001. La mission que nous avons réalisée
du 3 au 9 mars 2002 avait pour but d'apprécier le projet ainsi que
son état d'avancement et de formuler des recommandations stratégiques,
voire d'envisager des actions de coopération technique qui pourraient
être utiles aux autorités ivoiriennes. Nous avons, au cours de cette
mission, pu rencontrer Monsieur le président de la République, Monsieur
le Premier ministre, ainsi qu'une délégation de plusieurs députés.
Nous avons eu plusieurs rencontres de travail avec Madame la ministre
des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, ainsi qu'avec
plusieurs de ses collaborateurs. Nous avons rencontré Monsieur le
ministre de la Santé publique, Madame la ministre déléguée auprès
du Premier ministre chargée de la lutte contre le sida, ainsi que
Monsieur le ministre de l'Agriculture. Nous avons aussi rencontré
des représentants du patronat et d'organisations de salariés. Enfin,
nous avons participé à plusieurs séances de travail dc l'atelier
de restitution des travaux du Comité de pilotage de l'Assurance
maladie universelle qui s'est tenu à Grand-Bassam du 5 au 7 mars.
Nous avons, par ailleurs, rencontré Monsieur le directeur du bureau
de l'OIT pour le Conseil de l'Entente, équipe multidisciplinaire
pour l'Afrique de l'Ouest, ainsi que Monsieur le représentant du
FMI à Abidjan.
2.
LE PROJET D'ASSURANCE MALADIE UNIVERSELLE
2.1
Un projet ambitieux dont les objectifs doivent être soutenus
L'Assurance maladie universelle a pour objectif de répondre au constat
d'une inégalité aujourd'hui flagrante en Côte d'lvoire concernant
l'accès aux soins selon que les populations ont ou non des revenus
identifiés et stables. Cette difficulté à pouvoir financer certains
soins conduit les personnes sans revenus à y renoncer. Par ailleurs,
les personnes qui disposent de revenus sont appelées, dans le cadre
de la solidarité familiale, à payer ponctuellement les soins de
leurs proches sans ressources. Il s'agit donc pour le gouvernement
ivoirien de mettre en œuvre une démarche de solidarité nationale
dans un souci de justice sociale et d'amélioration de l'accès aux
soins pour répondre à une préoccupation de santé publique et de
lutte contre la pauvreté.
L'objectif
est ambitieux. Il correspond à des besoins que personne ne saurait
contester. D'ailleurs, parmi nos interlocuteurs non gouvernementaux,
nous n'avons rencontré personne qui ait remis en cause la générosité
de cet objectif, les critiques formulées, notamment par les représentants
du patronat et des organisations syndicales de salariés, portent,
par contre, sur l'architecture du projet et sur le calendrier de
mise en oeuvre, ainsi que sur leur faible implication dans ce projet
de la part du gouvernement. Il s'agit vraisemblablement d'un projet
qu'aucun autre gouvernement de la région n'a, à ce jour, exprimé
de manière aussi ample. La réussite ou l'échec d'un tel projet ne
manquera pas d'avoir des conséquences non seulement au sein de la
Côte d'Ivoire mais aussi parmi les pays environnants qui se posent
de plus en plus la question de l'amélioration de l'accès aux soins
pour leur population. Il faut rappeler que ce projet répond à l'objectif
d'extension de la protection sociale affirmé par l'Organisation
internationale du travail dans la résolution que l'Assemblée générale
a adoptée en juin 2001.
2.2
Un projet qui pour réussir doit être mis en place progressivement
La
loi n° 2001-636 du 9 octobre 2001 portant institution, organisation
et fonctionnement de l'Assurance maladie universelle fixe le cadre
dans lequel ont commencé à travailler les autorités de Côte d'lvoire.
Le principe affirmé dans cette loi est de garantir à “toute personne
résidant sur le territoire ivoirien la couverture des risques liés
à la maladie et à la maternité ” (art. 1). Il est, par ailleurs,
prévu de faire bénéficier de l'AMU les personnes de nationalité
étrangère “en situation régulière au regard de la législation sur
le séjour des étrangers en Côte d'Ivoire” (art. 2). L'affiliation
à cette assurance maladie est obligatoire (art. 1).
Concernant
l'architecture du système, la loi prévoit que l'Assurance maladie
universelle soit organisée sur le plan national autour de deux régimes
: l'un pour le secteur agricole, l'autre pour tous les autres secteurs
(art. 6). Deux caisses nationales en assureront l'organisation administrative.
Le recouvrement et la gestion des ressources financières seront
organisés par une institution commune aux deux régimes, le Fonds
national de l'Assurance maladie universelle (art. 13). Dans l'esprit
de plusieurs responsables ivoiriens, ainsi que dans la perception
que nous ont retraduit notamment les représentants du patronat et
des organisations syndicales, le calendrier de démarrage de ce dispositif
semble être très court. La loi fixe, en effet, des échéances : l'article
98 de la loi précise, en effet, que “des décrets détermineront les
dates auxquelles entreront en vigueur les dispositions de la présente
loi. Ces dates ne pouvant excéder un délai de 12 mois”. Par ailleurs,
l'article 99 de la loi prévoit un délai de carence de six mois entre
le moment où les cotisations seront commencées à être prélevées
et le moment où les dispositions relatives aux prestations de chacun
des régimes pourront prendre effet. La date du 1er juin a été évoquée
par des responsables et semble avoir été retenue par la population
pour marquer le démarrage de l'AMU sans toutefois que les éléments
marquant ce démarrage soient précisés.
ll
est évident qu'un projet d'une telle ampleur ne peut se mettre en
place dans des délais aussi courts, d'une part compte tenu de la
complexité d'un tel système si on veut en éviter les effets pervers,
et ce, quel que soit le pays qui le met en œuvre, mais aussi compte
tenu de la faiblesse de l'offre de soins dans certaines régions
et vis-à-vis de certaines populations de Côte d'Ivoire. Il serait
dangereux politiquement pour les autorités ivoiriennes et pour la
crédibilité du projet lui-même que la mise en place de l'AMU ne
puisse se traduire par une véritable amélioration de l'accès aux
soins rapidement perceptible par la population qui n'est pas ou
insuffisamment couverte aujourd'hui. On peut penser que pour mettre
en place un tel dispositif, il faille prendre plus de temps et que
la démarche soit organisée par paliers permettant de construire
progressivement des mécanismes de solidarité, dans un premier temps
certes plus limités, mais suffisamment solides pour que soient ainsi
construites les fondations de l'édifice final que la Côte d'Ivoire
vient d'inscrire dans sa législation.
Nous avons, au cours de notre séjour à Abidjan, formulé cette recommandation
aux différents responsables gouvernementaux rencontrés. Monsieur
le président de la République, ainsi que Monsieur le Premier ministre
nous ont confirmé qu'il s'agissait bien pour eux aussi de respecter
cette progressivité dans la démarche afin de garantir la réussite
du projet à la fois compte tenu de leur souci de répondre concrètement
aux attentes des Ivoiriens et au regard de ce que la démarche a
d'original dans la région. En tout état de cause, les travaux de
restitution de différentes composantes du Comité de pilotage de
l'AMU à Grand-Bassam ont révélé que, sur de nombreux sujets, l'état
d'avancement de la mise en place du dispositif ne permettrait pas
de respecter le calendrier affiché, indépendamment du fait qu'aucune
évaluation économique de ce projet ne nous a été présentée.
2.3
Un projet dont certains des éléments de l'architecture nous semblent
discutables
Notre mission s'étant située après l'adoption du projet de loi par
l'Assemblée nationale, nous n'ignorons naturellement pas la force
de ce texte et la difficulté que représenterait sa modification.
Les éléments critiques que nous formulerons ont plutôt pour objectif
d'offrir des sujets de réflexion et d'inflexion dans la mise en
oeuvre du dispositif.
-
La loi prévoit que tous les Ivoiriens soient affiliés à l'Assurance
maladie universelle même s'ils sont aujourd'hui couverts par un
autre système: Mutuelles, entreprises d'assurances ou institutions
de prévoyance. Ces organismes sont renvoyés à la prise en charge
de la couverture complémentaire (art. 4). Ce choix pose problème
aux secteurs d'activités déjà couverts et qui estiment que la mise
en place de l'AMU ne pourra, dans la réalité, se substituer aux
couvertures sociales existantes et représentera un prélèvement supplémentaire.
Permettre
aux organismes qui assurent déjà des populations selon certains
critères à but non lucratif (mutuelles ou institutions de prévoyance
sociale) voire même permettre à de nouveaux organismes de mettre
en place une couverture pour des populations non couvertes pourrait
contribuer à répondre à l’objectif d’extension de la protection
sociale sans passer, du moins dans un premier temps, par la mise
en place d’un mécanisme lourd tel que prévu par la loi. Ces organismes
pourraient être délégués par les caisses nationales pour exercer
la mission de gestion du régime pour le compte des personnes du
secteur concerné.
A
titre de comparaison, en France, les fonctionnaires bénéficient
de la couverture maladie dans le cadre de mutuelles qui remplissent
la mission de gestion à la fois de la couverture de base et de la
couverture complémentaire (voir par exemple, la Mutuelle générale
de l'éducation nationale - MGEN). Cette démarche a l'avantage de
diversifier les modalités de gestion. Il est, par ailleurs, possible
de prévoir des mécanismes de compensation entre systèmes afin d'assurer
la solidarité du financement entre des catégories socioprofessionnelles
qui ont des évolutions démographiques différentes. Nous avons bien
noté que “l'option Caisse corrige les disparités sociales et assure
une harmonie entre les différentes couches sociales”. Mais cet objectif
d'harmonie entre les différentes couches sociales peut aussi trouver
sa concrétisation dans des mécanismes de conventionnement entre
les caisses et des organismes tels que les mutuelles ou les IPS
assurant la couverture de certaines populations pour le compte de
l'AMU.
-
Le texte de loi prévoit que la gestion de l'Assurance maladie universelle
est organisée par des caisses nationales mais ne prévoit pas d'organisations
régionales de ces caisses. A titre de comparaison, en France, si
les caisses nationales assurent l'homogénéité du système et ont
notamment la fonction de la négociation avec les prestataires de
services de santé, il existe aussi des caisses régionales ou locales
qui permettent une gestion plus proche des assurés sociaux. Ces
caisses ne sont pas seulement une déconcentration de la gestion
administrative nationale puisqu'elles sont administrées par des
conseils d'administration représentants aussi à ce niveau les assurés
concernés. Au
moment où la Côte d'Ivoire s'engage dans un mouvement de décentralisation
de sa gestion administrative, se poser la même question concernant
la gestion de l'Assurance maladie pourrait être utile pour éviter
de s'enfermer dans la création d'une institution trop centralisée.
- Le choix a été fait de ne pas retenir la notion d'ayant droit,
mais de considérer que toute personne quel que soit son statut ou
son âge serait affiliée à l'AMU et paierait une cotisation proportionnelle
ou forfaitaire ou que quelqu'un paierait pour elle. Si ce choix
semble correspondre à une volonté d'éviter les fraudes aux prestations,
il risque de conduire à ce que le prélèvement sur les personnes
disposant de revenus soit, non pas, en réalité, proportionnel à
ce revenu, mais proportionnel à la charge familiale qu'a cette personne
: nombre d'enfants, nombre de membres de sa famille à sa charge.
Cette situation risque d'être insupportable pour des personnes qui,
certes sont aujourd'hui appelées à manifester leur solidarité familiale
lorsque des proches sans revenus sont malades mais qui demain verraient
leurs revenus salariaux être fortement grevés par des prélèvements
obligatoires. Il n'est pas certain qu'une telle situation évite
davantage les risques de fraude.
-
D'autres questions nous sont apparues à la lecture du texte de loi.
Nous les évoquerons succinctement sans être exhaustif sur l'ensemble
des points qui peuvent soulever débat : L'article 31 prévoit qu’“en
cas de non-exécution de la mise en demeure, les ministres de tutelle
peuvent demander aux organisations professionnelles de pourvoir
au remplacement de leurs représentants”. Pourquoi cette disposition
ne s'appliquerait-elle pas aussi aux organisations patronales qui
siègent dans les conseils à coté des organisations professionnelles
et de l'Etat (voir les art. 15 et 16) L'article 46, qui a été modifié
par amendement lors du débat à l'Assemblée nationale, prévoit qu’“un
assuré social qui perçoit des revenus non salariaux est prélevé
uniquement sur le revenu le plus élevé”. La justification sociale
de cette disposition ne nous est pas apparue évidente. L'article
75 ne cite parmi les professionnels de santé dont les actes sont
pris en charge au titre de l'AMU que les médecins, chirurgiens dentistes
et laboratoires “régulièrement inscrits en cette qualité”. Aucune
autre profession médicale ou para médicale n'est citée, ce qui semble
donc exclure, ou du moins priver de base légale, la prise en charge
des soins réalisés par des sages-femmes, infirmiers (ères), kinésithérapeutes
qui exerceraient en secteur privé ... L'articulation entre les conventions
prévues à l'article 78 et le règlement conventionnel minimal prévu
à l'article 79 n'apparaît pas.
Qu'est-ce qui différencie l'un de l'autre ? Dans le droit français
de la sécurité sociale, dont semblent s’inspirer ces deux mécanismes,
le règlement conventionnel minimal s’applique lorsqu’il n’existe
pas de convention conclue entre les caisses de sécurité sociale
et des organisations syndicales représentatives d’un secteur professionnel.
Le fait que les prestations soient contrôlées par les caisses et
que le paiement aux prestataires soit assuré par le Fonds national
d’Assurance maladie nous semble devoir être source de difficultés
de contrôle.
3. La création d’un système de financement socialise de l’accès
aux soins nécessite qu’un certain nombre de précautions soient prises
lors de sa mise en place
Nous avons, au cours de nos différents entretiens, rappelé que,
outre la situation éventuellement spécifique à la Côte d'Ivoire,
des constantes devaient être connues afin d'apprécier les enjeux
de la mise en place de l'AMU et prendre ainsi des précautions lors
de la mise en place des institutions et des mécanismes qui l'organiseront.
Différents entretiens avec des acteurs potentiels de cette AMU,
ainsi que la lecture des comptes-rendus des travaux des différentes
composantes du Comité de pilotage de l'AMU, ainsi que la participation
au séminaire de restitution de ces travaux à Grand-Bassam nous amènent
à formuler ici quelques-une de ces constantes sur lesquelles il
nous semble nécessaire d'attirer l'attention des autorités ivoiriennes.
3.1
La mise en place d'un financement socialisé a des effets inflationnistes
sur les dépenses de santé si les mécanismes permettant de maîtriser
l'évolution de ces dépenses ne sont pas suffisamment organisés.
La
demande de soins pour une personne qui souffre est en effet par
principe illimitée. Si une insuffisance de revenus restreint aujourd'hui
la demande, la mise en place d'un financement garanti par la collectivité
peut engendrer des réflexes de “consommateurs de soins” si l'assuré
social n'est pas limité dans le recours aux soins qui sont pris
en charge par l'AMU. Les professionnels de santé et les établissements
de soins peuvent avoir aussi la même démarche symétrique. Il est
donc nécessaire que des règles concernant aussi bien l'accès des
patients à ces soins que la responsabilité des prestataires de soins
d'engager des dépenses prises en charge par l'assurance maladie
soient clairement définies. La liberté de choix du prestataire de
service de santé par le patient, ainsi que la totale liberté de
prescriptions pour ce prestataire sont incompatibles avec un financement
garanti par la collectivité.
De
ce point de vue, l’article 75 de la loi n° 2001-636 du 9 octobre
2001 portant institution, organisation et fonctionnement de l'Assurance
maladie universelle prévoit que “seuls sont pris en charge au titre
de l'AMU les soins, actes et prescriptions effectués par les médecins,
chirurgiens dentistes et laboratoires inscrits en cette qualité.
[...]”. La liste des professionnels de santé dont les actes et prescriptions
peuvent être pris en charge doit être établie avec précaution en
fonction de critères de bonne répartition de l'offre de soins sur
l'ensemble du territoire. La même observation vaut pour les établissements
de santé (art. 85). Concernant les assurés sociaux, le projet prévoit
dans les travaux de la composante santé du Comité de pilotage que
l'accessibilité se fera selon les différents niveaux de la pyramide
sanitaire.
Un
tel principe ne vaut que si ces différents niveaux fonctionnent
effectivement, car c'est bien souvent l'absence de réponse sanitaire
de premier niveau qui conduit les personnes malades à s'adresser
directement au niveau le plus élevé, ce qui n'est satisfaisant ni
sur le plan de l'efficacité, ni sur le plan économique. Par ailleurs,
une telle règle ne précise en rien quelle est l'articulation entre
les soins pris en charge lorsqu'ils ont été réalisés dans le secteur
public et les soins pris en charge lorsqu'ils sont réalisés dans
le secteur privé. Au titre des précautions concernant la maîtrise
des coûts de santé, il est nécessaire d'évoquer la question du médicament.
Le remboursement exclusif des génériques doit être la règle retenue
lorsque ceux-ci existent pour le traitement d'une pathologie déterminée.
Une telle décision doit être accompagnée de la formation des prescripteurs
à formuler leurs prescriptions en “Dénomination commune internationale”
(DCI), et que l'approvisionnement du pays en génériques fasse partie
des orientations de la politique de santé publique mises en oeuvre
par le gouvernement. Si l'objectif est bien de faire financer par
la solidarité nationale ce qui est nécessaire et utile à la santé
de la population, cette solidarité nationale n'a pas à être mobilisée
pour financer des soins inutiles.
La
mise en place de l'AMU nécessite que soient diffusées aux professionnels
de santé des recommandations de bonne pratique afin qu'ils observent
“la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité
et l'efficacité des soins” comme cela est affirmé à l'article 76
de la loi. A cette fin, des actions de formation médicale continue
doivent être prévues de manière obligatoire pour l'ensemble des
médecins habilités à fournir des prestations dont la prise en charge
est assurée par l'AMU. Malgré la mise en place de mécanismes de
maîtrise de l'évolution de la dépense, la consommation de soins
a tendance à augmenter lorsque le financement de cette consommation
est socialisé comparativement à ce qu'il était en l'absence de ce
financement.
En
d'autres termes, l'appréciation des coûts de la mise en place de
l'AMU sur la base de la consommation actuelle de santé nécessite
pour être réaliste d'être multipliée au moins par 3 ou 4. 3.2 Certains
modes de “rémunération” des professionnels de santé par les organismes
d'Assurance maladie ont plus d'effets inflationnistes que d'autres.
C'est ainsi que le remboursement des soins reçus dans le secteur
privé sur la base d'une facturation à l'acte coûtera beaucoup plus
cher qu'un remboursement sur une base forfaitaire à la capitation
correspondant par exemple à la prise en charge d'une population
définie ou éventuellement d'une pathologie précise. Or, de ce point
de vue, la reprise par la composante santé d'une proposition de
“Nomenclature générale des actes professionnels des médecins chirurgiens
dentistes, sages-femmes, infirmiers (ères) et auxiliaires médicaux”
qui s'inspire de l'architecture de la NGAP française nous semble
inadaptée au démarrage d'un système qui tend à améliorer progressivement
la couverture maladie à des populations non couvertes aujourd'hui.
En
tout état de cause, même pour les populations déjà couvertes, la
facturation à l'acte est inflationniste. 3.3 Le financement doit
être assis sur des recettes sûres et pérennes. Il est dangereux
que le financement de l'Assurance maladie soit exclusivement garanti
par des prélèvements qui seraient trop sensibles à des fluctuations
économiques. C'est la raison pour laquelle, en France, nous sommes
passés d'un prélèvement uniquement assis sur les salaires à un prélèvement
sur l'ensemble des revenus. Il est utile qu'en Côte d'Ivoire, on
veille à ce que la part de financement de l'AMU qui sera assise
sur certaines activités ou types de production ne soit pas trop
déterminante mais que soient diversifiées les sources de financement.
A
titre d'exemple, le bon niveau de recettes actuellement envisageable
sur la production de café, de cacao et de coton ne peut garantir
un financement sur plusieurs années. L'utilisation de ces recettes
sous la forme d'un prélèvement par filière ou à l'exportation doit,
par exemple, être sécurisée par des cotisations perçues directement
auprès des producteurs eux-mêmes ou, pour le moins, à travers leurs
coopératives. Une telle perception aurait de plus l'avantage de
donner aux assurés ainsi couverts le sentiment de concrètement contribuer
au financement de leur caisse d'assurance maladie davantage que
lorsque le financement est assuré par un prélèvement fiscal.
En
conclusion
Nous avons recommandé aux autorités ivoiriennes de prévoir la mise
en place de l'Assurance maladie universelle selon un calendrier
plus étalé et de le faire par palier.
-
Il nous semble nécessaire de commencer par envisager de fournir
d'abord à la population qui ne dispose pas de couverture maladie
un système qui lui permette de bénéficier de ces droits. Les agriculteurs
nous sembleraient constituer la première population qui pourrait
bénéficier de cette démarche d'autant que des actions d'information
et de sensibilisation ont déjà commencé auprès de certaines populations
rurales.
-
Les populations actuellement couvertes, mêmes insuffisamment, devraient
pouvoir continuer de bénéficier de leurs propres mécanismes. Il
serait dangereux de supprimer ce qui existe déjà et qui remplit
une fonction, qui n'est certes peut-être pas de solidarité nationale,
mais qui permet un accès aux soins pour une part de la population.
Le risque de contestations sociales que ferait encourir une telle
suppression ne serait certainement pas compensé par l'amélioration
de l'efficacité du service rendu à ces populations par le nouveau
système. Toute incitation à la création de mécanismes nouveaux (du
type mutuelle) devrait pouvoir continuer d'être soutenue afin d'améliorer
ainsi la couverture d'assurance maladie et aller progressivement
vers l'AMU par conventionnement avec les caisses lorsque celles-ci
auront pris “leur vitesse de croisière”. Une plus grande association
des partenaires sociaux structurés (organisations patronales et
de salariés du secteur formel privé) nous semblerait utile à une
meilleure implication de leur part dans le processus qu'engagent
les autorités de Côte d'Ivoire avec ce projet.
- Il nous semble nécessaire de commencer la prise en charge en la
limitant à quelques prestations. L'accès aux médicaments semble
être la préoccupation première de très nombreux Ivoiriens. Un mécanisme
permettant de garantir cet accès par un mécanisme de solidarité
serait certainement utile, à condition que l'ensemble de la filière
du médicament en Côte d'lvoire soit organisée à cette fin notamment
concernant l'approvisionnement et la prescription et la distribution
de génériques.
-
Quelles que soient les populations et la ou les prestations retenues
dans une première étape, il est absolument impératif d'expérimenter
le dispositif mis en place à une échelle limitée.
-
L'objectif d'une assurance maladie universelle étant d'améliorer
l'accès financier aux soins, il est nécessaire que l'amélioration
de la qualité de l'offre de soins précède la mise en place de l'AMU
ou au moins soit menée parallèlement. Quelle serait la crédibilité
d'un système de financement qui ne pourrait permettre l'accès à
des prestations parce que celles-ci ou les prestataires de service
de santé chargés de les mettre en oeuvre n'existeraient pas ou auraient
des équipements inutilisables ? La question de la qualité des plateaux
techniques et celle relative au fonctionnement effectif des centres
de santé doivent être traitées de toute urgence. La mise en place
de démarches communautaires autour de ces centres pourrait présenter
un intérêt afin de mobiliser la population à la prise en charge
de ses soins et de son financement.
-
La mise en place de certaines fonctions : recouvrement, identification,
contrôle médical ... vont nécessiter la mobilisation de compétences
dont certaines existent déjà directement ou indirectement sur la
Côte d'lvoire : CNSS, CIFCOSS, CIPRES. Il serait opportun qu'il
leur soit fait appel pour préparer des procédures ou former du personnel.
D'autres compétences peuvent aussi être sollicitées : BIT, ADECRI
...
- Un appui technique serait toutefois nécessaire le plus vite possible
auprès de Madarne la ministre des Affaires sociales et de la Solidarité
nationale afin de l'aider à répondre à un certain nombre de contraintes
auxquelles elle est confrontée même dans l'hypothèse du choix de
la mise en place progressive du dispositif. Pour être véritablement
utile, le choix du conseiller technique devrait se porter sur quelqu'un
de rapidement opérationnel. Son rôle serait celui d'un ensemblier
susceptible en tant que de besoin de faire appel à des compétences
techniques précises mais ponctuelles. La France et le BIT gagneraient
à apparaître ensemble pour apporter cet appui technique aux autorités
de la Côte d'lvoire, tant, comme nous l'avons indiqué au début de
notre rapport, si ce projet d'Assurance maladie universelle répond
à un objectif louable qui mérite d'être soutenu, les conditions
de son démarrage nécessitent une grande prudence.
Lire
l'article original : www.notrevoie.ci/story.asp?ID=5218
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