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Commerce illicite de médicaments : Un trafic juteux et nocif - Le soleil - Sénégal - 17 novembre 2001

Le commerce illicite des médicaments constitue, depuis de nombreuses années, une source de préoccupations pour les autorités sanitaires du Sénégal. Ce trafic a même des bastions “imprenables” dont un est situé à Dakar, en l’occurrence le fameux “Keur Serigne bi”, sur l’avenue Blaise Diagne, non loin de “Sandaga”, le plus grand marché de la capitale. Pourtant, une étude récente a montré que 60 % des malades sont capables d’acheter leurs médicaments prescrits dans les circuits pharmaceutiques de l’Initiative de Bamako des hôpitaux publics et que 40 % peuvent les payer dans les pharmacies privées où l’on vend des spécialités et des génériques de marque”.

Chose curieuse, les sites de ce commerce juteux, qui a immanquablement une incidence nocive sur la santé des populations qui s’y approvisionnent, sont toujours nichés au sein des marchés fixes de plusieurs chefs-lieux de région (Touba, Mbacké, Saint-Louis, Kaolack) et dans la capitale (marchés de Colobane, Thiaroye et Tilène).
Les “loumas” (marchés hebdomadaires itinérants en zones rurales) sont même devenus des centres d’écoulement de médicaments. Par ailleurs, un autre phénomène, la vente au détail de certains médicaments dans des milliers de boutiques et d’épiceries, est venu se greffer à cette grosse “tumeur cancéreuse” qui a résisté à plusieurs thérapies de choc engagées par les autorités.

“Il ne faut pas parler de commerce parallèle, car cette appellation biaise la présentation de ce grave problème de santé publique, en lui donnant une estampille non dite et écrite de pratiques sans risques ou seulement frauduleuses, pour éviter les taxes”, nous confie le pharmacien-commandant, Mamadou Ngom, inspecteur de la Pharmacie, chargé du Contrôle administratif des médicaments à la direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM).
“Ce commerce est purement illicite dans la mesure où la vente de médicaments et d’autres produits hospitaliers doit obéir à une réglementation rigoureuse, à des connaissances très pointues des effets des substances chimiques, à des règles de prescriptions et de conservation”, nous dit-il en précisant que ce trafic persiste depuis plus de trente ans, notamment à Dakar, au fameux “Keur Serigne bi… “

C’est un commerce à géométrie variable, qui suit des filières secrètes, dans la mesure où la majorité des produits qui y sont vendus viennent pour la plupart de structures officielles, d’importations frauduleuses empruntant des passages frontaliers terrestres, le port et l’aéroport”, indique le Dr Ngom.
Selon le spécialiste de la DPM : “ce commerce des pharmacies “gazon” ou “par terre”, qui a pignon sur rue dans plusieurs endroits de Dakar et à l’intérieur du pays, est à l’origine d’un manque à gagner annuel de 6 milliards de FCFA, voire le double, pour les pharmaciens et de centaines de millions pour le Trésor public, du fait qu’il n’est pas taxé”.
“Les conséquences de ce trafic sont, on le devine aisément, immenses dans la mesure où on constate la vente de produits qui n’ont aucun principe actif ; de boîtes de médicaments portant des étiquettes douteuses sur les dates de péremption ou contenant de fausses indications thérapeutiques, si ce n’est pas le vendeur qui fait sa propre prescription, à tue-tête, dans la rue, à des acheteurs incrédules ou analphabètes, de gélules ou de comprimés de différentes couleurs et de taille, de pommades, etc.”.

Par ailleurs, le Dr Ngom affirme que le ministère de la Santé et de la Prévention a engagé, à travers la DPM, plusieurs mesures de façon méthodique pour enrayer ce fléau, notamment par la promotion des médicaments génériques essentiels (voir article sur ces produits) afin de rendre accessibles, géographiquement et financièrement les médicaments aux populations ; une collaboration plus assidue avec les services des douanes du Port, de l’aéroport et des postes frontaliers ; un contrôle plus sévère de la procédure d’entrée des dons provenant de l’étranger ; le développement de l’inspection pharmaceutique à Dakar et dans les régions ; l’accroissement du nombre d’officines de pharmacie dans les villes et à l’intérieur des communautés rurales, etc.

“Les dons de médicaments en provenance de l’étranger, qui comprennent parfois des boîtes entamées, des produits périmés ou inutiles par rapport à la réalité sanitaire du pays, nous causent d’innombrables problèmes et le département de la Santé et de la Prévention a décidé d’inclure, de façon drastique, l’implication du médecin du district sanitaire qui loge la communauté destinataire des lots envoyés en vue d’une observation technique sur la conformité avec les besoins réels et la finalité de l’utilisation effective”, poursuit-il.
Ainsi tous les destinataires de dons devront signer, au moment de la sollicitation, une déclaration officielle engageant leur responsabilité et le médecin du district sanitaire est tenu, en amont comme en aval, de faire un rapport technique.

Sur le registre de l’inspection, quatre inspecteurs pharmaciens viennent de terminer leur formation au Maroc. “Il nous en faut une quinzaine dont cinq au niveau national et dans chacune des dix régions du pays”, nous confie le Dr Ngom qui annonce la tenue prochaine d’un forum autour du marché illicite du médicament, afin de mieux cerner les contours de ce problème crucial et de développer des stratégies de lutte et de sensibilisation plus adaptées et plus efficaces.

“Un engagement politique fort, l’implication des leaders des communautés de base, la participation des médiats, une bonne sensibilisation et une large disponibilité de produits de qualité à des coûts très accessibles, estime-t-il, devraient pouvoir discréditer le marché illicite aux yeux de la population”.
Il a mis en exergue d’autres facteurs comme la pauvreté, la culture de la vente et de l’achat au détail, l’insuffisance de la sensibilisation et l’analphabétisme qui poussent beaucoup de nos compatriotes à faire une automédication ou à soumettre leurs ordonnances à des individus qui ne comprennent rien aux médicaments, qui ne cherchent qu’à gagner de l’argent sans scrupule.
En plus de ces facteurs, il y a aussi la cherté des médicaments.

“A y regarder de près, il est faux de prétendre que les médicaments vendus en pharmacie coûtent cher, si on sait que l’acheteur qui s’approvisionne sur les pharmacies “par terre” ou à “Keur Serigne bi” peut s’administrer des produits contrefaits, sans principe actif ou périmés, parce qu’ils ont dépassé leur date de péremption depuis plusieurs hivernages.
Cela risque d’accroître, au bout du compte, les dépenses en soins de santé”, précise le pharmacien de la DPM. “Une étude récente a montré, poursuit-il, que 60 % des malades sont capables d’acheter leurs médicaments prescrits dans les circuits pharmaceutiques de l’Initiative de Bamako des hôpitaux publics et que 40 % peuvent les payer dans les pharmacies privées où l’on vend des spécialités et des génériques de marque”.
Il rappelle que des mesures en faveur des consommateurs avaient été prises par l’Etat depuis la dévaluation du franc CFA et que le Sénégal dispose des meilleurs prix dans la sous-région africaine, même s’il y a encore des efforts à faire sur ce sujet.
Au Sénégal, le marché du médicament se situe entre 15 et 17 milliards de FCFA par an. Le public occupe 12 %, tandis que les officines privées (300 à Dakar et 215 dans les régions de l’intérieur) se partagent les 88 % qui restent.

Le Dr Ngom tient toutefois à souligner que ces taux sont relatifs, dans la mesure où le secteur public (hôpitaux, centres de santé et postes de santé et dépôts communautaires), qui s’approvisionne auprès de la Pharmacie nationale d’Approvisionnement (PNA), vend beaucoup de génériques.
Le privé, lui, ne s’occupe que de spécialités et de génériques de marque, qui coûtent plus cher. FARA DIAW

Lire l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=8931&index__edition=9442

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