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L'actualité de la santé en Afrique

Établissements privés de soins de santé : "L'Ordre des médecins est absent du terrain" selon le docteur Karfo Kapouné, DG de l’OST - L'HEBDOmadaire - Burkina Faso - 17/10/2003

L'Hebdomadaire du Burkina : L'OST, on en entend parler sans toujours connaître exactement son statut et les prestations qu'il offre au public. Voulez-vous présenter votre institution à nos lecteurs ?

Dr Karfo Kapouné : D'abord je voudrais remercier à travers l'Hebdo , l'ensemble de la presse parce que, il y a quelque temps, nous avons organisé les 48 heures de l'OST et je garde en bon souvenir que l'ensemble de la presse en tout cas celles que nous avons sollicitées, nous ont aidé à mieux faire connaître l'Office de Santé des Travailleurs (OST). Maintenant, pour répondre à votre question, je dois dire que l'OST est un établissement public de l'Etat qui a été créé le 31 juillet 1987. La première mission de l'OST, c'est la santé des travailleurs. Mais maintenant qui est travailleur ? Parce que dans notre pays les gens ont vite pensé que, est travailleur l'ensemble des personnes qui travaillent dans les secteurs structurés. Alors qu'on sait pertinemment que dans le Tiers monde aujourd'hui, le secteur informel constitue à n'en point douter le plus grand apport des revenus des pays. Donc de ce point de vue-là, il faut élargir cette définition que les gens ont du travailleur en pensant que c'est celui qui est dans un secteur structuré.

Le travailleur ici aujourd'hui, c'est le secteur structuré mais aussi le secteur informel. Dans le secteur informel, vous avez tout ce qui se passe dans les grandes villes et les villes moyennes, et aussi ce qui se passe dans le secteur de l'agriculture. Par santé de travailleur, il faut prendre en compte tous ces gens-là. C'est pourquoi à l'occasion des 48 heures justement, nous avons tenu à aller dans un atelier, dans le secteur informel, pour pouvoir leur faire une visite médicale périodique et une visite des lieux de travail. Cette notion élargie du travailleur que je viens de donner est acceptée par le Bureau International du Travail (BIT) et aussi par l'OMS qui, d'ailleurs travaille dans ce sens-là. Mais les vraies missions de l'OST sont :

  • La sécurité des travailleurs dans les lieux de travail. Cela veut dire que l'OST doit s'assurer avec l'employeur que, par exemple le matériel que l'employé va utiliser pour faire son boulot qu'il n'y a pas de risque, que l'environnement qui l'entoure n'est pas un risque pour lui.
  • La surveillance médicale des travailleurs
  • et la troisième mission est la prise en charge des travailleurs en cas de maladie. L'OST se fait aussi conseiller. En ce sens que l'OST apporte des conseils à l'employeur et à l'employé pour que, ensemble ils puissent mettre en application les règles qui s'imposent dans la sécurité de la santé au travail.

L'Hebdomadaire du Burkina : Quels sont les avantages et les contraintes que vous rencontrez au quotidien dans vos missions ?

Dr Karfo Kapouné : Il faut dire que les contraintes que nous rencontrons sont celles liées à la méconnaissance de nos missions par les travailleurs et les employeurs. Les 48 heures que nous avons organisées ont révélé cette méconnaissance et une mauvaise interprétation des missions qui sont assignées à l'OST. Sinon l'OST est une structure qui est là pour appliquer la politique de santé des travailleurs élaborée par le gouvernement. Quant aux avantages, je dirai que l'existence même de la structure est un avantage certain surtout pour un pays comme le nôtre. On dit souvent que la santé n’a pas de prix, mais la santé a un coût. Chaque fois que nous allons au dispensaire, même si le médicament est offert gratuitement, il a été payé par quelqu’un quelque part. Donc le symbolisme de cette assertion qui dit que la santé n’a pas de coût, soit on refuse de déclarer que le coût existe, soit on demande aux gens de ne pas hésiter à financer leur santé parce qu' avant tout, il faut être en bonne santé. Ce sont les interprétations exactes de ce symbolisme-là. Mais l’autre exploitation, la plus sadique de cette assertion, la santé n’a pas de prix, c’est celle-là qui joue sur le psychisme de la population pour qu’elle donne tout ce qu’elle a quand elle est devant l’agent de santé et généralement tout ce qu’elle donne c’est au profit de ces personnes à la moralité douteuse. La santé des populations est une mission de l’Etat et en aucun cas l’Etat burkinabé ne peut se désengager. C’est pourquoi sous la pression du libéralisme et pour éviter le néo-libéralisme qui consiste à exploiter sauvagement le patient, l’Etat a créé les établissements publics au niveau de la santé.
Les avantages au niveau de ces établissements sont que l’on évite les lourdeurs administratives qui sont connues dans certains services de l’Etat. Cela aussi est l’un des avantages que l’OST a eu étant un EPA. Moins de lourdeur administrative, et la dispensation de service de qualité à moindre coût pour la majorité.

L'Hebdomadaire du Burkina : Aujourd’hui la libéralisation qui touche le secteur de la santé fait proliférer les établissements privés de soins surtout à Ouagadougou. Quel regard portez-vous sur cette donne en tant qu’homme de terrain ?

Dr Karfo Kapouné : Personnellement je trouve que c’est une bonne chose qu’il y ait un secteur privé, au côté du secteur public. L’autre chose est que la concurrence dans le secteur privé s’installe dans les règles de l’art. L’art en matière de réglementation, l’art en matière de qualité de ressources humaines, et des prestations. Tout ceci a été pris en compte récemment par le ministère de la Santé qui a créé une direction du sous-secteur santé privé.

L'Hebdomadaire du Burkina : Libéralisation suppose concurrence. Quelles peuvent être selon vous les conséquences de cette concurrence dans le secteur de la santé ?

Dr Karfo Kapouné : La concurrence, quand elle est organisée et loyale, il n’y a pas de conséquences. Mais de mon point de vue, quand la concurrence est déloyale, il y a des inconvénients pour la population et pour notre système de santé. Comme exemple de concurrence déloyale, je pourrais dire qu’un médecin, qui exerce dans le public et qui est propriétaire d’une clinique, fait une concurrence déloyale à celui qui est totalement installé dans le privé. Il y a aussi ce qu’on appelle le rabattage des patients qui consiste à faire partir les patients des établissements publics de santé vers les établissements privés où ils sont généralement propriétaires pour les consulter. Il y a également ce qu’on appelle le pompage ou encore le soutirage qui consiste à soutirer le matériel du secteur public pour aller exercer dans les cliniques privées. En dernier lieu il y a aussi les agents publics de santé qui servent dans le privé à prix réduit par exemple, là où la consultation est de 5 000 F eux, ils prennent 2 000 F ou 2 500 F CFA et ils sont satisfaits sans savoir souvent qu’ils sont exploités.

L'Hebdomadaire du Burkina : Quel doit être le rôle ou la responsabilité de l’Etat dans la régulation de cette concurrence ?

Dr Karfo Kapouné : L’Etat doit organiser la concurrence avec des règles claires et transparentes. Pour le Burkina Faso, on doit copier ce qui se passe ailleurs pour régler le problème du privé de manière définitive. Si les autres ont réussi pourquoi pas nous ?

L'Hebdomadaire du Burkina : Ne pensez-vous pas que cette concurrence est préjudiciable à la population et pourrait dévier le sacerdoce de certains médecins ?

Dr Karfo Kapouné : Cela est tout à fait évident. Certains ont mis le serment d’Hippocrate de côté depuis longtemps, d’autres, aux dires d’un éminent médecin, ont clochardisé le métier de médecin.

L'Hebdomadaire du Burkina : Pensez-vous que l’Ordre des médecins a un rôle à jouer dans la régulation et le contrôle de la qualité du travail dans les établissements privés et qu’est-ce qui est fait dans ce sens à votre connaissance?

Dr Karfo Kapouné : C’est certain que l’Ordre des médecins est un instrument très important pour le système de santé. D’abord c’est un instrument des médecins aux mains des médecins pour organiser leur métier et ensuite, c’est un instrument sur lequel l’Etat devrait s’appuyer pour des avis en matière de santé et pour mieux réguler et contrôler l’exercice de la profession. Qu’est-ce qui est fait ? J’avoue que c’est la question qui m’embarrasse le plus. Ce qui est observable, l’Ordre est absent du terrain.

L'Hebdomadaire du Burkina : On accuse souvent à tort ou à raison certains médecins de privilégier le gain en lieu et place de leur sacerdoce et les exemples en la matière on en voit tous les jours aussi bien dans le public que dans le privé. Un commentaire à ce propos ?

Dr Karfo Kapouné : Ce ne sont pas les médecins seulement, c’est le gros lot des fonctionnaires burkinabé depuis le cadre supérieur jusqu’à l’agent de soutien. Mais la santé étant un domaine très sensible, la nouvelle est vite répandue. C’est un problème sérieux auquel il faut faire face. J’ai des idées qui ne sont pas assez mûries sur la question, donc je préfère les garder pour la prochaine interview.

L'Hebdomadaire du Burkina : Avez-vous des éléments de comparaison entre ce qui se passe au Burkina Faso et ailleurs en matière de privatisation des soins de santé ?

Dr Karfo Kapouné : Non, je ne suis pas d’accord avec vous quand vous parlez de privatisation de la santé. Il n’y a jamais eu, il n’a jamais été question de privatiser la santé au Burkina Faso. Cette question touche à la souveraineté nationale. Donc il n’est pas question de privatiser la santé. Au Burkina Faso nous avons opté pour les soins de santé primaires avec la déclaration de 1978 et l’initiative de Bamako en 1987. Alors la philosophie de ces deux instruments c’est de faire participer au maximum les populations à la gestion de leur santé. De mon observation personnelle, je dirais que premièrement, l’initiative de Bamako a été néo-libérale. Je m’explique : toute la stratégie est actuellement tournée vers le gain d’argent et le gain d’argent au profit de qui, pas des populations mais des agents de santé. Deuxièmement, la contextualisation de cette théorie a un peu manqué à la base; c’est ce qui explique en partie la non fréquentation des structures de santé, l’engorgement des structures anciennes comme l’hôpital Yalgado Ouédraogo et Sanou Sourô de Bobo ; ceci est une question à approfondir.

L'Hebdomadaire du Burkina : Qu’est-ce que vous auriez voulu dire que nos questions ne vous ont pas permis de dire ?

Dr Karfo Kapouné : Quand je pense à notre système de santé, je ne présage pas de l’avenir. Le schéma est très clair ; mais à la base, comme je l’ai dit pour la dispensation des soins nous rencontrons de sérieux problèmes. Peut-être faut-il reconsidérer le côté socio-antropologique ? Je n’en sais rien.

Jules R. Ilboudo

Lire l'article original : http://www.fasonet.bf/hebdo/actualite2/hebdo238/Grosentretien238.htm


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