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L'actualité de la santé en Afrique

La problématique du paludisme est globale et transversale - Walfadjri - Sénégal - 08/06/2004

Le paludisme terrasse souvent les sénégalais chez eux, les faisant trembler de fièvre dans leurs habits, toutes les couvertures de la maison entassées sur le corps. Il était le fardeau le mieux partagé dans le monde puisque qu'il est venu à bout d'illustres hommes bâtisseurs d'empires comme Alexandre le Grand. L'image d'un pays au climat délétère "tombeau de l'homme blanc" est restée vivace, en souvenir des ravages causés par cette maladie parmi les premiers européens qui se sont aventurés dans les contrées sénégalaises. Il reste surtout lié dans notre pays au casque colonial. Aujourd'hui, son plus grand ami est la pauvreté et, nous le savons, aux frontières de cette maladie se joue aussi la question des inégalités sociales. Le paludisme est un ennemi familier avec lequel les sénégalais ont appris à coexister depuis des siècles ; ils ont appris finalement à s'en accommoder et malheureusement à le banaliser. Notre culture tend à nous rendre sourd et indifférent à l'événement, cela tient à la prépondérance donnée au passé et à la religion. Cette familiarité avec la maladie est aussi due à une médiatisation excessive. Le paludisme est à la fois support, produit et enjeu des rapports sociaux et politiques. Support, parce que doté d'une morbidité sociale importante, il concerne tous les segments de la population. Produit parce que le vécu du paludisme est le fruit d'une longue socialisation et le résultat de toute une histoire.

Ainsi, la physionomie de cette affection dans l'histoire de notre pays révèle une intrication incessante de facteurs écologiques, sociaux et culturels. Si le contexte épidémiologique prédispose nos sociétés au risque paludéen, l'histoire, la culture et la politique modifient le cours de cette prédisposition par un certain type d'agencement de l'espace et une certaine configuration du champ social. Il est un révélateur de la société mettant à nu ses inégalités, ses faiblesses et ses divisions. Il enregistre et amplifie les secousses sociales. Il constitue un champ encore plus transparent pour lire au décours d'un forum les conflits d'intérêts et de pouvoirs des groupes en présence. La lutte contre cette maladie constitue l'un des enjeux les plus importants de la réflexion médicale au Sénégal, parce qu'elle pourrait permettre à notre pays, d'affirmer ses capacités de progrès. Il n'y a pas un gouvernement, une représentation populaire qui ne fasse pas de la lutte contre cette parasitose une porte d'entrée, un levier d'action de sa politique (caravane croisade contre le paludisme, téléthon etc.). Cette affection a toujours par ailleurs, révélé un énorme besoin des populations à participer à travers des cadres de concertation originaux aux différentes activités du ministère de la Santé. Des avancées significatives en matière de lutte contre cette affection sont directement le fruit de cette équation. Avant 1980, le traitement de la maladie était relativement confortable, reposant sur des médicaments efficaces, bien tolérés, relativement complémentaires et permettant de développer des stratégies efficaces face à des situations variées. Parmi ces médicaments nous avions la chloroquine pour les accès simples, médicament bon marché accessible à toutes les bourses, et la quinine pour les accès pernicieux ; quinine dont la découverte grâce aux amérindiens constitua le vrai succès dans la lutte contre cette parasitose et peut être le seul durable. Cette pharmacopée antipaludéenne relativement stable et jugée idéale a constitué pendant longtemps un oreiller sur lequel malheureusement nous nous sommes endormis. Les évolutions concernant la sensibilité des parasites et des vecteurs se sont caractérisées par la rapidité avec laquelle elles se sont produites, par leur complexité et leur indépendance.

L'image que donne le Sénégal aujourd'hui en matière de santé est celle d'un pays en position instable sur le point de venir à bout de certaines maladies (poliomyélite, ver de Guinée, onchocercose) mais sérieusement menacé par d'autres (paludisme, sida, tuberculose), en train de perdre son arsenal de médicaments efficaces (chloroquine), donnant aux maladies de plus en plus d'occasions d'apparaître ou de se propager (mauvaise urbanisation, modifications de l'écosystème) mais payant surtout le manque général de prospective. C'est comme si nous devons forcément passer d'un temps du "pouvoir choisir" à une époque du "devoir choisir". L'association Fansidar/Amodiaquine qui est préconisée en première intention dans le cadre de la prise en charge des cas a introduit plus de problèmes qu'elle n'en a résolu. En effet, elle ne permet pas dans le contexte actuel, de résoudre le problème du traitement présomptif des cas par la communauté, variante par ailleurs la plus productive de la prise en charge des cas. C'est pourquoi, d'aucuns ont proposé le maintien de la chloroquine à domicile.

Quant aux stratégies de prévention, en dehors de la suppression des gîtes larvaires péri-domiciliaires, elles se limitent aujourd'hui à l'utilisation de la moustiquaire imprégnée d'insecticides et à la chimioprophylaxie avec le Fansidar pour les femmes enceintes (traitement préventif intermittent). S'agissant de cette dernière stratégie, des difficultés opératoires limitent son efficacité. Les stratégies d'aujourd'hui seront jugées en fonction non pas de leur faculté d'opérer un changement, mais de leur aptitude à réaliser un progrès durable. Si les campagnes d'éducation sanitaire ont permis d'observer une amélioration des connaissances concernant notamment le rôle du moustique et l'intérêt des moustiquaires, cependant, ces nouveaux savoirs n'induisent pas "automatiquement" de nouvelles pratiques, connaître n'est pas faire. Nous devons aujourd'hui tirer les conséquences du fait que les efforts développés, les stratégies et les ressources extraordinaires comme elles l'ont été, sont et continuent d'être absolument nécessaires, mais qu'elles sont insuffisantes pour inverser la tendance actuelle de la maladie dans les toutes prochaines années. Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui (écologiques, chimiorésistance, socio-culturel) nous invitent à définir des perspectives plus rentables à court et moyen termes et adaptées en termes de prévention, et des stratégies plus volontaristes en terme de prise en charge. Pour une fois on peut accepter que la réponse la plus cohérente aux besoins du moment ne soit pas forcément celle qui ouvre les voies les plus favorables à plus long terme. En rapport avec tout cela, des réponses résolument politiques s'imposent face à l'urgence et aux nouveaux défis auxquels nous confrontent la maladie. La bonne question que nous devons nous poser aujourd'hui est la suivante et la recherche doit être configurée en rapport : pourquoi les Sénégalais qui sont impaludés décèdent-ils ? Le délai de prise en charge thérapeutique constitue à n'en pas douter le facteur de risque de létalité essentiel. Ils décèdent moins du fait de l'inefficacité des produits ou de l'inaccessibilité économique des médicaments antipaludiques ou géographique des structures sanitaires puisque le même taux de létalité était observé il y a de cela plus de dix ans quand la chloroquine de coût très modeste était efficace. Si l'on est prêt à admettre par ailleurs, que l'existence de réseaux de solidarité tempère souvent l'ambiance de pénurie dont souffrent les individus des ménages pauvres, le taux significatif de létalité relatif aux personnes des milieux de catégorie sociale moins défavorisée et les décès à domicile survenant à moins d'un kilomètre d'une structure de santé suggèrent qu'il existe des facteurs de risque qui tiennent davantage aux comportements spécifiques des individus qu'aux conditions générales d'accès à une thérapeutique efficace. Toute situation sanitaire est une situation anthropologique, c'est-à-dire l'homme dans son environnement tissé de liens symboliques. Les termes de "sibirou" en wolof, "pao ngal" en pulaar sont des termes génériques qui désignent en dehors du paludisme d'autres unités pathologiques, il y a une imprécision sémantique donc séméiologique, avec comme corollaire la construction culturelle d'une réalité clinique. Les pratiques en matière de paludisme s'inscrivent de ce fait, dans un contexte qui dépasse de beaucoup la simple routine individuelle des habitudes acquises, et les comportements individuels sont nécessairement tributaires de ces enchaînements que nous appelons des logiques, du fait de leur cohérence par rapport aux objectifs sociaux en fonction desquels ils s'ordonnent.

Chacune de ces logiques est étroitement liée aux croyances, aux représentations et aux valeurs sociales ainsi qu'aux connaissances pratiques ou spéculatives de la communauté, en un mot sa culture. A vouloir trop simplifier la réalité comme c'est le cas aujourd'hui, on la caricature et l'on perd prise sur elle. Il ne faut pas hésiter à l'aborder comme telle quelle est, c'est-à-dire complexe et diverse. Reste à savoir comment apprivoiser cette complexité dans une démarche de compréhension et finalement opérationnelle. Dans ce contexte, la complexité des déterminants des recours aux soins en cas de paludisme, impose que les réflexions sur la lutte contre cette affection dépasse le seul cadre financier et technique, elles doivent aussi aborder les questions de légitimité des structures, de représentation culturelle de la maladie. En définitive, la problématique du paludisme est globale et transversale par excellence. Elle interpelle plusieurs catégories et touche diverses dimensions de la vie (politique, socio-économique culturelle, etc.). Elle doit donc faire l'objet d'une vision globale, difficilement réalisable sans la prise en compte et le dialogue de tous les acteurs. Des liaisons intersectorielles doivent être établies de manière à tirer le meilleur parti possible de tous les apports. Malheureusement les secteurs de l'administration sont très peu perméables à des logiques qui impliquent un décloisonnement des appareils politiques et administratifs. L'intersectorialité au niveau national reste un nœud à défaire. Une valorisation institutionnelle de la structure de gestion du paludisme à l'image du sida, faciliterait une concertation avec tous les segments de la nation, et pourrait permettre d'identifier les voies concrètes d'actions adaptées à un éventail de situations différentes et de mieux comprendre une réalité complexe sur laquelle s'exercent des logiques multiples. J'ai souvent exprimé mon sentiment que parmi les convaincus des stratégies actuellement appliquées et bien sûr je me considère comme l'un d'eux si l'on est prêt à admettre quelles sont génériques, on n'a pas toujours une appréciation réaliste de l'urgence de la situation, ce qui conduit à des propositions peu productives dans l'immédiat. N'oublions pas que le paludisme est responsable d'environ 8000 décès chaque année et rien n'indique un fléchissement de la tendance dans les dix ans à venir. (A suivre)

Par : Professeur Oumar FAYE Ministère de la Prévention, de l'hygiène et de l'assainissement

Lire l'article original : http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=10453


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