Le limogeage du ministre de la Santé et de la Prévention, le Pr
Awa Marie Coll Seck serait-il lié à une autre raison que celle jusque-là
connue et avouée par elle-même, à savoir qu'elle a fait les frais
de sa neutralité politique ? Des sources proches d'un dossier sur
les résultats à base de plantes sur des personnes vivant avec le
VIH/Sida par un tradipraticien sénégalais soupçonnent que ce dossier,
qui a atterri à la présidence de la République, figure parmi les
séries causales de sa non-reconduction dans le deuxième gouvernement
du Premier ministre Idrissa Seck. A l'insu de l'ex-ministre de la
Santé ? Voici, en tout cas, la face cachée d'un dossier inconnu
du grand public…
Quelque part dans les tiroirs du ministère de la Santé et de la
Prévention, de certains services sanitaires et autres laboratoires
sénégalais, circule un dossier victime d'une sorte d'omerta sur
fond d'enjeux à la fois scientifiques, politiques et financiers.
Ce dossier contient ce que l'un de nos interlocuteurs proches des
milieux sanitaires sénégalais appelle "une découverte révolutionnaire
dans le traitement des Pev/Vih" (Personnes vivant avec le VIH/Sida).
Tout a commencé vraiment vers le début de l'année 2002, quand le
Pr Seydouba Konaté, accompagné de LD, a été reçu en audience par
Madame Eva Coll Seck. L'objet de cette audience était un dossier
dans lequel il est fait état de "l'évolution clinique extraordinaire
de six personnes vivant avec le VIH (Pv/Vih) qui avaient suivi un
nouveau traitement inventé par LD". Le ministre de la Santé, le
Pr Awa Marie Coll Seck avait alors transmis le dossier au Pr Salif
Sow du service des maladies infectieuses du Chu de Fann, nous informe
une source proche des services sanitaires. Une information confirmée
par l'ex-ministre de la Santé et de la Prévention, Awa Marie Coll
Seck.
"Il y a environ huit mois, le Pr Seydou Ba était venu me voir avec
le monsieur en question, je les ai reçus pour leur dire que c'est
très bien parce que nos parents se sont toujours soignés avec des
plantes. Je leur dis qu'il fallait toujours continuer les recherches,
d'aller à Fann pour l'expérimentation, et de s'occuper d'un protocole
avec un Comité d'éthique qui voit tous les projets, parce que, quand
même on ne peut pas se permettre de donner des médicaments comme
ça à des personnes."
Ces propos, que nous avons recueillis auprès de l'ancien ministre
de la Santé et de la Prévention, s'ils sont assortis de quelque
prudence scientifique, n'en établissent pas moins l'existence du
dossier qui lui a été soumis au cours d'une audience. Des essais
pré-cliniques ont été organisés sous la houlette du Pr Pierre Bassène,
laborantin du Chu de Fann (voir encadré).
Ces essais avaient pour but de déterminer la toxicité du produit
; en d'autres termes, de voir si l'être humain peut le prendre sans
danger, ainsi que son impact sur le virus du Sida.
Certaines sources proches du milieu médical soutiennent que "les
résultats des essais pré-cliniques ont été très satisfaisants."
Elles établissent que des essais cliniques ont concerné cinq personnes
vivant avec le Vih/Sida du service des maladies infectieuses du
Chu de Fann durant les mois de juillet et août 2002. De quoi susciter
donc l'intérêt de l'Ird, un des principaux fournisseurs d'antirétroviraux
pour l'hôpital de Fann.
Selon une source très au fait du dossier, plusieurs services agissant
dans ce domaine ont été alertés par "les révolutions cliniques des
cinq malades" suivis mensuellement. "L'Institut Pasteur aussi a
été alerté par des Pv/Vih du groupe du Pr Konaté qui ont fait des
analyses dans leur laboratoire", indique la même source.
Mais joint au téléphone, le 29 octobre 2003, à 15 heures, la secrétaire
de M. Perrin du Laboratoire de l'Institut Pasteur nous signifie
que ce dernier n'aimerait pas nous parler au téléphone. "Alors,
demandez-lui, s'il peut me fixer rendez-vous alors." Quelques minutes
plus tard, la secrétaire, Mme Rose Assogba, nous apprend que M.
Perrin ne souhaite répondre sur ce dossier.
Cette attitude semble confirmer une information de notre source
pour qui, "à l'issue de ces essais, le ministre de la Santé n'a
pas voulu fournir les résultats, ni à l'inventeur ni à ses conseillers,
mais voulait organiser d'autres essais sur un groupe de 60 Pev/Vih".
Il semblerait alors que le conseil défendant les intérêts du tradipraticien
aurait refusé cette deuxième phase d'essais qui ne revêtait aucun
cachet officiel.
Notre interlocuteur fait dans une plus grande précision en parlant
de l'élaboration d'un document intitulé : "Ce que le Sénégal risque
de perdre : l'affaire Ld". Plus précise encore, elle déclare que
"ce document a été transmis durant le mois de février 2003 à la
présidence de la République et retraçait les péripéties de cette
affaire depuis que le ministère a été saisi", non sans faire "ressortir
les risques que court le gouvernement du Sénégal devant les puissances
étrangères, particulièrement la France". Comme pour soupçonner le
puissant lobby du Sida-business derrière cette affaire.
En haut lieu donc, il aurait été décidé durant le mois d'avril
d'instruire le dossier devant un Comité d'éthique, à charge pour
celui-ci de rendre un rapport sur les essais réalisés par le Chu
de Fann. Interrogée sur l'atterrissage de ce dossier à la présidence,
l'ex-ministre de la Santé et de la Prévention, le Pr Awa Marie Coll
Seck affirme n'en avoir pas eu connaissance jusqu'à sa sortie récente
du gouvernement. Elle a tenu tout simplement à faire certaines précisions.
Elle soutient avoir juste à son niveau "indiqué la démarche à suivre
en mettant", à l'issue d'une audience, "le Pr Seydouba Konaté en
compagnie du tradipraticien, avec les techniciens, parce que c'est
un problème technique". L'ex-ministre de la Santé déclare ainsi
les avoir envoyés auprès du Pr Salif Sow, du service des maladies
infectieuses de Fann. Elle note toutefois que "le Pr Konaté a été
impressionné parce qu'il a vu à Fann". C'est pour ensuite, en tant
que spécialiste, plaider pour un "nécessaire recul", instruite elle-même
par les résultats qu'elle avait elle-même "obtenus auprès de malades
du Sida qui ont mis dix ans avant de mourir". "Il faut être extrêmement
prudent. Il faut faire des analyses très scientifiques. Il y a quelque
chose sans doute avec les tradipraticiens, mais il faut un nombre
de malades très élevés sur une longue période", explique l'ex-ministre
de la Santé.
Pour la suite du dossier, elle n'en a pas été informée jusqu'au
moment où elle a quitté son poste dans le gouvernement. De quoi
alors aller chercher du côté du ministère de la Santé et de la prévention
pour savoir où est le dossier hérité de l'ancienne équipe. Là, le
Cabinet du ministre nous renvoie auprès de Samba Cor Sarr, que secrétaire
du Conseil national de recherches en santé qui héberge le Comité
d'éthique qui devait plancher sur le dossier. Samba Cor Sarr confirme
que "ce dossier a été effectivement examiné en Conseil d'éthique
le 27 avril 2003 et que les conclusions ont été transmises au Pr
Salif Sow du service des maladies infectieuses". Le Comité d'éthique
a demandé, selon lui, "des informations complémentaires sur la méthodologie,
surtout la randomisation, la constitution du groupe et l'échantillon".
Il s'agit alors pour le Comité d'éthique d'avoir plus de précisions
sur les résultats des dosages faits par les Pr Emmanuel Bassène
et Faye du laboratoire de Fann. Cela d'autant plus, aux dires de
Samba Cor Sarr, que ceux-ci "ont tout simplement fait des esquisses.
D'autres demandes ont été faites, touchant la dimension éthique".
"Il a été demandé d'intégrer les mêmes considérations éthiques qui
sont l'ISAARV (système de traitement anti-rétroviral expérimenté
au Sénégal) et dont le principe éthique a déjà été validé".
Le secrétaire du Conseil national de recherches en santé parle aussi
de demandes formulées pour la réception d'"informations complémentaires".
Est-ce que ce dossier est bien dans les bureaux de la présidence
de la République ? "Je ne sais pas. Nous avons reçu le dossier par
l'entremise du Pr Sow. Il a été programmé le 27 août et ce sont
là les conclusions qui en sont sorties. Nous n'avons pas d'informations
sur le circuit", soutient Samba Cor Sarr.
Les propos d'une source proche du dossier semblent établir que
l'instruction de l'affaire par un Comité d'éthique viendrait de
la présidence de la République. "Le rapport, dit-elle, est sorti
trois jours avant la démission de Idrissa Seck et de son gouvernement
et Awa Marie Coll Seck n'a pas été rappelé." A tort ou à raison,
notre interlocuteur lie la sortie de Mme le ministre de la Santé
à cette affaire, alors que jusque-là, sur la foi de l'aveu de celle-ci,
sa non-reconduction tient à sa non-appartenance politique. Puis,
notre interlocuteur décidément peu convaincu de la seule thèse du
non-engagement politique de l'ex-ministre, se demande si "le président
Wade n'a pas mal supporté que Mme Ewa Coll ait décidé de ne pas
l'informer de cette grande découverte et s'il n'a pas profité de
la démission du gouvernement pour écarter cette forte personnalité,
qui, de par son expérience dans le monde médical, allait l'empêcher
de devenir la vedette dirigeant en maître absolu cette affaire."
Des informations à confirmer ou à infirmer font état de la transmission
des résultats de la découverte du tradipraticien "à l'Oms et au
Cnrs pour débuter des études et des tests à l'échelle mondiale".
En tout cas, le constat de notre interlocuteur est que "depuis
sa nomination, le nouveau ministre de la Santé suit Wade dans tous
ses déplacements, en Afrique du Sud, à New York où le président
a eu des séances de travail avec le secrétaire général de l'Oms,
au Japon et en France". Il faut préciser que nous avons vainement
tenté de joindre le Pr Salif Sow, ainsi que le Pr Seydouba Konaté,
aujourd'hui à la retraite et qui serait établi quelque part à Grand-Dakar
où nous nous sommes rendus sans pouvoir le localiser. Nous ne désespérons
d'avoir leur lumière sur cette affaire.
Soro DIOP
Lire l'article original : http://www.lequotidien.sn/archives/article.cfm?article_id=8387&index_edition=250
Le Pr Emmanuel Bassène raconte…
Chef de service du laboratoire de pharmacognosie et botanique de
la faculté de médecine et de pharmacie de l'Université Cheikh Anta
Diop de Dakar, le Pr Emmanuel Bassène, qui a effectué des travaux
sur les plantes utilisées par le tradipraticien, a bien voulu lever
un coin de voile dans le domaine précis qui le concerne.
"J'ai rencontré le tradipraticien par l'entremise du ministre de
la Santé, Eva Marie Coll Seck qui est mon collègue et mon aînée
de quelques années à l'Université. C'est elle qui nous a mis en
contact. Je suppose que comme elle était chef de clinique, les tradipraticiens
ont beaucoup essayé de l'approcher, elle ou les médecins de Fann
pour dire qu'ils soignent le Sida.
Je suppose que c'est sur insistance de certains que ce tradipraticien
a été orienté vers le service de pharmacologie, biologie et de maladies
infectieuses que dirige Salif Sow.
En ce qui me concerne, j'effectue des travaux sur les plantes,
mais je ne m'occupe pas des aspects cliniques. J'ai donc reçu le
tradipraticien ; on a causé et on est tombé d'accord qu'il y aura
un travail scientifique qui sera fait sur sa recette. Il a accepté,
ce qui est rare chez les tradi-praticiens qui ne sont en général
pas ouverts et posent certaines exigences. Mais celui-là, il a accepté
qu'on présente ses dires aux yeux des officiels comme des vérités
scientifiques. Il fallait procéder à certains tests pour voir si
ce sont des plantes qui ne sont pas dangereuses. On a eu à regarder
tout cela.
J'ai fait un rapport que j'ai donné à Madame la ministre pour répondre
à sa sollicitation. J'ai donné un avis. L'expérience a été tentée.
J'ai des indices que ça peut marcher, surtout vu l'enjeu du Sida.
Cette plante ne présente pas de danger particulier sur la personne.
Je m'en suis tenu là. L'étude pré-clinique a été réalisée ; ce qui
nous a donné des motifs fondés de son impact sur les Pv/Vih à ne
pas confondre avec les gens malades du Sida. Les Pv/Vih ne sont
donc pas sur des malades alitées.
Il y a là deux niveaux : l'action sur le virus commence à faire
son effet, à agir sur les maladies opportunistes. Je ne peux pas
dire que le médicament agit sur le virus, mais en ce qui concerne
le confort, il y a une amélioration. Les gens disent qu'ils sentent
une nette amélioration. Seule l'expérience avec le projet que nous
avons déposé, nous dira s'il agit sur le virus. Je pense que cela
devrait aller."
Par ailleurs, au-delà de ce récit, le Pr Emmanuel Bassène a plaidé
pour une levée des secrets qui entourent certaines recherches par
les plantes. Il s'est même désolé que beaucoup de médicaments à
base de plantes de chez nous ne fassent pas l'objet de préoccupations
des pouvoirs publics.
Soro DIOP
Lire l'article original : http://www.lequotidien.sn/archives/article.cfm?article_id=8388&index_edition=250
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