3
novembre 2001 - Le Soleil - Sénégal
Lutte contre l'excision : La sensibilisation,
priorité partagée .
Au
Sénégal, il est généralement admis que le taux de prévalence de
l’excision ne dépasse pas 20 %.
Au Mali, elle concerne 94 % des femmes en âge de procréer (1). Une
lecture rapide de ces statistiques peut faire croire que la lutte
contre les mutilations génitales féminines (MGF) n’est pas une priorité
au Sénégal.
Certains le pensent et soutiennent volontiers qu’on devrait être
plus déterminé dans la lutte contre la mortalité maternelle, redoubler
d’efforts pour relever le taux de vaccination des enfants, combattre
plus vigoureusement le paludisme, aider les femmes à accéder à la
contraception moderne, renforcer leurs capacités par un accès à
l’éducation et à la formation, etc.
Les décès maternels, la forte fécondité des femmes, la mortalité
infantile, les ravages du paludisme ont, en effet, aux yeux de certains,
de graves conséquences sur la santé publique et sur l’activité économique
; des conséquences auxquelles il faut s’attaquer de façon déterminée.
Ceux ou celles qui avancent ces arguments soutiennent que les urgences
sont à ce niveau.
S’ils
reconnaissent, toutefois, l’utilité d’une lutte contre les MGF,
ils n’en restent pas moins agacés par le show médiatique qui accompagne
les cérémonies au cours desquelles de vieilles femmes jettent le
couteau et renoncent publiquement à exciser des jeunes filles.
Ces déclarations d’abandon, comme on les appelle, n’annoncent pas
toujours la fin de la pratique de l’excision voire son recul.
Dans un dossier sur l’excision dans la région de Tambacounda publié
dans notre édition d’hier, notre confrère Habib Demba Fall soulignait,
fort à propos, les risques de “déclarations opportunistes”.
L’arrestation et la condamnation, cette semaine à Kolda, de personnes
impliquées dans une opération d’excision de filles, donnent une
indication sur le degré de sincérité de certaines déclarations d’abandon.
A vrai dire, les choses ne sont pas simples, non.
L’autre jour, à Mbour, le Pr. Abdoulaye Bara Diop, sociologue, président
de l’agence pour la promotion des activités de population-Sénégal
(APAPS), disait, devant les membres du réseau des parlementaires
sur la population, qu’en matière de population, “les contraintes
socioculturelles sont les plus pesantes”.
Sous cet angle, même ceux qui ne considèrent pas les MGF comme une
priorité devraient reconnaître que la lutte contre les mutilations
génitales féminines ouvre un champ intéressant d’intervention et
d’adaptation d’outils et de méthodes pour changer les comportements.
En plus, il est évident que la lutte contre les MGF est aussi un
combat pour les droits humains.
La femme doit jouir du droit à l’intégrité physique. Ce qui pose,
en filigrane, l’acceptation de ce droit par la société, l’accès
des femmes à l’éducation et aux services de santé de la reproduction.
Sur
ce terrain, “les contraintes socioculturelles” dont parlait le Pr.
Abdoulaye Bara Diop constituent de réels et solides obstacles à
surmonter nécessairement.
Les MGF n’ont aucun fondement religieux et, pourtant, beaucoup pensent
le contraire dans ce pays ; elles sont désastreuses pour la santé
de la mère, fatales souvent à l’harmonie sexuelle des couples et
expriment au plus haut point la violence exercée sur les femmes.
Tout cela est connu.
Le Sénégal s’est doté d’une loi pour réprimer les MGF, mais l’essentiel
est de multiplier et de renforcer les campagnes de sensibilisation.
A
quoi peut bien servir une loi face à une communauté dont les représentants
les plus écoutés pensent qu’une femme non excisée est “impure” ?
Punir ceux et celles qui ne respectent pas la loi, disent les militants
de la lutte contre les MGF.
Il faut toujours légiférer, ajoute une activiste des droits de la
femme. Soit.
Mais après le bâton, il faudra bien revenir à la sensibilisation,
c’est-à-dire parler aux gens, les aider à comprendre, les accompagner
dans le long processus au bout duquel l’individu change de comportement.
La loi, c’est bon ; sensibiliser, c’est encore mieux.
Sensibiliser pour “faire avancer les choses” est sans doute une
des priorités partagées par ceux et celles qui interviennent dans
le domaine de la population.
EL BACHIR SOW
(1).
“Les femmes à travers le monde : lois et politiques qui influencent
leur vie reproductive – Afrique francophone”, publié par le Centre
pour le droit et les politiques en matière de santé de la reproduction
- USA. Décembre 1999. 212 pages.
Lire
l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=8805&index__edition=9430
|