D'après le dernier bulletin de l'Organisation mondiale de la santé
(OMS) paru sur la résistance des anti-rétroviraux dans le traitement
du VIH/Sida, la progression de la résistance parmi la population
vivant avec le VIH/sida ira de 25 à 100% d'ici 30 ans. En plus clair,
tous les ARV utilisés aujourd'hui ne seront plus capables de freiner
la multiplication des souches de virus sauvages ou mutés chez le
malade. Et comme l'a écrit avec ironie un chercheur dans le Nouvel
observateur d'il y a deux semaines, il faudra peut-être penser à
la "qua-thérapie" ou la "cinq-thérapie".
Mardi 18 novembre dernier, c'est par ce constat fort inquiétant
que le docteur Eric Delaporte, spécialiste des maladies infectieuses
à l'hôpital de Montpellier, a débuté son exposé lors de la 4ème
session de formation sur la prise en charge globale des malades
du Sida et la résistance aux ARV dans la salle de conférences de
l'hôpital Laquintinie de Douala, à l'attention des médecins prescripteurs.
Le plus grave, d'après le Dr. Eric Delaporte, "c'est que la réplication
du virus muté est quasi permanente dans le sang. Cependant, c'est
lui qui est le plus résistant car ayant déjà été exposé aux ARV.
Il devient alors insensible aux traitements lorsqu'il est transmis.
A présent, près de 10% des personnes infectées dans le monde par
le VIH/Sida, le sont par le virus muté. Il est temps de réagir.
Il faut informer les médecins, les malades et toutes les personnes
affectées. Nul n'est plus besoin aujourd'hui de courir aux ARV comme
planche de salut, mais il est plus judicieux de savoir lequel nous
irait le mieux. La tri-thérapie n'arrange rien, parce que l'administrer
automatiquement c'est accepter de développer en moyenne 15 à 20
% de résistance des patients traités".
Ce qui se vérifie par l'étude faite par le docteur Charles Nganfack
de l'hôpital du jour de l'hôpital Central de Yaoundé, auprès de
93 patients camerounais triés dans les dix-huit centres de distribution
des ARV existants. Après huit mois seulement de traitement, 29,4%
de ces malades ont développé des résistances. Il est clair que jusqu'à
ce jour, aucun vaccin efficace n'a encore été trouvé. Néanmoins,
les chercheurs s'évertuent à trouver des moyens pour rallonger la
vie des patients. C'est dans cette optique que le Dr Eric Delaporte
a présenté deux solutions : "le phénotypage et le génotypage. Le
génotypage, qui est le plus indiqué parce que les résultats des
expériences sont positives, c'est la détermination de la structure
génétique d'un organisme, pour ce cas, ce sont les souches de virus
du malade qui sont étudiées. Le génotypage permet de connaître la
souche sauvage et la souche mutée. A ce moment, il devient alors
possible après essais de définir quel est le type d'ARV que l'on
doit prescrire au patient", a-t-il expliqué à la cinquantaine de
médecins prescripteurs venus pour la circonstance.
Après le génotypage, on peut recommander trois types généraux de
traitements : Un inhibiteur de protéase (avec ou sans ritonavir
à faible dose pour "booster" la concentration de l'inhibiteur de
protéase) en association avec deux analogues nucléosidiques (produit
de décomposition partielle d'un nucléide, constitué par du ribose
ou du désoxyribose et une base purique ou pyrimidique). Un analogue
non nucléosidique en association avec deux analogues nucléosidiques.
Et l'association de trois analogues nucléosidiques. Cependant, le
génotypage n'est pas à la portée de tous. Cet examen biologique
coûte entre 150 et 200 dollars soit environ 81.000 et 108.000 francs
Cfa...
Cette session, initiative du comité Douala Anti rétro viral (Darvir)
parrainée par MTN-Cameroun a eu le mérite de lever un pan de voile
sur la pandémie Sida, mais a plongé dans l'embarras plus d'un médecin
présent dans la salle. Car au lieu de traiter un malade à long terme,
il sera aussi fort à propos de lui dire que les ARV, c'est pour
un temps beaucoup plus court qu'on ne l'avait imaginé.
Marion Obam
Lire l'article original : http://www.quotidienmutations.net/cgi-bin/alpha/j/25/2.cgi?category=10&id=1070009560
Dr Eric Delaporte : Responsable du comité Davir,
il présente le bilan des études sur la résistance
La résistance du virus aux Arv au Cameroun est
de 20%. Quelles est l'importance de la démarche formative que vous
adoptez aujourd'hui ?
Dr Eric Delaporte : Ce séminaire
s'intègre dans le cadre de la formation médicale continue des médecins
qui prescrivent déjà des médicaments anti-Sida, les anti-rétroviraux.
Cette formation médicale continue est le contrôle au jour le jour
des connaissances et des améliorations en fonction des avancées
de la science. La thérapie anti-rétrovirale est un domaine mouvant.
Les guides et recommandations doivent être réactifs et continuer
d'évoluer à mesure que l'information s'accumule. Le thème que nous
avons développé est un thème majeur puisqu'il concerne les résistances
aux anti-rétro-viraux, c'est à dire la survenue des souches de virus
qui ne répondent plus aux traitements.
Qu'est-ce que vous allez apporter en plus à
ce qui est déjà connue sur les résistances des Arv ?
Dr Eric Delaporte : Je suis un
peu le porte-parole des premières expériences africaines d'accès
aux Arv. Et, j'ai en particulier présenté les premières données
sur ces taux de résistance, que ce soit au Sénégal au Gabon et au
Cameroun, assisté par le docteur Charles Nganfack, de l'hôpital
du jour de l'hôpital Central de Yaoundé.
Est-ce qu'on peut avoir ces chiffres ?
Dr Eric Delaporte : D'une manière
générale, on sait que quand on met des patients sous traitements
Arv, il arrive au bout d'un an des résistances à certaines molécules.
En Occident, ce taux de résistance est de l'ordre de 20%, ce qui
est quand même important. Sur les expériences du Sénégal, nous sommes
autour de 16%, ce qui est excellent. Au niveau du Cameroun, nous
sommes dans les mêmes cohortes occidentales, c'est à dire 20%, ce
qui veut tout dire. Il faut donc que les populations soient suffisamment
informées et sachent qu'il ne suffit pas de prendre les Arv pour
que l'on pense qu'on a résolu le problème. Mais aussi, il faut vérifier
que les Arv que l'on prend peuvent agir efficacement sur la souche
de virus que l'on porte. Cependant, si le Cameroun est dans la même
frange de résistance que les pays occidentaux cela veut dire les
médecins camerounais font bien leur travail et c'est encourageant.
Pourquoi cette formation ?
Dr Eric Delaporte : C'est parce
que les médecins et les malades du Sida sont étroitement liés. Si
le docteur s'occupe de lui-même, en termes de connaissance, il va
mieux s'occuper de ses patients. Ces nouvelles informations doivent
permettre une mise en pratique immédiate et une amélioration des
connaissances des médecins. Ceci pourront alors administrer les
meilleurs soins aux patients à travers des méthodes cliniques.
Quelles sont ces méthodes ?
Dr Eric Delaporte : Il y a des
éléments de surveillance clinique, qui sont visibles, lorsque le
patient ne répond plus au traitement et des éléments d'ordre biologiques.
En ce qui concerne les éléments biologiques, on voit que la restauration
immunitaire, c'est à dire que l'amélioration des défenses du malade,
ne se fait plus ou alors qu'il y a échec sérologique, c'est à dire
qu'on va doser le virus dans la sang, alors qu'avant c'était négatif
sous un traitement efficace.
Pourquoi le malade devient résistant aux traitements
Arv ?
Dr Eric Delaporte : C'est parfois
parce qu'il arrête de bien prendre son médicament, c'est l'une des
premières raisons. D'autre part, c'est parce que le patient en a
assez de médicaments, donc il va arrêter où il ne va pas bien les
prendre. Mais aussi, c'est parce que l'association des Arv choisie
qui n'était pas optimale. Tout ceci va entraîner la sélection des
souches résistantes.
Qu'est ce que vous proposez ?
Dr Eric Delaporte : Evaluer et
renforcer l'adhésion des patients est une des clés du succès de
la thérapeutique. La numération des lymphocytes CD4 et le niveau
d'Arn viral sont importants pour mesurer la réponse au traitement.
Les taux d'Arn viral devraient décroître rapidement après le début
de la thérapie. L'impossibilité d'obtenir une réduction de 90% de
la charge virale après quatre semaines de traitement suggère une
faible adhésion du patient, une absorption intestinale insuffisante,
ou une résistance du virus au médicament. Une fois la suppression
de la réplication virale obtenue, la charge virale et les lymphocytes
CD4 doivent être habituellement mesurés toutes les 8 à 12 semaines.
Quand est-ce qu'il faut faire un test de résistance
?
Dr Eric Delaporte : Il faut le
faire quand le patient est en échec thérapeutique, pas de première
ligne, mais de deuxième ligne. Les tests de résistance virale apportent
une information précieuse pour la conception d'un nouveau traitement.
Puis, également il faut le faire en cas de problème de santé publique
pour faire des surveillances de la nature des souches circulantes
pour s'assurer que le taux de résistance dans la population n'augmente
pas.
Propos recueillis par Marion Obam
Lire l'article original : http://www.quotidienmutations.net/cgi-bin/alpha/j/25/2.cgi?category=10&id=1070009474
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