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Le quotidien | Sénégal | 03/12/2014 | Lire l'article original
A l’issue de cinq jours d’enquêtes dans trois régions du Sénégal, la Fédération internationale des droits de l’homme avec ses deux membres sénégalais la Rencontre africaine des droits de l’homme (Raddho), la Ligue sénégalaise des droits de l’homme et leur partenaire Wildaf/Sénégal ont analysé la prohibition de l’avortement médicalisé au Sénégal et ses conséquences. Sur une vingtaine de pages, les défenseurs des droits de l’homme analysent la législation sénégalaise, les conventions internationales en rapport avec le respect des droits de femmes ratifiées et recueillent des témoignages sur les conséquences sociales des lois en vigueur dans ce domaine.
La législation sénégalaise n’autorise l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) qu’en cas de danger pour la vie de la mère. Et encore, les restrictions procédurales drastiques qui entourent cette exception ne favorisent pas le recours à cette pratique. «L’article 35 du Code de déontologie médicale du Sénégal prévoit une unique exception : ‘’Il ne peut être procédé à un avortement thérapeutique que si cette intervention est le seul moyen susceptible de sauvegarder la vie de la mère. De plus, cette exception très limitée, est accompagnée de conditions procédurales extrêmement onéreuses : trois médecins différents (un médecin prescripteur et deux médecins contrôleurs) doivent attester que la vie de la mère ne peut être sauvée qu’au moyen d’une telle intervention. L’un des médecins consultants doit être désigné sur la liste des experts près le Tribunal. Un protocole de la décision prise doit ensuite être adressé sous pli recommandé au président de l’Ordre des médecins’’. Enfin, « si le médecin, en raison de ses convictions, estime qu’il lui est interdit de conseiller, de pratiquer l’avortement, il peut se retirer en faisant assurer la continuité des soins par un confrère qualifié », renseigne le rapport de mission intitulé « Je ne veux pas de cet enfant, je veux aller à l’école » : Prohibition de l’Interruption volontaire de grossesse au Sénégal. Ces restrictions rendent presqu’impossible l’obtention d’une autorisation pour une Ivg. Une mission d’enquête menée du 3 au 7 novembre dernier de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, à Dakar, Thiès et Ziguinchor, a analysé les effets de l’interdiction de l’avortement médicalisé au Sénégal.
IVG inaccessible
Ces restrictions, pour décourager les abus dans le recours à l’avortement médicalisé, peuvent avoir des conséquences désastreuses comme le révèlent certains témoignages (voir par ailleurs). Rien que pour le certificat médical, il faut débourser 10 000 francs, dans un pays où le salaire moyen est de 50 000 francs. «Dans la pratique, la perspective de se confronter à un corps médical, généralement conservateur, qui appliquera à la lettre les conditions drastiques imposées par la loi, et la crainte de ne pas réussir à obtenir une autorisation dans des délais permettant de mettre fin à la grossesse avant son terme, empêchent les femmes et les filles d’utiliser cette exception. L’entourage familial des femmes et filles enceintes constitue parfois un frein supplémentaire, car l’avortement est perçu comme un interdit religieux. Toutes ces résistances sont amplifiées dans les zones rurales et les régions les plus pauvres où l’influence des communautés religieuses conservatrices est encore plus importante», explique le document. Le rapport n’a d’ailleurs noté aucun cas de femme ayant eu recours à une Ivg. Celles qui prennent le risque d’avorter clandestinement, quelque soit les motivations s’exposent à des sanctions pénales. Elles risquent jusqu’à deux ans de prison et une amende. Le personnel médical complice risque aussi des peines de prison, des amendes et une interdiction d’exercer, sans possibilité de sursis. Celles qui en ont les moyens ont la possibilité de se faire avorter dans des cliniques privées avec des sommes variant entre 300 000 et 500 000 francs Cfa, révèle le rapport.
Plaidoyer pour un droit à l’avortement sans restriction
Le Sénégal est signataire du Protocole de Maputo qui garantit aux femmes le droit à l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus. Cependant cela n’est pas pris en compte. Ce qui fait dire aux défenseurs des droits de l’Homme : « La législation sénégalaise constitue une violation par l’État sénégalais des droits des femmes reconnus par le droit international en matière de santé sexuelle et reproductive ».
En 2013, un projet de réforme de la législation sur l’avortement médicalisé a été initié par le ministère de la Santé. Un projet de loi avec l’ensemble des cas énumérés dans le Protocole de Maputo dans lesquels l’avortement médicalisé devrait être autorisé a été élaboré. «Dans cette réforme, la question de la preuve est centrale. Pour le viol et l’inceste, les preuves des violences sexuelles étant généralement difficiles à rapporter, des règles favorables aux victimes devraient être adoptées. Il est par exemple essentiel de ne pas exiger la corroboration du témoignage de la victime par des preuves matérielles ou par d’autres témoignages. Il est également primordial de ne pas exiger une décision de justice pour prouver les faits, dans la mesure où les délais des procédures judiciaires ne permettraient vraisemblablement pas d’obtenir une autorisation d’Ivg dans le délai de trois mois prévu par le projet de loi», lit-on dans le rapport.
Appel à la réforme de la législation
Les organisations des droits de l’homme qui ont mené cette enquête militent pour l’adoption de réformes et veulent plus. «Le caractère très répressif de la législation actuelle, ainsi que la crainte de transgresser les interdits religieux ont conduit jusqu’à présent les acteurs en faveur de la réforme à limiter leur plaidoyer aux cas envisagés dans le protocole de Maputo», relèvent les rédacteurs du rapport. Cependant, plaident-ils, «l’interdiction de l’avortement, même en dehors de ces cas ne permet pas de garantir le respect des droits humains des femmes, conformément au droit international. Les avortements clandestins sont pratiqués quelle que soit la cause de la grossesse, et mettent en danger la vie des femmes. Durant leur grossesse, et souvent après leur accouchement, les petites et jeunes filles sont privées de leur droit à l’éducation. En portant atteinte au droit des femmes à décider du nombre et de l’espacement des naissances de leurs enfants, ce type de législation a inévitablement un impact sur la vie des femmes et leur place au sein de la société, car ce sont elles qui assument très souvent la charge quotidienne des enfants. La loi doit au contraire donner la possibilité aux femmes de choisir quelle vie elles désirent. L’État ne doit pas s’immiscer dans ce choix. Le droit des femmes à disposer de leurs corps, implique la capacité de décider d’avoir un enfant si elles le veulent, et quand elles veulent ».
Les droits de l’hommiste relèvent les obstacles à l’adoption de la réforme «soutenue» par des femmes parlementaires, le ministère de la Justice et la grande majorité des Organisations de défense des droits de l’homme et des femmes. «Les plus grandes réticences sont exprimées par certaines autorités religieuses, musulmanes et catholiques, opposées à tout type d’avortement, médicalisé ou non», reconnaissent-ils. Néanmoins, «des organisations de la société civile ont donc pris le parti d’entreprendre des actions auprès de religieux modérés. Le plaidoyer exercé par certaines organisations fait appel à un argumentaire religieux. Une plateforme regroupant des organisations de la société civile ainsi que des guides religieux a été mise en place par la Task Force afin de développer des argumentaires juridiques, médicaux, sociologiques, philosophiques, économiques et religieux qui permettent de toucher l’ensemble de la population. Des associations comme Wildaf et le Réseau Siggil Jigéen s’entretiennent régulièrement avec les différentes autorités religieuses», partagent-ils. Ils se félicitent du fait que le tabou autour de l’avortement médicalisé soit levé et le sujet débattu. Pour convaincre, il est noté dans le rapport que «malgré la prohibition de l’Interruption volontaire de grossesse, le taux d’avortements au Sénégal est parmi les plus élevés au monde et sur le continent africain. Ces avortements sont tous des avortements clandestins, pratiqués dans des conditions à risque».
8 à 13% des décès maternels causés par les avortements clandestins
Le rapport de mission rapporte aussi que «de nombreuses femmes souffrent entre autres d’infections, d’infertilité, de handicap ou décèdent à la suite de ces avortements, qui sont toujours traumatisants sur le plan moral. La clandestinité favorise généralement les risques sanitaires et l’absence de soins adéquats après l’opération». Faisant dans la statistique, le document avance qu’environ 8 à 13% des décès maternels au Sénégal sont causés par les avortements clandestins. «La prohibition de l’avortement constitue donc une menace pour l’intégrité physique, mentale et le droit à la vie des femmes», conclut le document. Les infanticides punis par la peine ou les travaux à vie sont aussi des conséquences du manque de recours à l’avortement, croit savoir les défenseurs des droits de l’Homme. Dans ses recommandations, la Fidh appelle à l’adoption dans les plus brefs délais du projet de loi sur l’avortement médicalisé prenant en compte les points relevés dans le Protocole de Maputo.
Awa GUEYE
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