Nous devons élever la réflexion à un niveau qui
soit non seulement compatible avec l'urgence que requiert la lutte
contre cette affection en termes de réduction de la mortalité, mais
aussi à un niveau qui soit compatible avec la complexité liée à
cette affection. Le paludisme apparaît comme un événement aux dimensions
multiples qui peut et doit donc nous donner à réfléchir. C'est à
partir des interrogations et des réflexions sur ce que nous faisons
tous les jours que peuvent émerger les fondements d'une politique
efficace.
En ce début du troisième millénaire, nous ne devons
plus nous contenter uniquement de consommer des concepts venus d'ailleurs
et nous en enorgueillir, nous devons être de ceux qui interrogent
et inquiètent par leurs interrogations. L'existence de plusieurs
paludismes doit rendre à notre pays, l'initiative de sa propre croisade.
La lutte contre le paludisme dépend de notre capacité de comprendre
et de gérer les interrelations entre les activités de l'homme et
son environnement physique, biologique, social, culturel et politique.
Ces interrelations sont devenues si complexes que sur de tels aspects,
la réflexion doit être collective.
Réfléchir suppose qu'on prenne du recul et qu'on se dise qu'on a
un éventail de choix, dans un contexte où la complexité semble favoriser
justement l'absence de choix. Il faut battre en brèche certaines
certitudes ancrées dans les esprits par une formation trop technicienne
car en matière de paludisme, les certitudes d'aujourd'hui peuvent
devenir rapidement des incertitudes. L'éradication de cette affection
qui a été le plus grand mirage des années 60, est là pour le rappeler.
Le Programme de lutte contre le paludisme a absorbé les stratégies
génériques proposées par l'Oms sans opérer une réflexion critique
; politique dont les résultats attendus imposent aujourd'hui, un
élargissement d'une part au delà du niveau national, car de plus
en plus de variables telles que la disponibilité des médicaments
se jouent au niveau mondial (combinaisons avec dérivés de l'artémisinine),
d'autre part, au delà de la sphère de compétence du ministère de
la Santé, car beaucoup de décisions déterminantes pour la santé
sont prises par d'autres structures.
C'est pour une large part de l'inefficacité immédiate de ces stratégies,
que la lutte contre le paludisme renvoie l'écho. Les dogmes tranquilles
des stratégies actuelles sont incompatibles avec l'urgence liée
à la réduction de la mortalité palustre. Le traitement pour tout
paludéen doit fondamentalement être un principe intemporel qui doit
indéfiniment inspirer la lutte antipaludique. De ce fait, les autorités
devraient mettre en place un Fonds de solidarité thérapeutique qui
pourrait aider les plus démunis à se procurer les médicaments.
Ce fonds plus qu'un outil de collecte d'argent serait à la fois
l'expression d'une solidarité nationale et générationnelle, mais
aussi un moyen de sensibiliser les sénégalais sur la gravité de
cette affection. La concertation au sein du Programme national de
lutte contre le paludisme a rarement porté sur les expériences locales
de gestion du paludisme et sur les comparaisons de performances,
parce que la préférence a d'emblée été donnée aux seules stratégies
génériques. Nous sommes arrivés à un point où le meilleur usage
de ces expériences doit être recherché, faute de quoi nous prendrions
le risque de passer à côté de nos objectifs. Le fait de prendre
appui sur des initiatives communautaires déjà existantes est un
gage de succès pour la réalisation des objectifs fixés dans le cadre
de ce programme.
Dans la communauté rurale de Thiénaba, des membres issus de cette
entité ont pris l'engagement d'entreprendre ensemble des actions
concrètes, en vue de mobiliser les individus, les familles, les
leaders locaux et les personnes d'influence, en tant que gestionnaires
responsables de leur environnement sanitaire. Grâce à des actions
d'assainissement, de mobilisation sociale, de plaidoyer, de négociation
et de formation ; ils ont diminué significativement le taux de morbidité
lié au paludisme. Cette coalition mise en place s'avère être à la
fois, un instrument d'équité et d'organe de bonne gouvernance ;
un lien de construction d'une vision largement partagée ; un cadre
de promotion des savoirs locaux ; une plate-forme riche, variée
et représentative. En définitive, c'est un outil de dialogue social
Etat/communauté et une stratégie efficace au service des politiques
sociales.
A partir de cette expérience, s'est imposée une logique originale
et une dynamique nouvelle à travers des stratégies à la fois unifiantes
et plurielles, c'est à dire à travers une approche horizontale.
Dans les limites d'espace de cette expérience, la preuve est faite
que sans moyens exceptionnels, une communauté a, pu avec rigueur,
réaliser les objectifs définis dans le cadre stratégique général
du programme ; sans doute faut il rendre hommage à toutes celles
et ceux, villageois anonymes, qui dans le quotidien de leurs activités,
ont donné de leur temps et ont su partager cette volonté et cet
espoir d'améliorer les chances pour leurs enfants d'une meilleure
santé.
En favorisant ainsi une approche locale et significative, sur un
site ordinaire mais comparable aux autres du pays, on peut développer
une première théorisation qui, sans avoir la possibilité d'assurer
des généralisations immédiates, permet de stabiliser certains acquis
et de définir plusieurs orientations décisionnelles.
Cette expérience nous montre qu'on ne doit pas se contenter d'appliquer
mécaniquement un cheminement conçu une fois pour toute pour n'importe
quelle situation, selon une logique strictement opérationnelle,
mais qu'on doit tenir compte de deux impératifs essentiels : d'une
part prendre en compte des facteurs de différentes natures qui,
dans chaque situation locale, influence les pratiques en matière
de paludisme et d'autre part, envisager les problèmes multiples
que peut poser bien au delà cette expérience, une modification durable
des pratiques. Une typologie de références intégrant des éléments
concernant non seulement les caractéristiques individuelles des
ménages (ressources financières, habitat, structure de l'unité résidentielle)
peut être établie en relation avec les moyens disponibles et les
objectifs afin de dessiner des itinéraires de prise en charge adaptée
à chaque grande catégorie de situation. "Une démarche de counselling"
individualisée et de suivi à domicile peut être nécessaire dans
certains cas, et une telle typologie peut être réservée de façon
sélective aux cas les plus à risque.
Une approche situationnelle et participative peut, comme on peut
le constater, ouvrir des perspectives davantage durables en ce sens
que la collectivité se donne les moyens d'assurer en partie sa propre
protection sanitaire. Il faut seulement l'aider à attirer des ressources
à partir des organismes de l'extérieur et des pouvoirs publics.
Aujourd'hui, c'est aux prestataires de soins d'aller vers la communauté.
Il faut abattre les murs des centres et des postes de santé. Il
faut par leur action et en prêchant par l'exemple, pourchasser le
paludisme et la mort partout où ils frappent. Il faut aller jusque
dans les familles. C'est ainsi qu'ils apporteront des services permanents
à ceux qui en ont le plus besoin, augmentant les chances de voir
leurs efforts porter leurs fruits.
Grâce à cette approche et avec l'aide des agents de santé communautaire,
on devrait arriver à assurer la prise en charge précoce et correcte
des cas de paludisme au niveau de la communauté. Le consensus s'est
établi autour de stratégies générales qui, à vrai dire, ne risquent
guère de bouleverser à court ni peut être à moyen terme le taux
de mortalité lié à cette affection. A mesure que les options thérapeutiques
s'amenuisent au vu du contexte socio-économique du Sénégal, le choix
des stratégies devient toujours plus problématique. Aussi sera-t-il
important lors de la prochaine réunion d'évaluation, d'examiner
les valeurs et les priorités sur lesquelles on devra fonder des
décisions. Comme il s'agit de questions qui touchent les sociétés
dans leur globalité, elles nécessitent un débat ouvert et approfondi,
auquel devrait participer activement les intéressés c'est à dire
la communauté.
En définitive, il faut éviter l'écueil praticiste qui cherche à
trancher d'une seule lame un problème de santé qui, par essence,
est multidimensionnel et complexe. C'est pourquoi il faudrait adopter
une approche qui se veut heuristique et paradigmatique. Heuristique
parce que la lutte contre le paludisme comme pratique discursive
procède avant tout d'une réflexion critique sur les actions menées
et d'un souci de contrôle et de redressement des actions en cours.
La lutte antipaludique opère et produit dans le
champ de la praxis et ce champ n'est pas clos ; elle ne saurait
exister indépendamment des pratiques sociales auxquelles elle s'alimente
et dans lesquelles elle intervient. Une approche paradigmatique
parce que cette approche doit aller à la recherche de modèles appropriés
(Thiénaba) à notre contexte économique et socioculturel, c'est-à-dire
modèles endogènes et autocentrés. La lutte antipaludique n'intéresse
pas seulement le milieu médical, il doit permettre à la société
dans son ensemble de s'exprimer et de peser sur des choix qui sont
d'abord une responsabilité politique puisque sociale.
Les méthodes du Programme national de lutte contre le paludisme
portent les marques négatives sinon de cette absence, de moins de
cette insuffisance de concertation et de partage qui constituent
pourtant l'épine dorsale de cette lutte. Cette dernière, peut devenir
ce cadre d'où sortira un jour grâce à la concertation et à l'apport
de tous, le socle sur lequel s'élaboreront les futures stratégies
relatives à la lutte contre la maladie.
Il convient, c'est évident, de trouver l'exigence d'une conception
volontariste et créative susceptible d'accommoder les nécessités
des stratégies génériques avec les principes d'urgence, tout en
agissant dans le domaine social et économique pour réduire la vulnérabilité
des populations. Enorme lueur d'espoir, l'émergence d'une grande
vigueur politique au plus haut niveau de l'Etat et la démonstration
ensuite que lorsque la communauté se mobilise, elle est capable
d'infléchir la mortalité liée à cette affection de façon significative.
Par : Professeur Oumar FAYE Ministère de la Prévention,
de l'hygiène et de l'assainissement
Lire l'article original : http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=10476
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