A
l’occasion de la journée africaine de lutte contre le paludisme
dont la cérémonie officielle a eu lieu le 25 avril dernier à Aboisso,
nous avons rencontré Dr. Niangué Joseph, directeur coordonnateur
du Programme national de lutte contre le paludisme (DCPNLP). Dans
cet entretien, il parle de la situation du paludisme dans le monde,
en Côte d’Ivoire et des stratégies pour freiner le mal.
Notre Voie : Il y a des croyances populaires,
selon lesquelles le paludisme est provoqué par la consommation de
sucre, d’huile ou d’une longue exposition sous le soleil.
Dr.
Niangué Joseph. :
Je voudrais vous dire que pour avoir un paludisme, il faut avoir
été piqué par un moustique infecté. Et que votre organisme développe,
par la suite, la maladie. C’est dire que ce n’est ni le sucre, ni
l’huile, encore moins le soleil qui donnent le paludisme. C’est
une maladie infectieuse et parasitaire.
Notre Voie : Quelle est la situation
au niveau mondial ?
Dr.
Niangué Joseph. :
Au niveau mondial d’abord, je vous dirai qu’actuellement, toutes
les 12 secondes, il y a un Africain qui meurt du paludisme. Il y
a 40% de la population mondiale qui sont exposés au risque de paludisme
; et sur ces 40% de population mondiale exposée, il y a 90% qui
sont Africains. Ce qui fait que, finalement, quand on regarde le
volume spécifique de la Côte d’Ivoire, je dirai que c’est vraiment
la première cause de consultation et c’est également la première
cause de mortalité, surtout dans les services de pédiatrie.
Notre Voie : En Côte d’Ivoire justement,
est-ce qu’on a des chiffres plus éloquents que cela ?
Dr.
Niangué Joseph. :
Moi, je ne cherche pas forcément des chiffres éloquents. Je vous
dis les chiffres tels qu’ils se présentent. Je vous dis, par exemple,
que 60% des raisons de consultation sont dus au paludisme. Quand
on regarde également les femmes enceintes, 60% des femmes enceintes
qui viennent en consultation prénatale sont anémiés pour des raisons
de paludisme. Toujours dans le même sens des femmes enceintes, on
se rend compte que 20% des enfants de ces femmes enceintes qui ont
été infectées par le paludisme naissent avec un faible poids de
naissance. Voici donc la triste situation épidémiologique. Mais
il faut aussi vous dire qu’en Côte d’Ivoire, le paludisme se transmet
toute l’année. Mais avec une recrudescence en saison de pluie. C’est
pas comme dans certains pays où il y a certaines périodes où on
n’a pas le paludisme. En Côte d’Ivoire, toute l’année, nous avons
le paludisme. L’autre fait marquant également, c’est qu’en Côte
d’Ivoire, nous avons un des moustiques qui est un très bon vecteur
du paludisme. C’est l’anophèle Gamzi. Mais, en même temps aussi,
nous avons la malchance d’avoir les parasites les plus dangereux.
Ceux qui donnent les formes les plus graves de paludisme. Le plasmodium
falciparum est présent dans au moins 80% des consultations de paludisme
dans notre pays. C’est dire que c’est une maladie qui reste endémique
chez nous et pour laquelle il est tout à fait important de développer
des stratégies pertinentes. Et il est également tout à fait important
qu’il y ait un engagement politique. Il est tout à fait important
qu’il y ait des actions vigoureuses, mais qui ne doivent pas seulement
venir des professionnels de la santé mais aussi de pratiquement
toute la communauté parce que les différents facteurs qui déterminent
l’existence même de cette maladie imposent que ce soit dans la multisectorialité
que l’on puisse venir au bout de cette maladie.
Notre Voie : Le sida bénéficie d’une
forte publicité en ce moment. Est-ce que ça ne vous cause pas de
problèmes ? Parce qu’à vous entendre, le paludisme tue autant que
le sida.
Dr.
Niangué Joseph. :
Je vous dis qu’au niveau africain, toutes les12 secondes, un enfant
meurt du paludisme. Bon, mon problème n’est pas de vouloir faire
une comparaison entre le paludisme et le sida. Je sais que la charge
émotionnelle un niveau du sida est très forte et c’est ce qui fait
aussi la différence avec le paludisme. Il y a aussi le fait que
quelqu’un qui est infecté du sida, qui présente bien les signes
du sida, a un avenir tout à fait différent de quelqu’un qui a le
paludisme pour lequel un traitement existe. Donc il y a des différences,
il y a des spécificités pour ces deux maladies. Sinon que le paludisme
reste la première cause de consultation dans nos formations hospitalières.
Notre Voie : Venons-en aux stratégies.
Vous avez fait mention de la situation épidémiologique. Maintenant,
quelle stratégie avez-vous adoptée pour faire reculer le mal ?
Dr.
Niangué Joseph. :
Nous avons trois (3) stratégies majeures. La 1ère c’est la prise
en charge précoce des malades, que ce soit dans les formations sanitaires,
que ce soit au niveau communautaire, notamment à domicile. La 2e
stratégie, c’est la prévention. Et, dans la prévention, il y a un
volet assainissement que nous essayons d’abord sous l’angle de la
multisectorialité ; et le deuxième aspect de cette prévention, c’est
la prévention à travers les médicaments, ce que nous appelons la
chimioprophilaxie. Et cette chimioprophilaxie s’adresse surtout
aux femmes enceintes et certains enfants de manière spécifique qui
sont des enfants à risque.
Notre Voie : Et comment se présente
cette chimioprophilaxie ?
Dr.
Niangué Joseph. :
Cette chimioprophilaxie chez la femme enceinte se fait à base de
chloroquine où pour la première consultation prénatale, on fait
une cure de 25 mg étalée sur 3 jours et sur la base de 10 mg le
1er jour, 10 mg le 2e jour et 5 mg le 3e jour. Donc on fait une
cure systématique. Pour me faire comprendre, si c’est des comprimés
de chloroquine 100, le premier jour, la femme prend 6 comprimés,
le 2e jour, encore 6 comprimés et le 3e jour, elle prend 3 comprimés.
A partir de ce moment-là, elle attend 8 jours, et, après 8 jours,
elle fait une chimioprophilaxie sur la base de 5 mg kilo et comme
j’ai pris la chloroquine 5 mg pour cette femme-là, donc alors, par
semaine, ça lui fera 3 comprimés de 5mg ou un comprimé de 300mg.
C’est donc cette chimioprophilaxie qui est préconisée chez nos femmes
enceintes en Côte d’Ivoire. Donc, pour continuer dans les stratégies
que vous avez demandées, outre la chimioprophilaxie, il y a aussi
la prophilaxie, je dirai mécanique à travers l’outil. Et cet outil
est la moustiquaire imprégnée. Et nous pensons qu’actuellement,
la moustiquaire imprégnée représente ce qui est le préservatif pour
le sida. Parce que, tout à l’heure, vous parliez du sida. Pour éviter
d’avoir le sida, généralement, l’on conseille, travers les rapports
sexuels, d’utiliser le préservatif. Ce qui représente le préservatif
au niveau du paludisme, c’est la moustiquaire imprégnée. C’est pour
cela que nous voulons que vous nous aidiez activement à sensibiliser
la population de manière à l’amener à adhérer à cette stratégie
et finalement à faire en sorte d’avoir moins de crises de paludisme.
Et le 3e aspect, c’est la recherche. Une recherche opérationnelle
qui nous permet de répondre à nos différentes questions dans la
mise en œuvre par rapport à la prise en charge qui est la première
stratégie. Egalement de répondre à nos préoccupations par rapport
aux aspects de prévention. Ce n’est pas par rapport à cette recherche
opérationnelle qu’il nous arrive de comprendre, par exemple, que
la communauté doit être fortement impliquée. Au regard de nos réalités,
il nous faut comprendre qu’il doit avoir une communication positive
qui devrait non seulement venir des communautés mais également des
professionnels de la santé. Les professionnels de la santé devraient,
notamment, davantage développer l’écoute. Donc c’est à travers ces
différentes recherches que nous arrivons à ces genres de conclusion.
C’est à travers ces recherches que nous arrivons à voir quel est
le médicament qui n’est plus efficace par rapport à un signe donné
et qu’il faille changer. C’est par rapport à cette recherche opérationnelle
également que nous mettons l’accent sur les aspects comportements
de populations à travers des études sociologiques. Et puis nous
arrivons, en ce moment, à adapter nos stratégies de terrain au regard
des résultats sur les recherches opérationnelles. Ça c’est pour
l’aspect des stratégies majeures. Après, il y a des stratégies d’appui.
C’est des aspects formations, information, développement de partenariat…
Notre Voie : Dans une de vos conférences,
vous avez parlé d’un comprimé qui est en train d’être élaboré à
base d’une plante ivoirienne. Où en êtes-vous en ce moment?
Dr.
Niangué Joseph. :
L’OMS a compris la nécessité de cette démarche, et actuellement,
nous sommes en collaboration avec le service de l’OMS habilité en
la matière, et tout le processus de validation de ce médicament
est engagé. Au moment opportun, vous aurez les résultats. Interview
réalisée par Coulibaly Zié Oumar
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l'article original : www.notrevoie.ci/story.asp?ID=5180
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