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Le soleil | Sénégal | 07/01/2006 | Lire l'article original
Une femme qui ne peut plus pointer le nez dehors. Parfois même dans l’enceinte de l’espace familial. Une femme qui reste cloîtrée entre quatre murs pendant des années dans une structure sanitaire. Des femmes isolées, esseulées, abandonnées. La famille, le mari, l’entourage ... ne pouvant plus supporter l’odeur qui dégage des urines dégoulinant à longueur de minutes, d’heures, de jours, de semaines, de mois, d’années. Donc, des femmes qui vivent de véritables drames sociaux, parce qu’elles ne peuvent plus retenir leurs urines. Pis, dans certains cas leurs selles. Elles sont ainsi victimes de fistules obstétricales. Lesquelles sont causées par un travail prolongé pouvant parfois durer plusieurs jours. Concrètement, les fistules surviennent quand, au moment de l’accouchement, “ la pression continue de la tête de l’enfant sur les tissus mous de la vessie ou du rectum aboutit à la formation d’un trou, la fistule, qui fait que la mère n’est plus capable de contrôler l’écoulement de l’urine et/ou l’excrétion des matières fécales ”.
Les fistules obstétricales sont des “ lésions qui surviennent à l’accouchement, généralement causées par un travail prolongé et difficile, parfois de plusieurs jours, sans intervention médicale appropriée ”. Pour Dr Isabelle Moreira, gynécologue obstétricien, chargée de programme à l’Unfpa (Fonds des Nations unies pour la population) la fistule survient, quand “ il y a obstacle à l’accouchement : soit le bassin de la femme est petit, soit il s’agit d’une femme malnutrie qui a un bassin étroit. Et il faut une césarienne, sinon le travail risque d’être long ”.
L’infirmité qui en résulte est à l’origine de dommages extensifs pouvant provoquer une incontinence chez la femme. Comme c’est également le cas de beaucoup de jeunes filles, des zones rurales, mariées sans être physiquement aptes. Elles tombent souvent en état de grossesse et finissent par avoir des complications au moment de l’accouchement. Vivant dans un environnement où la couverture sanitaire est précaire, elles sont souvent victimes d’une fistule. Elles commencent ainsi à perdre leurs urines. L’image est choquante, mais telle est la réalité dans beaucoup de zones où les femmes et les jeunes filles n’ont pas accès à des infrastructures sanitaires de qualité.
Femmes souillées, abandonnées
Souillure, mauvaise odeur, rejet constituent le lot quotidien des jeunes filles et de toutes les femmes victimes de fistules. Et pour en finir avec l’une des séquelles les plus handicapantes de l’accouchement, certaines d’entre elles préfèrent de s fois mourir plutôt que de continuer à baigner dans une ambiance où tout semble repoussant. L’attitude de ces femmes qui souffrent dans leur chair, parce qu’en plus, rejetées par leur famille, leur société, donne aux fistules obstétricales leur caractère tabou. D’ailleurs, c’est principalement pour cette raison que pendant longtemps, les gens se sont emmurés dans un silence refusant d’évoquer publiquement le cas de ces femmes “ souillées ”, coupées du reste du monde, évoluant souvent seules dans le même environnement pendant de longues années.
Même dans les structures sanitaires, elles n’étaient pas épargnées de ce manque d’attention, dans la mesure où les victimes de fistules étaient internées à part, au niveau des bâtiments les plus reculés. Et c’est dans ce sens qu’il faut situer le témoignage de la sage-femme Awa Sougou. Selon elle, “ il est arrivé que des femmes victimes de fistules restent pendant plus d’une décennie dans un hôpital ”.
C’est pourquoi, elle se réjouit du fait que maintenant on parle ouvertement des fistules obstétricales. Lesquelles sont conçues par Dr Isabelle Moreira, gynécologue obstétricien, chargée de programme à l’Unfpa, comme étant “ le prix de l’accouchement ”.
Conséquences physiques et sociales
Dans une de ses présentations à l’occasion d’un atelier de sensibilisation de la presse sur le drame social qu’est la fistule obstétricale, tenu les 29 et 30 novembre 2005, le Dr Moreira révèle : “ Pour chaque décès dans le monde, environ 15 à 30 femmes survivent avec une morbidité maternelle très sévère notamment la fistule obstétricale ”. De l’avis de la chargée de programme de l’Unfpa, les fistules ont à la fois des conséquences physiques et sociales qui sont tragiques et dévastatrices. Deux qualificatifs qui rendent compte d’une détresse sociale matérialisée par la mort du bébé dans la plupart des cas et la souffrance d’une mère frappée d’incontinence.
D’ailleurs, les conséquences physiques des fistules se reconnaissent par : “ l’incontinence ou écoulement constant d’urine et/ou de matières fécales”, les “ infections fréquentes de la vessie et des voies urinaires, l’infertilité, la mauvaise odeur ”, informe Dr Isabelle Moreira.
Quant aux conséquences sociales, elles ont trait, de l’avis de la gynécologue obstétricien, “ à l’isolement, au divorce ou à l’abandon, à la honte, à l’impossibilité de fonder un foyer, au manque d’opportunités socioprofessionnelles, à la vulnérabilité aux maladies ”. Les victimes de fistules font aussi l’objet de violence. Un élément qui fait partie intégrante des conséquences sociales de la fistule obstétricale, affirme le Dr Isabelle Moreira.
Poursuivant, elle fait savoir que les causes et facteurs des fistules sont de plusieurs ordres. En premier lieu, elle évoque un aspect important dans la prise en charge des femmes enceintes et de l’accouchement à savoir : “ le faible accès aux soins obstétricaux d’urgence ”. Précisément, le Dr Moreira parle de manque de soins au moment où il le faut. Ensuite, pointent la maternité précoce, la pauvreté, le manque d’éducation, les croyances et pratiques traditionnelles néfastes. Même le faible statut de la femme est dans certaines sociétés un facteur favorisant la survenue d’une fistule.
50.000 à 100.000 nouveaux cas par an
Si au Sénégal on en est encore à l’étape de collecte de données pour déterminer le nombre de fistuleuses, tel n’est pas le cas dans des pays comme le Kenya où l’on dénombre 1 à 2 fistules pour 1.000 accouchements. En Afrique de l’Est, d’une manière générale, les fistules obstétricales sont de l’ordre de 3 à 5 pour 1.000 accouchements dans les zones où les Soins obstétricaux d’urgence (Sou) sont absents.
Dans le monde, l’Oms estime qu’il existe 50.000 à 100.000 nouveaux cas de fistules par an. Seulement, il faut préciser que ces statistiques datent de 1989. Elles peuvent ne plus refléter la réalité. Il faut juste signaler que ce sont les adolescentes qui paient le plus lourd tribut lié aux fistules si elles sont mariées à un âge où elles ne sont pas aptes physiquement à avoir un enfant. Cela en plus de vivre dans un environnement sanitaire précaire.
En tout cas, l’ampleur de la tragédie qu’est la fistule obstétricale a poussé l’Unfpa et ses partenaires à entreprendre une campagne mondiale d’élimination des fistules. Elle est lancée en 2003 après une première réunion tenue à Londres en juin 2001 pour sensibiliser et stimuler l’action au niveau international et une autre en octobre 2003, à Addis-Abeba. Cette seconde rencontre a ainsi permis de dégager un consensus autour d’une stratégie régionale pour l’Afrique.
Cette campagne, qui s’est matérialisée par des réunions en Asie du Sud en décembre 2003, à Accra l’année suivante et à Niamey en avril 2005, a pour principal objectif de “ prévenir la fistule ”, de “ traiter les femmes qui en sont porteuses ” et de “ fournir un soutien après le traitement chirurgical”.
S’il a été décidé de mettre l’accent au niveau mondial sur les fistules, c’est parce qu’explique le Dr Isabelle Moreira, “ la fistule était une composante négligée de la maternité sans risque ”. C’est ainsi que des questions importantes sont soulevées quand on évoque les fistules, à savoir notamment les besoins en services de Santé de la reproduction (planification familiale, accouchement assisté, soins obstétricaux d’urgence).
Une trentaine de pays d’Afrique subsaharienne, d’Asie du Sud et des Etats arables sont concernés par la campagne mondiale d’élimination des fistules. Pour chacun d’entre eux, il s’agit dans la phase pratique de déterminer d’abord l’ampleur et les ressources disponibles pour prendre en charge la fistule. Ensuite, place est faite à l’élaboration d’une stratégie nationale, avant de s’attaquer en dernier lieu à la mise en œuvre à travers des activités de prévention et de traitement de la fistule. Il faut aussi signaler que la campagne mondiale d’élimination des fistules intègre des activités de réinsertion des femmes dans leur communauté, après leur guérison. Elles tournent autour de la prise en charge adaptée de la grossesse suivante, de l’alphabétisation et de la formation, de l’accès au crédit. Les conseils, la sensibilisation de la communauté constituent d’autres aspects non négligeables de la réintégration sociale des fistuleuses auparavant rejetées, abandonnées par leurs familles respectives.
Une affection qui se guérit
Il est possible de traiter la fistule qui est une affection curable. L’intervention chirurgicale dure une journée, souligne le Dr Isabelle Moreira. Elle consiste à réparer les lésions qu’il faut reconstituer. Pour les cas simples, il ne se pose pas de problème majeur dans la mesure où l’opération réussit dans 90 % des cas. Mais, elle nécessite un personnel qualifié et des moyens financiers.
Le coût moyen pour réaliser l’intervention chirurgicale, effectuer les soins post-opératoires et la rééducation est évalué à 300 dollars. Mais, il demeure des difficultés liées, d’une part au coût élevé de la prise en charge et, d’autre part, au fait que souvent les fistuleuses ignorent qu’elles vivent avec une affection qu’on peut traiter et guérir.
Justement, la campagne mondiale d’élimination des fistules vise un tel objectif au-delà des activités de prévention, pour que le nombre de fistuleuses soit considérablement réduit dans le monde et que, dans le long terme, aucune femme ne puisse souffrir d’une affection aussi tragique. Cependant, pour y arriver, le silence doit être complètement rompu autour de ce drame dont l’ampleur est peut-être incommensurable.
Tamba et Kolda, zones-test
Aujourd’hui, au bout de deux années de déroulement de la campagne d’élimination des fistules, ans les pays concernés, des activités de prévention et de traitement sont menées.
Au Sénégal, l’Unfpa (Fonds des Nations unies pour la population) a initié un programme permettant de faire en sorte que les signes de danger soient reconnus aussi bien par les femmes que par les hommes, notamment en milieu rural, afin que les parturientes puissent être orientées, dans les délais, vers les structures sanitaires.
Un tel programme entre dans le cadre de la campagne mondiale entreprise par l’Unfpa et ses partenaires pour éliminer les fistules. C’est ainsi que dans les régions de Tambacounda et de Kolda, il est entrepris une opération de collecte de données des femmes victimes de fistules. Toujours dans le sillage de la campagne d’élimination des fistules, 36 patientes sont prises en charge dans ces deux zones. Les prestataires et les communautés sont également sensibilisés et formés. Le volet formation a déjà concerné des travailleurs médicaux dans le domaine des soins obstétriques de base.
Durant la phase d’opérationnalisation de la stratégie nationale d’élimination des fistules au Sénégal, il est question de mener diverses activités dont la prévention, le traitement, la réinsertion sociale des victimes de fistules et la mobilisation sociale. La prévention constitue un aspect fondamental dans la campagne mondiale d’élimination des fistules. D’ailleurs tout le programme s’articule autour de cette notion dans la mesure où elle est le moyen le plus efficace pour éliminer la fistule obstétricale. Malheureusement, il n’y a pas de possibilité de détecter la survenue d’une fistule. Donc, tout est basé sur l’information, la sensibilisation. Ces dernières s’articulent particulièrement sur les avantages à retarder l’âge du premier mariage et de la première grossesse et sur les pratiques traditionnelles néfastes comme les mutilations génitales féminines.
Il y a une autre prévention dite secondaire. Elle est d’ordre médical. Elle est axée sur la disponibilité des infrastructures sanitaires et des Soins obstétricaux d’urgence (SOU).
Par MAÏMOUNA GUEYE
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