Sur initiative de l’Institut international de journalisme (IIJ)
de Berlin, une équipe de 15 journalistes de l’Afrique de l’Ouest
a effectué un stage de formation en reportage sur le VIH/Sida au
Mali. Chiffres, faits et témoignages ont permis aux journalistes
de découvrir de visu les réalités du VIH/Sida dans ce pays :
- 1,7 % le taux de prévalence du VIH/sida pour une population
de 10,5 millions d’habitants ;
- un nombre cumulé des décès qui pourrait se situer à près de
170 000 en 2010 en cas d’évolution non maîtrisée ;
- une baisse de l’espérance de vie à l’horizon, etc.
Au regard de la situation, le sida n’est plus un sujet tabou et
l’engagement actif des leaders d’opinion à divers niveaux comme
la prise de conscience générale gagne du terrain face à la maladie.
Le reportage que nous avons effectué à Bamako au cours du séminaire
international nous a fait vivre des témoignages émouvant dans un
pays fortement islamisé. Après la découverte du premier cas de VIH/Sida
au Mali en 1984, il a été mis en place le Programme national de
lutte contre le Sida (PNLS). Plus tard en 1996 le Centre de soins,
d'animation et de conseils (CESAC) a vu le jour dans l'optique de
la prise en charge des personnes vivants avec le VIH (PVVIH). Aujourd'hui
des grands efforts ont été réalisés, mais la prise en charge des
750 000 personnes séropositives nécessite encore d'énormes sacrifices
et les initiatives pour y parvenir ne manquent pas.
Du chemin reste à faire
La sensibilisation sur la pandémie du Sida au Mali est sans relâche,
et implique des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), des dignitaires
religieux et bien d'autres personnalités physiques et morales. Cependant
du chemin reste à faire car des statistiques montrent que 90,3 %
des femmes ont déclaré avoir entendu parler du Sida, mais jusqu'à
45 % d'entre elles ignorent qu'il y a un moyen de l'éviter. En milieu
urbain 97 % en ont entendu parler et 22 % ignorent qu'il y a un
moyen de l'éviter ; tandis qu'en milieu rural si 88 % en ont entendu
parler jusqu'à 54 % ignorent qu'il y a un moyen de l'éviter. Il
ressort des enquêtes effectuées en 2001 que les jeunes adoptent
des comportements à risques :
- 65 % des jeunes ont leurs premiers rapports sexuels avant l'âge
de 18 ans ;
- 53 % des jeunes ont eu des rapports sexuels le mois précédant
l'enquête ;
- près de 20 % des garçons ont eu plus de 3 partenaires sexuels
dans les 12 derniers mois précédant l'enquête ;
- près de la moitié des jeunes n'utilisent pas le condom par confiance
en leur partenaire ;
- Pis deux jeunes interrogés sur trois ne croient en l'existence
du Sida
A ce triste constat s'ajoutent la prostitution, la multiplicité
des partenaires sexuels etc, qui exposent à des risques d'expansion
voire une explosion de l'épidémie du VIH/Sida au Mali dans les années
à venir.
D'ores et déjà la mortalité imputable au Sida au niveau des jeunes
et des adultes (15-49 ans) qui constituent la force productive se
fait sentir.
En effet, on estime qu'en 2010, on comptera plus d'un décès imputable
au Sida sur 3 décès observés au niveau des jeunes et des adultes,
soit 47 600 décès en cas d'évolution non maîtrisée de l'épidémie.
Mais avec l'accélération de la sensibilisation par le PNLS et le
CESAC, la prise de conscience est grandissante et volontairement
mais avec anxiété les gens vont se faire dépister au CESAC que nous
avons visité.
Une attente douloureuse
Dans la cour du Centre de soins, d'animation et de conseils (CESAC),
les allées et venues des visiteurs et du personnel semblent incessantes
en cette fin de matinée du mercredi 22 octobre 2003. Sur des bancs,
assis à l'ombre d'un hangar au toit de tôle ondulée, des hommes
et des femmes au regard hagard, la mine triste, voire douloureuse,
fixent de leurs yeux grands ouverts, le groupe d'hommes et de femmes
qui vient de pénétrer dans la cour. Ce sont des journalistes ouest-africains
qui viennent s'imprégner des réalités du CESAC.
Conduit par le Dr Bintou Keita Dembélé, directrice adjointe du
CESAC, ces journalistes Ouest-africains en atelier à Bamako, sont
venus visiter l'un des centres maliens les plus célèbres pour ses
actions en faveur des personnes vivant avec le VIH. Ici, se côtoient
un flot de gens dont le dénominateur commun est "Sida". Les uns
le traquent ; les autres en souffrent terriblement, seuls ou en
famille.
Sous la conduite du directeur du Centre, le Dr Aliou Sylla, le
groupe parcourt les bureaux et les couloirs du centre. Partout,
c'est le silence seulement troublé par les explications du Dr Sylla
et par les bruits de pas de ses hôtes.
Les malades attendant sur les bancs semblent sans voix. Ils répondaient
à peine aux salutations des visiteurs, visiblement fatigués par
l'attente (certains attendent depuis plus de trois heures de temps)
et hantés en permanence par l'angoisse de perdre leur vie. Il n'y
avait aucune lueur d'espoir sur ces visages.
Au laboratoire du centre, la biologiste Victoria Keita, une Russe
mariée à un Malien, accueille le groupe le sourire aux lèvres. En
quelques minutes, elle explique en quoi consiste son travail. Sur
une question d'un journaliste, elle affirme avec une certitude déconcertante
que le vaccin contre le Sida que tout le monde cherche sera découvert
soit par la Russie, soit par la Chine.
"Ces deux pays travaillent en secret sur le vaccin. Ils ne parlent
pas comme les Occidentaux mais je suis sûre que dans un an ou deux,
l'un d'eux va découvrir le vaccin".
Le CESAC : Une référence en matière de lutte
contre le Sida
Le Centre de soins, d'animation et de conseils (CESAC) pour les
personnes vivant avec le VIH/Sida de Bamako a été créé en septembre
1996 dans le but d'assurer la prise en charge des personnes vivant
avec le VIH (PVVIH). Après sept années d'activités, le CESAC "reste
cependant disponible pour l'accueil et le suivi des malades" nous
confie le Dr Dembélé Bintou Keita, directrice adjointe du centre.
Le CESAC est une ONG née de l'initiative de jeunes médecins maliens.
Il attire aujourd'hui l'attention particulière de l'Etat, des partenaires
et surtout d'un nombre croissant de personnes qui reconnaissent
son utilité dans l'information, le soutien médical et psychosocial
des personnes infectées et affectées par le VIH/Sida. "Le CESAC
n'est pas une structure hospitalière, nous référons les malades
à l'hôpital ", indique le Dr Dembélé. Cependant, le CESAC œuvre
pour une meilleure prise en charge des malades à travers l'accès
aux anti-rétroviraux. "Au début, les gens qui se présentaient au
centre étaient en phase de maladie. Aujourd'hui, beaucoup de personnes
viennent nous voir soit pour des conseils, soit pour le dépistage
volontaire ", affirme le Dr Dembélé.
Au regard du coût élevé du traitement mensuel qui est de 90 000
Fcfa, (subventionnés à hauteur de 50 pour cent par l'Etat), le CESAC
milite pour un plaidoyer auprès du gouvernement pour la prise en
charge des malades à un prix forfaitaire de 4500 Fcfa par mois.
Le CESAC assiste matériellement les malades. Les situations d'urgence
sont gérées par un fonds social d'aide à l'initiative communautaire.
Le fonds en question est donné pour permettre à ces bénéficiaires
malades du Sida de s'adonner à des activités génératrices de revenus.
Il existe au CESAC un programme de soutien scolaire des orphelins
et enfants infectés et affectés par le VIH/Sida. Les malades eux-mêmes
bénéficient tous les vendredis d'une assistance nutritionnelle dans
la cour du centre. Voilà autant d'efforts et de sacrifices que se
donne un personnel dévoué qui témoigne d'une affection exceptionnelle
aux PVVIH.
"Prendre en charge le Sida constitue le meilleur moyen de prévention",
semble être la philosophie qui guide l'action du CESAC. En 1997,
le centre a dépisté 1093 personnes dont 614 séropositifs. En 2002,
sur 2637 personnes dépistées, 1657 sont séropositives. Le travail
mené par le CESAC est effectué sans relâche par un personnel composé
de 17 permanents et 15 vacataires (médecins, pharmaciens, psychologues,
nutritionnistes…) qui se donnent avec amour et sacrifice dans le
traitement des PVVIH/Sida, en dépit de l'inaccessibilité des anti-retroviraux
par le grand nombre des malades.
Difficile accès aux anti-retroviraux, un obstacle
à surmonter
Au Mali, à l'instar des autres pays africains, l'accès aux anti-retroviraux
(ARV) est réservé aux privilégiés au regard du coût excessivement
élevé. Néanmoins, la volonté politique s'affiche et des efforts
sont déployés continuellement pour l'accès aux ARV du plus grand
nombre.
Le docteur Idrissa Cissé, responsable de la sécurité transfusionnelle
en milieu de soins au Programme national de lutte contre le Sida
(PNLS), et responsable aussi du Programme de prévention de la transmission
mère-enfant du VIH/Sida et de l'Initiative malienne d'accès aux
ARV (IMAARV), nous confie qu'à ce jour, l'Etat malien a déjà dépensé
plus de 3,3 milliards de FCFA en trois ans pour la prise en charge
d'environ 750 000 personnes vivant avec le VIH. "Malgré cela, l'Etat
n'est pas encore en mesure de prendre en charge tous les malades",
précise-t-il. Le Coût de traitement par ARV d'un malade s'élève
à 90 000 F CFA par mois, subventionnés à hauteur de 50 % par l'Etat
malien. Même à ce prix, la majorité des malades est encore dans
l'incapacité d'y faire face.
"Nous nous battons pour ramener ce montant à 5 000 F CFA par mois
et par malade, l'idéal étant d'arriver à la gratuité du traitement",
affirme le docteur Cissé. Toutefois, le traitement des malades par
ARV ne couvre pas encore toute l'étendue du territoire national
mais le PNLS travaille pour l'extension du Programme. En ce moment
des médecins sont en formation à l'intérieur du pays pour la prise
en charge des malades.
Il existe d'ailleurs au sommet de l'Etat une réelle volonté politique
de lutter contre le VIH/sida. A preuve, le chef de l'Etat malien,
le général Amadou Toumani Touré préside en personne le Haut-Conseil
de lutte contre le Sida qui est une institution chargée de prendre
toutes les décisions importantes en matière de prévention et de
lutte contre le VIH/Sida. Cet organe est relayé par le Comité national
de lutte contre le Sida au niveau ministériel, le bureau de coordination
(le PNLS) qui a ses démenbrements aux niveaux régional, local, et
communal. Il existe également un Haut-conseil islamique de lutte
contre le Sida qui regroupe les Ulémas.
Le Sida au Mali n'est pas que l'affaire du PNLS. Les tradithérapeutes,
les ONGs et différentes associations sont aussi engagés dans cette
lutte, "le plus dur, c'est le manque de coordination des activités
entre toutes ces structures", déplore le Dr Cissé. La lutte contre
le Sida, dit-il est une lutte de longue haleine, car "la pandémie'
n'a pas de frontière".
Que retenir de l'expérience malienne ?
La politique malienne dans la lutte contre le VIH/sida est exemplaire.
La facilité d'accès à l'information, la disponibilité des personnes
ressources, le témoignage à visage découvert des PVVIH et leur implication
dans la sensibilisation, la sensibilisation dans les lieux de cultes,
l'acquis de la subvention des ARV par l'Etat et la poursuite de
la lutte pour leur disponibilité pour tous les malades à 5 000 F
CFA par mois, mais surtout l'engagement sans réserve des médecins
du CESAC à apporter soins et assistance aux malades à domicile etc,
sont autant de stratégies développées au Mali pour faire face à
la maladie, avons-nous constaté au cours des reportages.
Théodore ZOUNGRANA (à Bamako)
Lire l'article original : http://www.fasonet.bf/hebdo/actualite2/hebdo241/grosplanmalisida241.htm
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