L'Hebdomadaire du Burkina : L'OST,
on en entend parler sans toujours connaître exactement son statut
et les prestations qu'il offre au public. Voulez-vous présenter
votre institution à nos lecteurs ?
Dr Karfo Kapouné : D'abord je voudrais
remercier à travers l'Hebdo , l'ensemble de la presse parce que,
il y a quelque temps, nous avons organisé les 48 heures de l'OST
et je garde en bon souvenir que l'ensemble de la presse en tout
cas celles que nous avons sollicitées, nous ont aidé à mieux faire
connaître l'Office de Santé des Travailleurs (OST). Maintenant,
pour répondre à votre question, je dois dire que l'OST est un établissement
public de l'Etat qui a été créé le 31 juillet 1987. La première
mission de l'OST, c'est la santé des travailleurs. Mais maintenant
qui est travailleur ? Parce que dans notre pays les gens ont vite
pensé que, est travailleur l'ensemble des personnes qui travaillent
dans les secteurs structurés. Alors qu'on sait pertinemment que
dans le Tiers monde aujourd'hui, le secteur informel constitue à
n'en point douter le plus grand apport des revenus des pays. Donc
de ce point de vue-là, il faut élargir cette définition que les
gens ont du travailleur en pensant que c'est celui qui est dans
un secteur structuré.
Le travailleur ici aujourd'hui, c'est le secteur structuré mais
aussi le secteur informel. Dans le secteur informel, vous avez tout
ce qui se passe dans les grandes villes et les villes moyennes,
et aussi ce qui se passe dans le secteur de l'agriculture. Par santé
de travailleur, il faut prendre en compte tous ces gens-là. C'est
pourquoi à l'occasion des 48 heures justement, nous avons tenu à
aller dans un atelier, dans le secteur informel, pour pouvoir leur
faire une visite médicale périodique et une visite des lieux de
travail. Cette notion élargie du travailleur que je viens de donner
est acceptée par le Bureau International du Travail (BIT) et aussi
par l'OMS qui, d'ailleurs travaille dans ce sens-là. Mais les vraies
missions de l'OST sont :
- La sécurité des travailleurs dans les lieux de travail. Cela
veut dire que l'OST doit s'assurer avec l'employeur que, par exemple
le matériel que l'employé va utiliser pour faire son boulot qu'il
n'y a pas de risque, que l'environnement qui l'entoure n'est pas
un risque pour lui.
- La surveillance médicale des travailleurs
- et la troisième mission est la prise en charge des travailleurs
en cas de maladie. L'OST se fait aussi conseiller. En ce sens
que l'OST apporte des conseils à l'employeur et à l'employé pour
que, ensemble ils puissent mettre en application les règles qui
s'imposent dans la sécurité de la santé au travail.
L'Hebdomadaire du Burkina : Quels
sont les avantages et les contraintes que vous rencontrez au quotidien
dans vos missions ?
Dr Karfo Kapouné : Il faut dire
que les contraintes que nous rencontrons sont celles liées à la
méconnaissance de nos missions par les travailleurs et les employeurs.
Les 48 heures que nous avons organisées ont révélé cette méconnaissance
et une mauvaise interprétation des missions qui sont assignées à
l'OST. Sinon l'OST est une structure qui est là pour appliquer la
politique de santé des travailleurs élaborée par le gouvernement.
Quant aux avantages, je dirai que l'existence même de la structure
est un avantage certain surtout pour un pays comme le nôtre. On
dit souvent que la santé n’a pas de prix, mais la santé a un coût.
Chaque fois que nous allons au dispensaire, même si le médicament
est offert gratuitement, il a été payé par quelqu’un quelque part.
Donc le symbolisme de cette assertion qui dit que la santé n’a pas
de coût, soit on refuse de déclarer que le coût existe, soit on
demande aux gens de ne pas hésiter à financer leur santé parce qu'
avant tout, il faut être en bonne santé. Ce sont les interprétations
exactes de ce symbolisme-là. Mais l’autre exploitation, la plus
sadique de cette assertion, la santé n’a pas de prix, c’est celle-là
qui joue sur le psychisme de la population pour qu’elle donne tout
ce qu’elle a quand elle est devant l’agent de santé et généralement
tout ce qu’elle donne c’est au profit de ces personnes à la moralité
douteuse. La santé des populations est une mission de l’Etat et
en aucun cas l’Etat burkinabé ne peut se désengager. C’est pourquoi
sous la pression du libéralisme et pour éviter le néo-libéralisme
qui consiste à exploiter sauvagement le patient, l’Etat a créé les
établissements publics au niveau de la santé.
Les avantages au niveau de ces établissements sont que l’on évite
les lourdeurs administratives qui sont connues dans certains services
de l’Etat. Cela aussi est l’un des avantages que l’OST a eu étant
un EPA. Moins de lourdeur administrative, et la dispensation de
service de qualité à moindre coût pour la majorité.
L'Hebdomadaire du Burkina : Aujourd’hui
la libéralisation qui touche le secteur de la santé fait proliférer
les établissements privés de soins surtout à Ouagadougou. Quel regard
portez-vous sur cette donne en tant qu’homme de terrain ?
Dr Karfo Kapouné : Personnellement
je trouve que c’est une bonne chose qu’il y ait un secteur privé,
au côté du secteur public. L’autre chose est que la concurrence
dans le secteur privé s’installe dans les règles de l’art. L’art
en matière de réglementation, l’art en matière de qualité de ressources
humaines, et des prestations. Tout ceci a été pris en compte récemment
par le ministère de la Santé qui a créé une direction du sous-secteur
santé privé.
L'Hebdomadaire du Burkina : Libéralisation
suppose concurrence. Quelles peuvent être selon vous les conséquences
de cette concurrence dans le secteur de la santé ?
Dr Karfo Kapouné : La concurrence,
quand elle est organisée et loyale, il n’y a pas de conséquences.
Mais de mon point de vue, quand la concurrence est déloyale, il
y a des inconvénients pour la population et pour notre système de
santé. Comme exemple de concurrence déloyale, je pourrais dire qu’un
médecin, qui exerce dans le public et qui est propriétaire d’une
clinique, fait une concurrence déloyale à celui qui est totalement
installé dans le privé. Il y a aussi ce qu’on appelle le rabattage
des patients qui consiste à faire partir les patients des établissements
publics de santé vers les établissements privés où ils sont généralement
propriétaires pour les consulter. Il y a également ce qu’on appelle
le pompage ou encore le soutirage qui consiste à soutirer le matériel
du secteur public pour aller exercer dans les cliniques privées.
En dernier lieu il y a aussi les agents publics de santé qui servent
dans le privé à prix réduit par exemple, là où la consultation est
de 5 000 F eux, ils prennent 2 000 F ou 2 500 F CFA et ils sont
satisfaits sans savoir souvent qu’ils sont exploités.
L'Hebdomadaire du Burkina : Quel
doit être le rôle ou la responsabilité de l’Etat dans la régulation
de cette concurrence ?
Dr Karfo Kapouné : L’Etat doit
organiser la concurrence avec des règles claires et transparentes.
Pour le Burkina Faso, on doit copier ce qui se passe ailleurs pour
régler le problème du privé de manière définitive. Si les autres
ont réussi pourquoi pas nous ?
L'Hebdomadaire du Burkina : Ne
pensez-vous pas que cette concurrence est préjudiciable à la population
et pourrait dévier le sacerdoce de certains médecins ?
Dr Karfo Kapouné : Cela est tout
à fait évident. Certains ont mis le serment d’Hippocrate de côté
depuis longtemps, d’autres, aux dires d’un éminent médecin, ont
clochardisé le métier de médecin.
L'Hebdomadaire du Burkina : Pensez-vous
que l’Ordre des médecins a un rôle à jouer dans la régulation et
le contrôle de la qualité du travail dans les établissements privés
et qu’est-ce qui est fait dans ce sens à votre connaissance?
Dr Karfo Kapouné : C’est certain
que l’Ordre des médecins est un instrument très important pour le
système de santé. D’abord c’est un instrument des médecins aux mains
des médecins pour organiser leur métier et ensuite, c’est un instrument
sur lequel l’Etat devrait s’appuyer pour des avis en matière de
santé et pour mieux réguler et contrôler l’exercice de la profession.
Qu’est-ce qui est fait ? J’avoue que c’est la question qui m’embarrasse
le plus. Ce qui est observable, l’Ordre est absent du terrain.
L'Hebdomadaire du Burkina : On
accuse souvent à tort ou à raison certains médecins de privilégier
le gain en lieu et place de leur sacerdoce et les exemples en la
matière on en voit tous les jours aussi bien dans le public que
dans le privé. Un commentaire à ce propos ?
Dr Karfo Kapouné : Ce ne sont pas
les médecins seulement, c’est le gros lot des fonctionnaires burkinabé
depuis le cadre supérieur jusqu’à l’agent de soutien. Mais la santé
étant un domaine très sensible, la nouvelle est vite répandue. C’est
un problème sérieux auquel il faut faire face. J’ai des idées qui
ne sont pas assez mûries sur la question, donc je préfère les garder
pour la prochaine interview.
L'Hebdomadaire du Burkina : Avez-vous
des éléments de comparaison entre ce qui se passe au Burkina Faso
et ailleurs en matière de privatisation des soins de santé ?
Dr Karfo Kapouné : Non, je ne suis
pas d’accord avec vous quand vous parlez de privatisation de la
santé. Il n’y a jamais eu, il n’a jamais été question de privatiser
la santé au Burkina Faso. Cette question touche à la souveraineté
nationale. Donc il n’est pas question de privatiser la santé. Au
Burkina Faso nous avons opté pour les soins de santé primaires avec
la déclaration de 1978 et l’initiative de Bamako en 1987. Alors
la philosophie de ces deux instruments c’est de faire participer
au maximum les populations à la gestion de leur santé. De mon observation
personnelle, je dirais que premièrement, l’initiative de Bamako
a été néo-libérale. Je m’explique : toute la stratégie est actuellement
tournée vers le gain d’argent et le gain d’argent au profit de qui,
pas des populations mais des agents de santé. Deuxièmement, la contextualisation
de cette théorie a un peu manqué à la base; c’est ce qui explique
en partie la non fréquentation des structures de santé, l’engorgement
des structures anciennes comme l’hôpital Yalgado Ouédraogo et Sanou
Sourô de Bobo ; ceci est une question à approfondir.
L'Hebdomadaire du Burkina : Qu’est-ce
que vous auriez voulu dire que nos questions ne vous ont pas permis
de dire ?
Dr Karfo Kapouné : Quand je pense
à notre système de santé, je ne présage pas de l’avenir. Le schéma
est très clair ; mais à la base, comme je l’ai dit pour la dispensation
des soins nous rencontrons de sérieux problèmes. Peut-être faut-il
reconsidérer le côté socio-antropologique ? Je n’en sais rien.
Jules R. Ilboudo
Lire l'article original : http://www.fasonet.bf/hebdo/actualite2/hebdo238/Grosentretien238.htm
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