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Sud Quotidien | Sénégal | 14/02/2017 | Lire l'article original
On ne jette pas la pierre mais on apporte une pierre à l'édifice. Que l'on soit de la mouvance présidentielle ou non, de l'opposition ou non, de la société civile intellectuelle ou pas, cette question nous interpelle tous à ensemble poser les pierres, de la première à la dernière, pour mettre sur pied un édifice de "bunkerisation" contre ce terrible fléau qu'est le cancer.
La panne de la machine dévoile au grand jour la panne d'une politique qui n'a jamais existé pour fonctionner, la politique de lutte contre le cancer. Non pas de la politique de santé, mais de la politique du cancer car le mal cancéreux va au-delà de la maladie cancéreuse. Si en général les maladies dites "problème de santé publique" posent au-delà de la biologie des facteurs épidémiologiques et populationnels, le cancer est tout simplement une "maladie de politique publique" . La politique étant par essence l'intelligence d'une solution à l'équation fondamentale "besoins illimités et ressources limitées" pour une survie collective.
Le cancer, jusqu’ici au Sénégal
Plusieurs points paraissent intéressants à l’analyse verticale :
1. Premier point : Disposer d’un institut universitaire de lutte anticancéreuse depuis 1964, soit depuis 52ans et n’avoir que deux oncologues par spécialité thérapeutique est tout simplement scandaleux. Il est révélateur d’un manque criard et cruel de planification de ressources et de feuille de route. Cela donne le triste et famélique résultat d’un acteur formé par génération, qui plus est, ne l’est pas in situ, c’est-à-dire pas formé sur place. L‘université est ainsi interpelée dans son plan de formation. Il ne suffit pas seulement de donner des bourses, mais il faut aussi travailler à rendre le profil attractif pour attirer les candidats potentiels comme les médecins fonctionnaires ou en exercice et pour lesquels l’allocation boursière n’est pas un handicap. En autant d’années, soit en 50 ans, la structure hospitalo-universitaire devrait passer du statut d’utilisateur de spécialistes à celui de producteur de spécialistes dans ces domaines pointus ; la faute, pas forcément imputable aux praticiens mais à coup sûr aux différentes autorités ministérielles de tutelle (ou co-tutelle) au niveau top-opérationnel et aux autorités politiques au niveau top management. Cela est symptomatique d’une absence de plan annualisé de formation, donc d’un programme quinquennal de formation et en toute logique d’une absence de politique de production et d’utilisation de compétences larges et nouvelles, d’où une gestion routinière et pilotage à vue.
2. Deuxième point : Disposer d’un institut depuis 1964 et n’avoir un appareil de radiothérapie (et par pur hasard) qu’en 1989 soit un quart de siècle après, et n’avoir que ce seul appareil en plus d’un demi siècle est tout de même un résultat, mais tristement glorieux. Cela pose trois ordres de problèmes différents. Le premier se présente caricaturalement comme suit : on est en 1964, on inaugure un institut de lutte contre le cancer. Qui dit soins contre le cancer dit au moins, en plus des outils diagnostic et d’exploration, CHIRURGIE, CHIMIOTHERATIE et RADIOTHERAPIE. Si dès l’entame le « Projet de service » existait comme outil de politique, faire marcher le service sur la base d’un paquet incomplet relève d’un manque de sérieux politique. Le « faire semblant de faire », une façon de faire en politique de bluff. Le deuxième aspect tient du fait que l’acquisition en don par une bonne volonté met en exergue la mauvaise volonté politique d’équiper les services, donc d’aller vers l’offre appropriée de soins. Enfin, rester en autant d’années avec une machine obsolète, mais pourvu qu’elle marche, trahit une “politique de dépanneurs“ en lieu et place d’une « politique de promotion ». Autrement dit à la place d’un programme de RELEVEMENT DU PLATEAU TECHNIQUE, on fait un plan de REDRESSEMENT du plateau technique. Il y a nuance conceptuelle : le premier signifie doter les structures déjà bien équipées selon les normes, en équipements au-dessus de l’existant et le second concerne les plateaux effondrés des structures sous équipées.
Ici se trouvent également interpelées au niveau micro les autorités hospitalières encore encrées dans le dépassé paradigme de la « gestion hospitalière »à l’heure du « management hospitalier »qui suppose un projet d’hôpital, différent de celui galvaudé et qui n‘est rien de moins qu’un plan de gestion annualisé et non une projection osée et lucide d’un programme de promotion basé sur les atouts et les avantages concurrentiels devant générer des ressources d’autonomisation. Le résultat est ainsi sans appel, la mort programmée des structures hospitalières avec des services souvent déjà plongés dans un profond coma. Des choix politiques hasardeux comme la gratuité mal théorisée et une CMU mal orientée, se focalisant sur une demande soi-disant « à solvabiliser », se chargeront du reste.
3. Troisième point : la politique de gestion évènementielle du cancer
Au Sénégal et depuis toujours le cancer c’est deux dates: la journée mondiale et « octobre rose ». En dehors de cette journée mondiale du cancer avec sa panoplie de conférences et débats sans lendemains, l’essentiel des manifestations se résume en ce mois où tout le monde se met rose alors tout est morose. Pire, ce moment fort de communication est plus l’apanage des organisations privées comme les ligues et autres associations que l’affaire propre des autorités publiques. Cette pathologie qui tue à « lui seul plus de nos compatriotes que le paludisme, le VIH et la tuberculose réunis », tous l’objet de programmes de lutte, constitue sans nul doute le parent pauvre du système de soins. En définitive, à quelque chose malheur est bon; la panne aux allures d’une « affaire d’Etat » va réussir la prouesse de faire enfin du cancer, jusqu’ici une affaire des associations et ligues privées, une « affaire de l’Etat ».
Problème conjoncturel et solution de conjoncture
Aujourd’hui réparer ou acheter même dix nouvelles machines de radiothérapie, quoique salutaire, relève tout de même de solution conjoncturelle. Il ne devrait pas s’agir juste de créer des services isolés de radiothérapie ou même des services de soins oncologiques dans les hôpitaux classiques mais véritablement de mettre en place des « Complexes de bien-être » regroupant des hôpitaux oncologiques et des « cités de l’espoir » assurant l’hébergement en pré ou post hospitalisation et en ambulatoire mais aussi les activités sociologiques de soutien allant du discours socio-religieux aux soins de maquillages“. Ceci est une réponse transversale à l’image du cancer. Ainsi proposer un plan opérationnel sans une politique, pose problème. Il est important au préalable et selon toute logique académique et scientifique de définir une politique documentée et clairement argumentée, axée sur la vision et de laquelle émaneront des programmes qui seront opérationnalisés par DES plans opérationnels pouvant relever parfois même d’autorités ministérielles différentes.
Proposition d’une politique ambitieuse et en cohérence avec la vision d’émergence
La vision politique est bien là et est déclinée par le concept d’un Sénégal émergent. Celle-ci doit reposer sur un soubassement constitué par les offres politiques ci-après, comme canaux d’opérationnalisation, à savoir le PSE, la CMU, l’ACTE III et le PUDC. Ainsi pour être en phase et en parfaite cohérence avec l’esprit du PSE, il s’agit de définir le cancer comme une « maladie de l’émergence ». Autrement dit une maladie non pas exclusivement appauvrissante mais aussi une maladie créatrice de ressources. Sachant que la santé est annexée à la rubrique touristique du PSE, il faudrait faire de sorte le cancer soit un motif de tourisme médical c’est-à-dire qui fait de notre pays une destination des patients de la sous-région.
Dans le souci politique de l’équité territoriale, qui est l’essence de l’acte III de la décentralisation, le complexe du centre nationale d’oncologie pourrait même se situer en dehors de Dakar avec des centres régionaux dont pourraient faire partie celui ou ceux de la capitale. C‘est pourquoi il est incompréhensible qu’il soit question des appareils supplémentaires pour des hôpitaux de Dakar et non prioritairement sur l’axe Ziguinchor- Kolda- Tambacounda-Kédougou ou l’axe Saint-louis-Diourbel. Des centres du genre, installés dans ces zones reculées par rapport à la capitale auront le double avantage de constituer un réceptacle de demandeurs de soins des pays limitrophes et même au-delà.
Ainsi le site de Saint-Louis, malgré le centre de Mauritanie pourrait être intéressant, de même que celui de Ziguinchor-Kolda pour nos voisins de la Guinée et de la Gambie. L’autre avantage, c’est de s’affranchir de l’approche normative, souvent très théorique et passive en politique, de “un appareil pour 200 000 habitants“ et de corriger un tant soit peu le déséquilibre démographique et territorial en créant de nouveaux pôles humains ou villes.
Quant à la CMU, quoique excellente offre politique mais dont la réorientation stratégique est plus que nécessaire en ce moment censé être celui de son évaluation sur directive présidentielle, la panne de la machine a tranché net le débat pour ceux qui tardent encore à comprendre: la demande est là et bien là, mais l’offre de soins introuvable. Conséquence, c’est l’évacuation sanitaire et “économique” portant un grand coup à la philosophie politique du PSE qui entendait faire de notre pays un point de convergence et non sa vassalisation à d’autres hubs médicaux.
Ainsi, la politique se devra aussi de s’orienter courageusement vers un partenariat public privé national et international pour la mise en place de centres privés d’oncologie pour aider à combler l’iniquité territoriale. Quant au gap en ressources humaines, il est trop important justifiant un programme à cet effet, spécifique ou global, et devra être résolu dans des délais brefs avec une politique de coopération internationale pouvant faire appel à un recrutement de personnel aguerri, au-delà de tout orgueil superflu. Cela aurait l’avantage, en attendant que nous puissions atteindre une masse critique de praticiens expérimentés (car être formé et diplômé est une chose, avoir l’expérience et l’expertise en est une autre et nécessite du temps), de pouvoir faire marcher dans des délais moralement acceptables les différentes structures car la lutte contre le cancer est avant tout une course contre la montre et la mort, donc sérieuse. L’autre atout c’est de bénéficier d’un transfert de compétence in situ et de minimiser les risques de fuites (ou de rétention exogène) de cerveaux. Cette vision et une telle politique ont un coût ; celui d’une ambition légitime pour notre bien commun : le Sénégal.
Dr. Cheick Atab BADJI
Gynécologue-Obstétricien/ Obst-Gyn
Master en Management de Projets/Projects Manager
Master (c) en santé publique, Suivi et Evaluation de programmes et projets de santé/ MPH Health Projects and Programs Monitoring and Evaluation
Lauréat en Promotion de la Santé/Health Promotion
MBA en Science Politique, Géostratégie et Relations Internationales/ Political Science, Geostrategy and International Relationship
Analyste de politique, offre politique, biopolitique et Géostratégie de la santé mondiale/ Policy, biopolitic and Global Health Geostrategy analyste
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