Le Sénégalais ne lésine pas sur les moyens quand il s'agit de se
soigner. Mais la faiblesse de ses moyens fait qu'il a souvent recours
aux médicaments vendus dans la rue. Avec tous les dangers que cela
comporte.
Situé sur l'avenue Blaise Diagne à côté du service d'hygiène de
Dakar, " Keur Serigne Bi " constitue le plus grand point de vente
parallèle de médicaments à Dakar.
Une fois à l'intérieur, on est surpris par tout le monde qui afflue
sur les lieux. La cour est remplie d'acheteurs de médicaments qui
sont exposés, parfois à même le sol. Aucune mesure de précaution
n'est observée pour leur conservation dans les normes. Une fois
sur les lieux, le visiteur est pris en charge par un rabatteur qui
lui demande les médicaments recherchés. Quelques minutes plus tard,
il revient avec les médicaments demandés.
La vente des médicaments dans la rue, comme à " Keur Serigne bi
", pose plusieurs problèmes. D'abord en termes de qualité, ils ne
sont pas toujours consommables. " Il arrive que les médicaments
vendus soient périmés, que le dosage indiqué sur la boîte ne soit
respecté. Le client peut acheter des placebos, c'est-à-dire des
médicaments qui sont bien emballés, mais qui n'ont aucun principe
actif. Il arrive même que des médicaments parfaitement dosés finissent
par se révéler inactifs à cause de la mauvaise conservation ", confie
Ass Ndiaye, pharmacien.
La qualité douteuse des médicaments a forcément des répercussions
immédiates sur le traitement suivi par les malades. En effet, le
patient qui prend des médicaments vendus dans la rue et dont la
qualité est amoindrie voit sa maladie continuer à s'aggraver sans
pour autant en comprendre les causes. Les principes actifs devenant
inexistants, le médicament n'a plus d'effets curatifs. Voilà à court
terme, une conséquence immédiate des médicaments de la rue, soutiennent
des sources médicales.
Le phénomène de résistance des virus et bactéries à certains médicaments
découle aussi de cette mauvaise qualité. En effet, les bactéries
et les virus développent des résistances si le dosage n'est pas
suffisant. À la longue, certains médicaments s'avèrent totalement
inefficaces dans la prophylaxie de certaines maladies, font remarquer
les mêmes sources.
L'autre danger réside dans la facilité que les toxicomanes ont désormais
à s'approvisionner dans la rue. La vente s'effectuant sans ordonnance,
ces derniers peuvent à tout moment accéder aux produits sous contrôle
médical strict dont ils ont besoin pour avoir leur dose.
Circuits et prix des médicaments de la rue
Tous les médicaments disponibles dans les pharmacies sont vendus
dans la rue, sous toutes les présentations possibles. Les médicaments
les plus proposés sont les antibiotiques, les anti-inflammatoires,
l'aspirine, etc. Il arrive même qu'on puisse trouver des médicaments
qui ne sont pas encore disponibles dans les officines.
Cette "exclusivité" dans l'offre suscite bien des interrogations
concernant la provenance des médicaments.
"Les médicaments proviennent d'importation frauduleuse, du détournement
de dons ou des structures sanitaires, des échantillons médicaux
des délégués, de vols effectués au niveau des pharmacies et hôpitaux",
révèle un gérant d'officine à Dakar. "Keur Serigne Bi" et Touba
sont cités comme les plaques tournantes de ce trafic. En effet,
c'est à partir de ces lieux que la répartition s'effectue vers les
autres lieux de vente, particulièrement les marchés hebdomadaires
qui font le bonheur de ces pharmaciens particuliers.
La visite effectuée à "Keur Serigne Bi" confirme certaines hypothèses
énoncées par A. Ndiaye.
En effet, sur certaines boîtes, figurent la mention "échantillon
médical, ne peut être vendu", d'autres boîtes sont totalement identifiées
en langues étrangères très souvent incomprises par les vendeurs
et les usagers. Et pourtant, ils vantent avec beaucoup de conviction
les qualités thérapeutiques de médicaments dont ils ignorent tout.
Le succès enregistré par un lieu comme "Keur Serigne Bi" réside
dans les prix qu'il pratique. Mais le constat qui peut se faire
est le suivant : les prix pratiqués ne sont pas aussi différents
que ceux qui sont pratiqués dans les pharmacies. Et depuis que les
médicaments génériques sont devenus disponibles, se rendre à la
pharmacie est jugé plus rentable que l'achat des médicaments de
la rue.
Le prix à l'unité finalement est moins élevé, font remarquer des
spécialistes. Et pour certains produits les prix sont identiques
et la qualité n'est pas assurée. C'est vrai que les principaux clients
des médicaments de la rue sont des analphabètes que les vendeurs
n'ont aucun mal à duper.
Responsabilité de l'Etat
"L'Etat est responsable de cette situation. "Keur Serigne
Bi" n'a pas sa raison d'être, quand nous, les pharmaciens, voulons
ouvrir une officine, nous respectons toutes les procédures imposées
par l'Etat. Alors qu'il n'en est rien pour les vendeurs qui sont
à "Keur Serigne Bi". Malgré tous les dangers que cela représente
pour les populations, l'Etat laisse faire, on comprend vraiment
pas ", confie Moussa Séne, membre de l'Ordre National des Pharmaciens
du Sénégal.
La responsabilité de l'Etat est directement mise en cause. Les médicaments
de la rue constituent un danger permanent pour les populations.
Or, rien n'est fait par les pouvoirs publics pour endiguer ce fléau
dont les répercussions ne peuvent être que dramatiques pour les
citoyens, d'autant plus que ceux qui fréquentent ces lieux sont
à majorité des analphabètes et donc souvent inconscients du danger
qui les guette.
Moussa Bathily Diallo
Lire l'article original : http://www.sudonline.sn/archives/18102003.htm
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