"Il est rapporté dans une des hadiths prophétiques que les domaines
de connaissances qui doivent préoccuper fondamentalement les hommes
sont la médecine et la jurisprudence (charia)".
Ils participent directement à notre humanité et réalisent en même
temps notre perfectibilité et l'amélioration de nos sociétés. Sur
son lit de mort, Socrate intima l'ordre à son jeune disciple Alcibiade
de ne pas oublier de sacrifier un coq pour Aklépios (médecin) comme
pour montrer que celui-ci pouvait être le dépositaire de la vie
pour soigner la maladie, conjurer le sort et sauver l'humaine condition.
Ainsi la santé allait être un don ou bien simplement une prérogative
divine. Les sciences médicales se préoccupent d'apporter une guérison
à nos maux par des thérapies multiples. Ainsi la médecine est-elle
décrite comme un art, une manière comme une autre d'introduire le
talent, le raffinement ou la finesse dans une activité qui s'apparente
à un simple exercice où la souffrance contrarie le bien-être, la
douleur le soulagement, le réel, l'imaginaire.
Aux sources des sciences médicales, on pouvait lire très tôt la
recherche imposée du bonheur face au mal repoussant qui malmène
l'être, le trahit sans cesse dans sa compagnie quand celui-ci, porté
par une naïveté oublieuse, se laisse aller dans un état d'autosatisfaction.
La régulation des tendances du corps, le regard porté sur le psychique
ont réussi à faire admettre l'efficacité relative d'une résistance
inspirée par l'extérieur ou mécanisme de défense, entre l'audace
d'une agression et la volonté d'une réaction.
Pour la médecine occidentale, la maladie est synonyme d'un dysfonctionnement
organique, alors que pour la médecine traditionnelle, elle évoque
une perturbation de la relation aux êtres. Sa déclaration subite
impose l'urgence d'une guérison et l'exigence faite à la raison
ou à l'esprit de trouver une solution qui implique son irréalité.
Si, pour la médecine moderne, l'introduction d'un corps étranger
non assimilable par notre organisme est ce qui modifie la stabilité
et l'équilibre de notre être, la solution sera donc une réponse
jalouse aux sollicitations du corps, la recherche du bien ou encore
ce qui participe de sa survie. Le besoin de purification relue comme
un désir de propreté offre une sécurité préventive sans donner la
garantie souhaitée d'une santé.
Dans l'office du ndëpp, la dimension purificatoire symbolisée par
l'eau permet de laver de ses souillures le corps et de favoriser
par une étape préparatoire la réconciliation de l'être avec une
transcendance et le rétablissement supposé des liens affectifs qui
avaient été brisés par une dissonance des rapports entre le moi
et son double (rap), entre l'individu et une hiérarchie supérieure,
entre le corps et la santé.
Avec une approche sensiblement différente, on peut même admettre
que la prédominance de l'élément aqueux dans le rituel religieux
porte la même signification d'une réplique née du ressentiment supposé
de s'être mêlé à une impureté. Le zikr auquel s'adonne les soufis
restitue pour l'essentiel cette dimension de l'être qui retrouve
par une symbolique de l'évocation, l'élévation spirituelle qui inaugure
la seule présence de la divinité.
A ce niveau peut-être la santé peut se ramener à une identification
de l'être et à son désir de proximité dissoute dans une totalité
transcendante. Les dimensions du sacrifice accompagné par le chant,
par l'immolation d'un animal ; le versement du sang et du lait expliquent
encore la réaffirmation du désir d'associer à travers un fil conducteur
deux éléments complexes de la création qui fournissent l'argument
épistémologique du privilège divin dont seul Dieu est dépositaire,
c'est-à-dire la réunion sans risque de ce qui foncièrement relève
de l'indissociable. Les chants recréent le climat de sérénité et
restaurent la confiance momentanément perdue qui avait installé
l'être dans une situation perturbatrice de l'équilibre.
La guérison va apparaître comme une fin en soi, un état enviable,
une doléance revendiquée par le corps qui se soustrait à la douleur
de la maladie.
Guérir, c'est donc recouvrir une santé, la possession d'un état
de mieux-être ce qui dans l'ordre du possible est bien souvent revu
comme une simple vue de l'esprit. D'où l'expression souvent usitée
"guérir de sa maladie" et non guérir de la maladie. La médecine
peut retrouver ses lettres de noblesse quand elle se pose comme
la seule pratique humaine qui allie l'utilité des soins au désintéressement
de sa finalité. L'imagerie médicale qui bouscule les frontières
du possible pour une redéfinition de la santé comme une recherche
du "meilleur de soi", c'est-à-dire cette endurance de l'être à nier
la souffrance et à appauvrir la douleur par une technologie moderne
qui restitue aux soins "un art de la victoire". Doit-on établir
le lien pour une comparaison entre une prière formulée, la réclame
d'une satisfaction et l'examen et la prescription urgentes d'un
traitement appliqué à une maladie ?
L'urgence sera reçue comme une réponse catégorique à une sollicitation,
l'abrogation de la durée inscrite sur les registres d'un possible
réalisable au caractère légal pour écourter les procédures formelles
de la routine et pour traduire un impératif nécessaire.
En d'autres termes, la contingence ne s'allie pas à elle, elle
lui fait défaut. Quand une maladie se déclare et se répand à travers
une communauté, les réactions précipitées des populations tournent
souvent à l'accusation, à l'élaboration d'un registre d'interprétation
à partir d'un cadre de références autour de valeurs et de représentations
distillées par une conscience. La peur, l'angoisse, la crainte d'une
contamination envahissent la psychose collective et poussent vers
un schéma explicatif dérisoire qui s'associe à la rumeur au désir
et à l'argumentation infertile. Les pandémies sont pour une société
des moments d'épreuves, l'occasion de relire un comportement collectif
au prix de multiples réajustements où le sentiment de culpabilité
est souvent mis en relief. Mais il faut constater que l'investigation
scientifique moderne pose le paradoxe inhumain d'être la source
et la solution de la maladie quand elle fournit les moyens thérapeutiques
et crée la possibilité de sa germination. Ainsi, dans le cadre d'une
formation, il serait nécessaire des fois de proposer aux étudiants
et élèves des universités et écoles de santé une relecture de l'histoire
de la médecine, d'ouvrir aux psychologues, professeurs de l'économie
familiale et sociale, juristes et personnes d'autres professions
la formation aux politiques de santé publique par leur entrée à
l'Ised (Mbour) ; de développer à l'école primaire et dans le secondaire
des cours de santé pour une instruction générale sur les attitudes
et comportements à avoir lors de situations qui nécessitent des
pratiques de secours.
Par : Amadou SY Psychologue conseiller Ministère de l'Education
Lire l'article original : http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=2138
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