Récit
d'un pionnier de la découverte du virus du Sida - Sidwaya - Burkina
Faso - 12/12/01
Le professeur Luc Montagnier est celui-là
qui a découvert le virus du Sida en 1983 en compagnie d'une équipe
d'une dizaine de chercheurs. Aujourd'hui, le professeur Montagnier
est le président d'une Fondation dénommée : Fondation mondiale,
Recherche et Prévention Sida. Il est présent à Ouagadougou dans
le cadre de la XIIe CISMA et a accepté volontiers de s'entretenir
avec votre journal. Lisez plutôt !
Sidwaya
(S.) :
Les travaux de recherche sur le virus du Sida vous place en première
ligne dans la découverte et l'isolement du virus de la pandémie
du siècle. Etes-vous affirmatif ?
Professeur
Luc Montagnier :
Il y a tout une équipe qui s'est lancée dans cette aventure en 1983.
Nous avons été effectivement les premiers à isoler le virus qu'on
appelle maintenant VIH1 ou HIV1 puis deux ans plus tard, en Afrique
de l'Ouest le virus VIH2 ou HIV2.
S.
:
Comment se sont faites les recherches ?
Pr L.M : Elles se sont faites très
rapidement puisqu'on avait déjà des techniques pour isoler des virus
analogues à partir des cancers. Notre projet était d'isoler les
agents infectieux. On recherchait des virus et des rétrovirus dans
les lymphocites des personnes malades. C'était relativement facile
de passer aux lymphocites des personnes atteintes de Sida.
S.
:
Quelles ont été les hypothèses de travail et combien de temps vous
a pris ce travail de recherche ?
L.M
:
L'isolement du virus n'a pas pris beaucoup de temps car il a été
détecté très rapidement par les méthodes biochimiques. Ce qui a
pris du temps, ce fut le travail pour caractériser le virus et démontrer
qu'il était bien la cause du Sida parce qu'à l'époque, il y avait
beaucoup de candidats, d'hypothèses. Ce qui nous a conforté que
ce virus était la cause du Sida est que d'une part, il se multipliait
très rapidement dans les lymphocites des personnes atteintes du
Sida et d'autre part, on le trouvait chez tous les patients européens,
américains ou africains. En septembre 1983, le premier virus qu'on
a isolé d'une Africaine du Congo-Zaïre qui était hospitalisée à
l'hôpital Claude Bernard à Paris était quasiment identique à celui
qu'on avait de patients français.
S. : Des personnes pas très avertis
pensent que ce virus est une invention. Le virus a-t-il vraiment
été découvert et non fabriqué par vous ?
L.M. : Non. A l'époque, aucun chercheur,
aucun généticien moléculaire ne pouvait fabriquer un tel virus même
à partir de morceaux d'autres virus. Maintenant, tout serait possible
car on peut fabriquer tout ce que l'on veut avec. A l'époque, c'était
impossible.
S.
:
D'où vient exactement le virus ?
L.M.
:
Je suis prudent. Il y a différentes hypothèses. Certains pensent
que le virus viendrait de certains singes en Afrique. Et certains
singes sont d'ailleurs infectés par des virus cousins mais qui apparemment
ne font pas la maladie. Ce qui est important, c'est de savoir qu'est-ce
qui a déclenché l'épidémie.
S.
:
Le fait qu'on a pas encore trouvé de médicaments contre ce fléau,
est-il imputable à la lenteur de la recherche ?
L.M.
:
Il faut dire qu'il y a des médicaments très actifs sur le virus.
C'est vrai qu'on ne guérit pas pour l'instant le malade de Sida
mais on l'empêche de mourir de sitôt. Ce qui est très important.
Je connais beaucoup de patients et amis qui seraient morts depuis
longtemps s'ils n'avaient pas eu accès à la trithérapie. Il y a
toujours une recherche très active et des produits nouveaux qui
sont en train de sortir. Le problème est que ces médicaments ne
guérissent pas totalement le malade et qu'ils ont des effets toxiques
à la longue parce qu'il faut les prendre tous les jours et sans
arrêt. Si l'on arrête le traitement, le virus revient à la charge.
Au départ,les médicaments étaient extrêmement chers. Seulement 5
% des personnes infectées avaient accès aux médicaments. Les firmes
pharmaceutiques ont baissé les prix des produits pour les patients
des pays en voie de développement et il y a aussi le projet de création
d'un fonds international pour rendre encore ces médicaments moins
chers et plus accessibles.
S.
:
Déjà que la trithérapie contre le fléau coûte cher ; qu'en sera-t-il
d'une éventuelle découverte d'un vaccin pour la prévention ?
L.M. : Les vaccins sont les formules
les moins chers en santé publique. Il faut continuer la recherche
pour le vaccin. C'est un objectif à long terme. Il ne faut pas l'attendre
pour faire quelque chose. Le plus important actuellement, c'est
le traitement.
Interview
réalisée par Trabzanga ZOUNGRANA
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