Seulement 75 000 sidéens africains reçoivent des antirétroviraux.
Cela représente à peine 1 % des malades qui auraient besoin d'un
tel traitement. D'où un "rationnement" inévitable, qui n'est pas
sans poser de terribles questions éthiques.
A ce jour, 30 millions de personnes sont infectées par le Vih en
Afrique et, selon le secrétaire général des Nations-Unies Kofi Annan,
"nous ne sommes pas sur la voie qui nous permettra de réduire l'impact
de cette épidémie d'ici 2005". Pour y parvenir, des fonds sont évidemment
nécessaires. Mais ils manquent cruellement : selon Onusida, moins
de la moitié (950 millions) des 2 milliards de dollars indispensables
en 2002 ont été effectivement consacrés à la lutte contre le sida
en Afrique subsaharienne.
En fait, l'élargissement des actions de prévention, de prise en
charge, de traitements et de soutien est estimé à au moins 10,5
milliards de dollars par an d'ici à 2005, estime un rapport d'Onusida.
Si cette riposte élargie ne se concrétise pas, Onusida évalue à
45 millions le nombre de nouvelles contaminations qui se produiront
d'ici 2010. Les financements doivent donc doubler d'ici à 2005 et
tripler d'ici à 2007. La seule distribution d'antirétroviraux à
3 millions de personnes atteintes par le virus du sida, en grande
majorité en Afrique, coûtera 5 milliards de dollars d'ici 2005.
A Nairobi, Peter Piot, directeur d'Onusida, n'a pas mâché ses mots
en incitant les gouvernements africains à faire plus d'efforts :
"La plupart d'entre eux n'ont pas de lignes budgétaires sérieuses
pour gérer le sida. Même les pays pauvres ont un budget, ils ont
tous une armée, ce sont donc des priorités qui doivent être déterminées."
Cette arrivée annoncée de traitements en Afrique ouvre également
le débat de l'accès équitable aux médicaments. Si les gouvernements
privilégient la distribution aux élites, cela peut constituer une
"bombe à retardement", a averti Peter Piot.
Sur les 75 000 Africains qui ont actuellement accès aux antirétroviraux,
la majorité sont des hommes avec des responsabilités ou ayant les
moyens de financer leur traitement, rappelle le Dr Piot. Alors que
58 % des 30 millions d'Africains atteints par le virus du sida sont
des femmes et 10 % des enfants de moins de 15 ans. Les médicaments
doivent-ils aller à ceux qui sont économiquement les plus utiles
? Doivent-ils aller aux enseignants, aux chefs d'entreprise, aux
officiers de l'armée plutôt qu'aux soldats ?, s'interroge Peter
Piot. Il y a quelques années, Onusida avait incité à la mise en
place de comités d'éthique pour déterminer qui devait être soigné
en priorité. A part au Botswana, rien n'a été fait en ce sens. Le
rationnement des antirétroviraux sera inévitable et peut conduire
à de vraies révoltes, a indiqué Peter Piot. Ce serait une terrible
erreur, au moment où les médicaments vont enfin commencer à arriver
en Afrique, d'entamer des programmes de distribution sans avoir
au préalable déterminé en toute transparence à qui ils doivent aller
en priorité. Actuellement, 6 millions de malades dans le monde sont
en attente de traitement alors que le sida a tué trois millions
de personnes en 2002. Juste pour cette année, il manque quelques
milliards de dollars alors que nous avons trouvé sans peine 200
milliards de dollars pour mener la guerre contre le terrorisme,
a déclaré un haut responsable de l'Onu.
Un traitement pour protéger les enfants de mères séropositives
Chaque jour, 1 700 enfants sont contaminés par le virus du sida
dans le monde : parmi eux, 1 600 vivent en Afrique subsaharienne,
où la transmission mère-enfant est la principale cause d'infection
à Vih chez les enfants de moins de 10 ans. En l'absence de tout
traitement, ce risque est évalué autour de 15 à 20 % en Europe et
en Amérique du Nord ; il culmine entre 25 et 40 % dans la population
africaine, selon différentes études récentes.
Jusqu'à présent, le seul moyen dont disposaient les pays pauvres
pour limiter la transmission mère-enfant consistait à donner des
antirétroviraux à la mère en fin de grossesse et au moment de l'accouchement.
Mais le risque était néanmoins maintenu via l'allaitement, jugé
plus sûr que le biberon. D'autre part, on accusait ces protocoles
de fabriquer des orphelins, les mères n'étant plus traitées après
leur accouchement. Aujourd'hui, on s'oriente vers une prise en charge
qui permet d'améliorer notablement la sécurité de l'allaitement
tout en veillant à la santé de la mère.
Le protocole applicable en Afrique consiste à traiter les mères
porteuses du virus du sida par l'Azt, un antirétroviral dans le
dernier mois de grossesse (36e semaine de grossesse). Ce traitement
à lui seul permet d'abaisser la transmission materno-fœtale à un
taux d'environ 10-12 %. Ensuite, on adjoint à l'Azt de la névirapine
pendant l'accouchement ou, dans les 48 heures qui suivent, un médicament
en dose unique donné à la mère et à son enfant. Cette combinaison
parvient à abaisser le taux de transmission du virus à 6 % en Côte
d'Ivoire et à 2 % en Thaïlande, où les femmes sont traitées plus
tôt, dès la 28e semaine de grossesse.
Un essai conduit en Côte d'Ivoire pendant lequel les mères étaient
traitées dès la 32e semaine de grossesse avec deux antirétroviraux
(Azt et 3Tc) et de la névirapine, a montré un taux de transmission
de 4,5 %, rapporte le Pr François Dabis qui coordonne les programmes
mère-enfant de l'Agence nationale de recherches sur le sida (Anrs)
à Abidjan. Pour élargir les soins dispensés à la mère et à l'enfant,
un projet se met en place à Abidjan pour apporter la trithérapie
à toute la famille. Cette action franco-américaine va être étendue
à douze autres sites, dont onze en Afrique.
La sécurité de l'allaitement constitue une autre clé de la prévention.
Si le lait artificiel protège le bébé de toute transmission du virus
du sida, mal utilisé, il peut être à l'origine de diarrhées et autres
complications. L'allaitement reste donc le meilleur choix. Toutefois,
sans traitement préventif, le risque de contamination peut atteindre
les 16 %. Une étude internationale conduite au Rwanda et en Ouganda
a montré que si l'enfant recevait un antirétroviral pendant quatre
semaines, on pouvait ramener le taux de transmission à 1 % lors
de la période post-natale immédiate et à 10 % si l'on cumule une
période de 6 mois. Plus l'allaitement dure, plus le risque de transmission
est élevé. C'est pourquoi l'équipe du Pr Dabis veut proposer aux
mères soit d'avoir accès à un allaitement artificiel accompagné,
soit d'adopter l'allaitement maternel exclusif pour les femmes sous
trithérapie, mais sur une période raccourcie (3 à 4 mois au lieu
des 9 à 12 mois habituels).
Lire l'article original : http://www.walf.sn/societe/suite.php?rub=4&id_art=5565
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