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GUINEE MADAGASCAR MALI R.D. CONGO SENEGAL TOGO
Infomed | Sénégal | 06/10/2022 | Lire l'article original
Au Sénégal, les violences conjugales comme sexuelles sont un véritable fléau. Si la prise en charge des victimes est plutôt encourageante, elle reste largement à être améliorée.
Le cauchemar d'Oumou commence un jour d'Août 2021. Jeune mariée, elle vient de divorcer avec une grossesse de deux mois. Ses parents refusent de l'héberger dans le domicile familial. S'ensuivent trois jours d'errance à la suite desquels elle arrive à trouver refuge dans un centre hospitalier aux Maristes. Une femme l'accoste par hasard dans la rue et la dirige vers la Maison Rose. Nichée dans le quartier de Médina Gounass à Guédiawaye, « La Maison Rose », de par sa couleur, détonne d'avec l'habitat environnant. Depuis 2008, ce logis construit par l'association Univers'Elles accueille des jeunes filles et femmes en détresse pour leur permettre de se reconstruire. « C'est ici que tout le suivi de ma grossesse a été assuré », affirme Oumou, calmant son nourrisson porté au dos. « Même s'il m'arrive parfois de pleurer quand je me remémore mes problèmes, je peux tout de même dire que je me porte beaucoup mieux depuis que je vis ici », renchérit-elle.
Dans la Maison Rose, femmes victimes de violences sexuelles ou conjugales et enfants issus de viols se partagent la concession haute d'un étage. « L'architecture ventrale de la maison n'est pas fortuite, l'idée est d'apporter une protection et un cadre convivial dans le but de traiter la souffrance de ces femmes sous toutes ses formes. Avec des enfants parfois non désirés, nous nous attachons aussi à construire un lien entre ceux-ci et leurs mères », explique Mona Chasserio, présidente-fondatrice de La Maison Rose. Son apport principal à ces personnes vulnérables se veut psychologique : « mon objectif est d'apprendre à ces femmes à se connaître individuellement et collectivement car j'ai la conviction que le chemin le plus efficace de la guérison est celui psychique », affirme Mona. Pour cela, des séances quotidiennes de dessin, couture et de danse occupent ces femmes : des activités qui sont censées tenir lieu d'exutoires.
La Maison Rose compte actuellement une douzaine de bébés, une dizaine d'adolescentes et une quinzaine de femmes. Parmi ces dernières, Mame Diarra Touré, mère de trois enfants. D'origine ivoirienne, elle vivait avec sa tante et leur bailleur. La tante décède. Suite à cet épisode, le bailleur menace Mame Diarra au couteau pour l'obliger à avoir des rapports sexuels avec lui. La jeune femme enceinte refuse et se retrouve dans l'obligation de fuir, jusqu'à heureusement atterrir à La Maison Rose. « Cette maison m'a apporté la paix, la tranquillité d'esprit et le bonheur », confesse-t-elle.
Lorsqu'il s'agit de violences, la phase d'examen physique des victimes est déterminante. « Face à toute victime de violence, le rôle du médecin légiste est, à travers un certificat de travail, de constater si une lésion existe, et d'en évaluer l'impact tant sur le plan somatique que psychologique dans le but de voir s'il y a une incapacité totale de travail. Cela est un élément important pour que le juge puisse qualifier les faits : quand cette incapacité dépasse 21 jours, ce n'est plus une contravention mais un délit », éclaire Amadou Sow, médecin légiste, conseiller au niveau de l'Agence de la couverture maladie universelle (CMU). Selon le psycho-sociologue Ismaïla Sène, le travail du psychologue se résume essentiellement à « accueillir la victime, l'écouter et lui proposer un accompagnement psychosocial qui lui donnera des outils pour faire face au problème et d'activer des mécanismes de résilience afin que ne soit pas dégradée sa relation avec elle-même et son environnement ». Toutefois, il estime qu'il faudrait également investir les facteurs à risque. Autrement dit, « travailler sur les facteurs à risques de violence pour mieux combattre et prévenir le problème à la base ».
Créée en 1996, le Comité de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants (CLVF) a, dès sa création, mis en place des centres d'écoute et d'orientation. Ces derniers sont tenus « par des femmes qui ont beaucoup d'expérience en la matière et qui ont une certaine maturité en matière d'écoute et de conseil. Ce sont des femmes spécialistes aussi bien en droit qu'en communication et relais communautaires », explique Ndèye Fatou Sarr, présidente du CLVF. En ce qui concerne l'accompagnement des victimes, l'apport du comité consiste à « les orienter, voire les conduire vers les structures sanitaires pour l'obtention d'un certificat médical ou vers des structures sœurs affiliées selon la nature ou le type de violence subies », indique-t-elle. Avant d'ajouter : « il peut aussi arriver que nous prenions en charge les frais médicaux ou de justice ».
Concernant le volet juridique, l'association des juristes sénégalaises (AJS) a créé huit « boutiques de droit » sur le territoire national. Ces structures en centres d'accueil, d'assistance et d'orientation juridiques destinées à tout justiciable, accueillent maintenant en majorité des victimes de violences basées sur le genre. « Parmi les deux mille cas de justiciables que nous recevons chaque trimestre dans nos boutiques de droit, des centaines concernent les violences basées sur le genre », affirme Coumba Gueye Ka, juriste et secrétaire exécutif de l'AJS. Dans les boutiques de Dakar sises à la Médina et Pikine, les cas sont particulièrement nombreux et l'AJS prend la peine de suivre les procédures jusqu'au bout, à en croire Mme Ka. Toutefois, « la libération de la parole des victimes reste encore loin d'être acquise », regrette-t-elle. Avant de renchérir : « Il faut surtout savoir que la justice a un coût et ce n'est pas des moindres. Donc, nous devrions avoir des partenaires qui nous aident à ce niveau car la réalité est que nos boutiques sont majoritairement fréquentées par des couches défavorisées et les moyens financiers nous font parfois défaut ».
Au-delà des pesanteurs socio-culturelles connues qui sont souvent des freins à la prise en charge effective de ces victimes de violences, d'autres obstacles matériels se dressent. « Ces dernières années, le CVFL n'a pas bénéficié d'appui financier de la part des partenaires techniques, ce qui a logiquement affecté nos activités », regrette Ndèye Fatou Sarr. Même son de cloche chez Mona Chasserio. « Nous ne recevons pas d'aide de l'Etat, ce qui rend la prise en charge assez compliquée », se plaint-elle. Amadou Sow estime pour sa part, qu'il faudrait aussi « rendre plus accessibles les médecins légistes par la création d'unités médico-judiciaires au moins dans chaque région ».
Ndèye Fatou Sarr, en ce qui la concerne, préconise « une prise en charge holistique œuvrant pour une bonne visibilité des offres de service, qui va permettre aux victimes de savoir le lieu exact où elles doivent se diriger en cas de besoin ». S'agissant du phénomène de la pédophilie, le Sénégal a mis en place des cadres de coordination au niveau de chaque département (les Comités départementaux de protection de l'enfant) avec des Organisations de la société civile et les services déconcentrés de ministères affiliés. Hormis l'aspect sensibilisation qui redouble d'intensité, la présidente de CLVF plaide également pour que « les organisations de la société civile se montrent plus promptes à se constituer parties civiles afin de porter les dossiers à terme devant la justice ». D'ailleurs, le 10 janvier 2020, le Sénégal a promulgué la loi n° 2020 – 05 criminalisant le viol et la pédophilie.
Française d'origine sénégalaise, la militante et entrepreneuse, Diarata N'diaye, a lancé en 2015, l'application « App-Elles ». Le logiciel donne des informations permettant aux victimes de violences de pouvoir alerter rapidement des proches, services d'urgences, associations ou toute source d'aide disponible d'autour d'elles.
Récemment, une maison d'accueil des femmes victimes de violences conjugales est sortie de terre à Petit Mbao, dans la banlieue dakaroise. Construite par l'association Kayam, le centre accueillera les femmes victimes de violence qui pourront y séjourner avec leurs enfants en bas âge. Au Sénégal, une étude onusienne sur les violences faites aux femmes a révélé que 50% des victimes de violences basées sur le genre ont entre 20 et 40 ans, et 32,7% ont entre 40 et 60 ans.
Enquête réalisée par Kensio AKPO
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