Interview du Professeur Anongba Simplice, Président de la Sogoci
Fraternité Matin : Quel lien y a-t-il
entre "gestion des services de santé" et "cancers gynécologiques
et mammaires", les deux thèmes à l'ordre du jour du premier congrès
de la Société de gynécologie et d'obstétrique de Côte d'Ivoire (SOGOCI)
dont vous êtes le président ?
Professeur Anongba Simplice : La
gestion des services de santé est un ensemble qui prend en compte
plusieurs paramètres dont l'environnement, l'organisation du travail
en y intégrant des facteurs sociaux, culturels et humains. Dans
cet ensemble, il y a des paramètres médicaux qui constituent la
qualité de la prise en charge des pathologies que nous avons et
donc des malades. Pour nous, il y a donc un lien. Le médecin n'est
pas seulement là pour appliquer sur le terrain la science médicale.
Il doit aussi se mettre en aval pour avoir une vision de la gestion.
Il doit décider, avec les décideurs, de la politique à mettre en
place pour toute pathologie.
Fraternité Matin : Quel est l'état actuel
des lieux ?
Professeur Anongba Simplice : Le
constat qui justifie ces journées, c'est que la mortalité maternelle
et la mortalité des nouveau-nés pendant le travail et pendant l'accouchement,
demeure encore une préoccupation dans les services de gynécologie
et d'obstétrique en Côte d'Ivoire. A titre d'exemple, rien que pour
la mortalité maternelle, nous sommes à 596 décès de mères au cours
de l'accouchement sur 100 000 naissances vivantes ; ce qui est énorme
! Les pays développés ont des taux qui avoisinent 0 ou 0,2%. Il
est inconcevable qu'une dame meurt en donnant la vie. Nous estimons
qu'il faut réduire ces taux de décès dont les trois grandes causes
sont connues : les hémorragies, les infections et les hypertensions
artérielles au cours de la grossesse et leurs complications.
Il y a des paramètres et des facteurs qui contribuent à installer
ces causes. On peut ramener la réflexion à notre entité qui est
la gynécologie, mais il faut l'ouvrir à tous les acteurs, qu'ils
soient chirurgiens, pédiatres ou cancérologues.
Fraternité Matin : Vous ne parlez donc
pas que de gynécologie ?
Professeur Anongba Simplice : Il
y a des symposiums satellites qui se déroulent parallèlement au
congrès. Entre ces symposiums, je retiendrai celui sur la prévention
de la transmission mère-enfant du VIH/sida. Aujourd'hui, les chiffres
en la matière en Afrique ne font qu'aller crescendo. Il faut que
les acteurs que nous sommes (gynécologues-obstétriciens, sages-femmes,
administrateurs de la santé), puissions réfléchir pour faire baisser
la fréquence de cette transmission mère-enfant. Qui mieux que les
gynécologues, les sages-femmes, peut en effet, être au centre de
ce combat ? La femme et l'enfant sont la porte d'entrée du VIH.
Et nous , nous sommes à côté de ce couple mère-enfant, nous sommes
dans la famille. Bien entendu, il y a un effort considérable qui
a été fait sur le terrain en Côte d'Ivoire sur le VIH, mais nous
avons décidé au sein de la Société de gynécologie que tous les gynécologues
doivent être mobilisés. Ce symposium est donc pour nous un premier
contact avec les partenaires au développement qui s'occupent du
VIH/sida (Retroci, ONUSIDA…) pour qu'ils sachent avec qui composer
s'ils veulent être efficaces sur le terrain.
Fraternité Matin : Le cancer est-il alors
relégué au second plan ?
Professeur Anongba Simplice : Le
cancer est une préoccupation pour nous tous et nous lui consacrons
une journée dans nos sessions. Les cancers gynécologiques et mammaires
sont une réalité en Côte d'Ivoire. Les plus fréquents sont celui
du col de l'utérus et celui du sein. Au niveau du cancer du sein
qui est le deuxième cancer après le cancer de l'utérus, nous avons
au niveau du Registre du cancer d'Abidjan, 21,4 cancers de sein
pour 100 000 femmes. Quand on extrapole dans la population générale
féminine, on arrive à une proportion de 5000 nouveaux cas de cancer
du sein par an en Côte d'Ivoire. Nous sommes largement en dessous
de la réalité, car ce sont des chiffres hospitaliers. Il est sûr
que nous ne recensons pas tous les cancers qu'il y a en Côte d'Ivoire.
Le cancer du col de l'utérus est encore plus fréquent. On compte
environ 24 cas pour 100 000 femmes. Et il y a d'autres cancers gynécologiques
qui existent : le cancer de l'ovaire par exemple.
Fraternité Matin : Quelles sont les causes
principales du cancer ?
Professeur Anongba Simplice : Le
cancer est une maladie à hypothèses. Ce que nous maîtrisons sur
le plan étymologique, à la lumière des dossiers, c'est les facteurs
favorisant les cancers, les facteurs de risque. Chaque praticien
doit, au sein de sa consultation, rechercher à faire un diagnostic
précoce du cancer en identifiant dans sa population les patientes
à risque sur lesquelles il mettra un accent particulier dans le
dépistage. Et nous voulons y sensibiliser nos confères au cours
de ces journées. Car, diagnostiqué très tôt, le cancer peut être
guéri.
Fraternité Matin : Quels sont ces facteurs
de risque ?
Professeur Anongba Simplice : Les
facteurs principaux ont été identifiés depuis très longtemps. Il
s'agit essentiellement, d'abord d'un virus, le papiloma virus. Ce
cancer fait partie des maladies sexuellement transmissibles. Quand
une femme a de nombreux rapports, elle peut s'infecter par ce virus
et entrer dans cette population à risques.
Fraternité Matin : Qu'entendez-vous par
nombreux rapports ? Est-ce avec des partenaires multiples ?
Professeur Anongba Simplice : Il
peut s'agir de nombreux rapports avec le même partenaire, mais surtout
avec des partenaires multiples. Deuxièmement, il peut s'agir de
femmes qui ont des rapports de façon précoce. Enfin, il s'agit de
femmes grandes multipares. Les lésions qui vont s'installer sur
le col au fil des accouchements vont fragiliser celui-ci et l'exposer
à des lésions précancéreuses qui vont évoluer très rapidement vers
un cancer du col.
Interview réalisée par ELVIS KODJO
Lire l'article original : http://www.fratmat.co.ci/story.asp?ID=26128
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