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Lutte contre le tabac/Dr Kamara Mohamed, Dr Pascal Bogui, Mme Baba Thérèse : Un comité s’installe et annonce une guerre sans merci - Fraternité matin - Côte d'Ivoire - 03/06/02

Un comité provisoire composé de médecins, de juristes et de communicateurs veut rompre avec ce passé. A la faveur de la journée mondiale anti-tabac que le monde a célébrée vendredi dernier, nous avons discuté avec des membres du comité… à bâtons rompus.

• Toute lutte sur le terrain doit être soutenue sinon précédée d’une loi, d’un décret pour garantir sa légitimité et même son succès. Qu’en est-il pour le tabagisme en Côte d’Ivoire ?

- M. Kamara Mohamed: La réglementation n’est pas très fournie malheureusement dans notre pays. Nous avons le décret n° 79477 du 06 juin 1979 qui concerne uniquement l’interdiction de fumer dans les lieux publics.
En dehors de ce décret, il y a eu un arrêté du ministre de la Santé en 1983. Et c’est tout. C’est vraiment maigre au niveau de la réglementation.

• La Côte d’Ivoire a abrité, en février, la 3ème réunion des pays membres de l’OMS-AFRO sur la convention cadre. Cela n’a-t-il pas apporté un plus à la lutte notamment en parlant de proposition de lois ?

- M. Kamara : Un grand changement est en train de s’amorcer sous l’impulsion de l’OMS. Elle a initié, depuis deux ans, un vaste chantier qui est la convention cadre pour la lutte anti-tabac. Ce chantier est prévu pour s’achever en 2003.
De quoi s’agit-il ? Cette convention va régir toute la lutte anti-tabac. Ce n’est même pas contre le tabagisme, mais contre le tabac. Puisque, dans le cadre de la convention, il est prévu, à terme, d’arracher même les plants de tabac et de reconvertir les planteurs de tabac, un peu comme on l’a fait par rapport à la lutte contre la cocaïne en Amérique latine. Même si on n’a pas eu tous les résultats escomptés avec la cocaïne, dans la lutte anti-tabac, on pense pouvoir aboutir à des résultats meilleurs, parce que suffisamment bien préparés.

• Quelle est la différence entre lutte contre le tabagisme et lutte contre le tabac ?

- M. Kamara : La lutte contre le tabac implique à la fois des mesures fiscales, commerciales, économiques et financières.
Alors que la lutte contre le tabagisme est centrée principalement sur des mesures médicales. C’est comment soigner les victimes de l’épidémie tabagique avec tout ce que cela implique pour ceux qui veulent arrêter de fumer avec les opérations de sevrage, etc.
La lutte contre le tabagisme est incluse dans la lutte contre le tabac.

- Dr Bogui : Il y a effectivement les traitements pour aider les gens au sevrage, mais il y a surtout la prévention.
Nous axons surtout notre démarche sur la prévention, la protection des non-fumeurs.
La prévention, pour que les jeunes notamment ne se mettent pas à fumer et pour ceux qui sont exposés au tabagisme des autres (tabagisme passif), mettre en place effectivement une réglementation qui permette de les protéger contre les nuisances et les méfaits du tabac.

• Avant de commencer une lutte comme celle que vous voulez mener contre le tabac, on fait un état des lieux. L’avez-vous fait et qu’en est-il ?

- L’état des lieux est en cours d’évaluation, mais il y a quelques données qui sont disponibles. Ce sont des informations encore parcellaires. Cependant, ce que je peux dire, c’est que la prévalence du tabagisme est d’environ 15 à 20% chez les hommes et pratiquement inférieure à 5% chez les femmes.
Les données dont nous disposons ont été recueillies pour le moment dans la ville d’Abidjan. Il faut donc étendre les études d’abord dans les autres villes de l’intérieur et ensuite aller prospecter dans les villages.
L’OMS se propose d’ailleurs d’organiser en collaboration avec certains Etats de la sous-région, une enquête multicentrique qui permettrait, par des techniques très particulières, de recueillir très rapidement des données fiables pour avoir une évaluation satisfaisante de la situation.

• Quelles sont les stratégies de lutte du comité ?

- Dr Bogui : Nous voulons mettre l’accent sur la prévention et la protection.
La protection dépend surtout des mesures juridiques. C’est d’ailleurs pour cela que, dans le comité, il y a des juristes pour justement développer les aspects juridiques qui sont très insuffisants pour l’heure. Le programme a à charge de faire des propositions pour que la législation de la Côte d’Ivoire soit en phase avec les propositions de la convention cadre.

• Beaucoup de sensibilisation au niveau des jeunes, mais, pendant ce temps, la cigarette se vend, même à l’entrée des établissements scolaires…

- Dr Bogui : Oui, c’est vrai. On va essayer de réglementer la consommation du tabac. Les gens n’auront pas le droit de fumer n’importe où et la vente du tabac sera bien centrée.

- M. Kamara : Nous allons nous inspirer des résultats de la convention cadre et aussi des textes étrangers.
Prenez l’exemple de l’Afrique du Sud qui est à la pointe en matière de lutte contre le tabac. Là-bas, tous les contrevenants à l’interdiction de fumer dans les lieux publics paient une amende de cent rands, environ 7.000 FCFA.
Chez nous, la difficulté pour appliquer les mesures qu’on prend, c’est qu’elles ne sont jamais assorties de sanctions. Quand on prévoit des sanctions, on ne les applique pas.
Nous comptons sensibiliser notamment le législateur au phénomène. Nous pensons également, comme mesure dissuasive, l’élévation du taux de la taxe sur la cigarette. La convention cadre l’a prévue parce qu’il est prouvé que 10% d’augmentation des taxes entraînent relativement une chute de la consommation du tabac de 6%.
On vient d’apprendre malheureusement que le gouvernement a baissé le coût des taxes sur le tabac. Nous pensons que cela ne va pas dans le bon sens de la lutte.
La France, il y a un mois, a durci sa législation au niveau du tabac, notamment pour les prescriptions prévenant du danger de fumer sur les paquets de cigarette.

• Cette année, pour la journée mondiale Anti-tabac, vous avez choisi un jeu-concours de dessin pour toucher les jeunes. Est-ce la voie de sensibilisation qui atteindra le plus les jeunes ?

- Dr Bogui : C’est une méthode de sensibilisation. Il s’agit de recueillir un message que les jeunes mêmes sont susceptibles de proposer.

- Mme Baba Thérèse : Dans le programme scolaire 2002-2003, nous comptons introduire des enseignements sur le tabac. A cet effet, nous comptons élaborer un manuel qui servira de guide aux enseignants.

• C’est donc parti pour une sensibilisation à outrance, une guerre sans merci contre le tabac…

- M. Kamara : Oui, mais tout le problème de la lutte Anti-tabac, c’est de sensibiliser les décideurs afin qu’ils prennent des mesures idoines.

- Dr Bogui : La nuisance du tabac est bien perçue par la population. Puisque l’enquête que nous avons menée démontre qu’il y a environ 65% des personnes interrogées qui reconnaissent que le tabac les gêne. Parmi ces 65%, il y a pratiquement le tiers qui éprouve des difficultés à respirer lorsqu’il est en présence de fumeurs. Et ce chiffre double lorsqu’on s’adresse aux asthmatiques.

Bayayoko ZÉGUÉLA

Lire l'article original : www.fratmat.co.ci/story.asp?ID=11206

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