Le 30 août, pays riches et pays pauvres se sont réunis en catimini,
avant l'ouverture du sommet de Cancun, pour tenter de régler la
question de l'accès aux médicaments génériques, qui empoisonnait
leurs relations depuis près de deux ans. Du bras de fer opposant
les laboratoires pharmaceutiques et pays en voie de développement
est sorti un accord, présenté comme historique par ses partisans
et illusoire par ses détracteurs. Que ceux qui considèrent toujours
les médicaments comme une banale marchandise se rassurent. Le vide
laissé par la déclaration de Doha de novembre 2001 a certes été
comblé mais leurs intérêts sont sauvegardés.
Le 30 août, les membres de l'Organisation mondiale du commerce
(Omc) ont signé un accord censé résoudre le principal point d'achoppement
entre pays pauvres et gouvernements occidentaux: l'approvisionnement
en médicaments génériques des pays en développement qui ne disposent
pas d'industrie pharmaceutique. Un accord pour tourner la page de
deux années d'âpres négociations. Présenté en son temps comme une
victoire des pays en voie de développement arrachée aux lobbies
pharmaceutiques, l'accord de Doha, déclarant la primauté du droit
à la santé sur le droit aux brevets, s'était en effet soldé par
un demi-échec. Tout laissait pourtant présager un avenir radieux
pour les génériques.
Doha : l'espoir déchu
A l'issue de déclarations de bonnes intentions, les pays riches
avaient accepté le principe selon lequel les pays les moins avancés
puissent autoriser, en cas d'urgence sanitaire, la production de
ces médicaments à bas prix. Un signal fort en direction des victimes
du VIH et des autres formes de pandémies, comme le paludisme ou
la tuberculose. Ni plus, ni moins.
Les Etats-Unis et l'Union européenne, soutenus par les compagnies
pharmaceutiques, ont en effet exigé que les pathologies susceptibles
de bénéficier d'une licence obligatoire soient limitées aux "maladies
africaines", excluant de facto d'autres maladies telles que le cancer
ou le diabète. Une position inacceptable pour les pays en développement
qui ont aussitôt revendiquer le droit de définir eux-mêmes ce qui
relève de la protection de la santé publique dans leur propre pays.
De plus, les accords de Doha empêchaient l'exportation des médicaments
produits sous licence obligatoire vers d'autres pays. Une situation
intenable quand on sait que peu de pays ont la capacité technologique
de produire des versions génériques des médicaments dont ils ont
besoin. L'idée sous-jacente était simple : éviter que l'importation
de génériques puisse se faire à partir de n'importe quel pays. Et
notamment d'Inde et du Brésil, deux pays qui poussent pour pouvoir
commercialiser leurs propres génériques, qui défient toute concurrence.
Une histoire de gros sous
L'enjeu est de taille : selon une étude du cabinet britannique
Bryan Garnier and Co, ce sont 50 milliards de dollars qui seraient
menacés par l'arrivée des génériques d'ici à 2007. Pour justifier
leurs réticences, les grandes multinationales pharmaceutiques mettent
en avant les risques de réimportation frauduleuse ainsi que les
dangers que feraient courir les génériques sur les besoins de recherche
et développement des laboratoires.
Des arguments qui tombent à plat quand on apprend que l'Afrique,
où se concentrent près de 90% des malades du sida représente moins
de 1% du marché mondial du médicament. La réalité est moins glorieuse
: il s'agit en fait pour l'industrie pharmaceutique de limiter les
possibilités de production de génériques pour les médicaments qui
génèrent des profits beaucoup plus élevés. En gros, limiter l'accès
aux médicaments génériques des pays pauvres pour les seules maladies
qui menacent la survie même de ces pays. Excluant de facto des maladies,
telles que le diabète ou l'asthme.
L'accord du 30 août, assurément, ne contribuera pas à bouleverser
l'ordre établi. Ménageant la chèvre et le choux, il permet certes
d'importer des copies bon marché de médicaments brevetés, mais au
terme de formalités administratives contraignantes.
Ainsi, pour pouvoir exporter ses génériques, un pays tel que l'Inde,
qui dispose de près de 22 000 sociétés d'usines pharmaceutiques,
devra tout comme ses clients voter une licence obligatoire, susceptible
d'être attaquée devant l'Omc par des pays s'estimant lésés. Tout
pays membre de l'organisation pourra également demander des informations
supplémentaires, ce qui ne manquera pas d'allonger les procédure
de vente des génériques. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons,
rien n'empêchant un Etat d'agir pour de sombres raisons politiques.
Un jeu de polichinelle dont dépendra le sort de millions de malades.
Fabrice TURRI
Lire l'article original : http://www.lexpressmada.com/article.php?id=15564&r=4&d=2003-09-25
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