Mauvaise alimentation, cigarettes, cholestérol...
gare ! Tous ces facteurs peuvent mener au rétrécissement puis à
l'obstruction des artères qui irriguent le coeur. La solution :
mieux que la chirurgie, la prévention. Mais la sensibilisation effective
prend du temps...
La nouvelle a de quoi déprimer : il ne faut pas
s'attendre à une baisse du taux des maladies cardio-vasculaires
avant au moins 20 ans. A moins d'un sursaut national qui amènerait
les adultes à changer radicalement leur style de vie. Ce constat
qui résonne comme une sentence est celui du cardiologue Nizam Domah,
qui est, avec le Dr Udhay Shankar Ramjuttun, consultant à la Cardiac
Unit de l'hôpital Victoria, à Candos.
Maurice figure parmi les premiers pays à avoir un taux record de
maladies cardiovasculaires. Celles-ci s'étendent de façon exponentielle,
affectant non seulement les personnes de 50 ans à monter mais aussi
des sujets nettement plus jeunes, soit à partir de 35 ans.
Ce qu'on qualifiait de maladies cardiovasculaires
dans les années 70, c'était surtout la maladie rhumatismale, conséquence
d'une angine de la gorge, ignorée ou mal soignée et qui finissait
par affecter les valves cardiaques. Lorsque les dégâts étaient irréversibles
et étendus, l'intervention principale pour la maladie rhumatismale
était le remplacement valvulaire par prothèse mécanique ou greffe.
Au début des années 90, les cardiologues notent un changement dans
le type de maladie cardiovasculaire affectant les Mauriciens. Il
ne s'agit pratiquement plus de maladie rhumatismale mais de maladies
coronariennes. "Les maladies des coronaires existaient 20 ans auparavant
mais leurs moyens d'investigation et de traitement n'étaient pas
accessibles de manière routinière. On les traitait de façon classique
en administrant des médicaments. Il faut dire qu'avec l'industrialisation,
le nombre et la fréquence des maladies coronariennes ont augmenté",
explique le Dr Domah.
La plus courante des maladies coronariennes est
la sténose, un rétrécissement progressif d'une ou de plusieurs artères
coronaires irriguant le cœur - il y a trois artères coronaires principales
et trois accessoires - jusqu'à leur obstruction totale. Dans ce
cas de figure, c'est l'infarctus du myocarde, la nécrose du muscle
cardiaque. Le cœur mal irrigué perd sa fonction contractile et le
sujet peut en mourir.
Facteurs de risque
Comme dans toute pathologie, des facteurs de risque
associés à la maladie coronarienne existent. Il y a des personnes
prédisposées à la sténose : ce sont les diabétiques, surtout s'ils
sont fumeurs, et les hypertendus. Les autres facteurs de risque
sont l'obésité, l'hypercholestérolémie ou augmentation du cholestérol
et des triglycérides dans le sang, et la sédentarité. Le facteur
génétique, l'hérédité et le vieillissement ne sont pas non plus
à être négligés.
Chaque mal ayant un symptôme précis, le signe précurseur
de la maladie des coronaires est l'angine de poitrine, c'est-à-dire
l'impression d'une pesanteur ou déchirure dans la poitrine, située
le plus souvent derrière le sternum et le côté gauche jusqu'au bras.
Mais elle peut aussi provenir du côté droit. Ladite douleur, surtout
au tout début du rétrécissement de l'artère, survient essentiellement
durant l'effort et se calme à l'arrêt de la tension. D'autres symptômes
peuvent être associés à ce mal comme, par exemple, une douleur dans
la mâchoire, provoquée par l'effort. La maladie peut aussi être
asymptomatique ou se résumer à un essoufflement, en particulier
chez les diabétiques.
Une prise en charge cardiologique est nécessaire
si un de ces symptômes apparaît. Le pronostic aidera alors à décider
du traitement approprié. A Maurice, le cardiologue tient surtout
compte du délai que le patient a mis pour se faire admettre aux
soins intensifs. "Si le délai entre le déclenchement de la douleur
et l'arrivée au centre est de moins de huit à douze heures, on aura
tendance à donner des médicaments dits thrombolytiques, permettant
de dissoudre le caillot responsable le plus souvent de l'obstruction
totale de l'artère. L'électrocardiogramme et le suivi réalisés ensuite
permettront de savoir si le caillot est partiellement dissous ou
pas. Malheureusement, le ratio d'efficacité de ces médicaments est
de 1 : 2."
En cas d'échec du traitement médicamenteux, le patient est conduit
en salle de cathétérisme pour un examen d'angiographie coronaire
et une angioplastie subséquente. L'angiographie est une méthode
d'investigation consistant à ponctionner l'artère fémorale pour
y faire monter une sonde jusqu'au niveau de l'artère coronaire soupçonnée
d'être obstruée, le tout sous amplificateur de brillance. Une fois
la lésion et le caillot localisés, le cardiologue pratique l'angioplastie.
Il fait glisser dans l'artère un ballon contenant un petit ressort
appelé stent jusqu'à l'endroit de l'obstruction. Le ressort est
ensuite ouvert et, ce faisant, il écrase ledit caillot dont les
débris sont évacués dans le flot sanguin. Cette intervention se
pratique sous anesthésie locale et peut durer entre une demi-heure
et deux heures.
Depuis février, l'hôpital Victoria possède un appareil d'angiographie
coronaire. Les angiographies sont pratiquées de façon courante depuis.
Les angioplasties sont pour bientôt. L'hôpital attend d'abord d'accuser
réception des consommables. Présentement, les cas nécessitant une
angioplastie sont expédiés au Cardiac Centre de l'hôpital SSRN où
cette intervention est pratiquée par le cardiologue traitant.
Calcification d'artères
A l'étranger, les cardiologues peuvent utiliser
un autre instrument lors de l'angioplastie. Il s'agit du rotablator,
sorte de fraise qui rabote l'intérieur de l'artère tout en aspirant
les débris. Cette technique est délicate et nécessite beaucoup de
doigté. "On l'utilise surtout en cas d'artères calcifiées. A Maurice,
les malades pouvant bénéficier de cette technique ne représentent
que 5 à 10 % de ceux souffrant de maladies coronariennes. Comme
nous n'utilisons pas le rotablator ici, on réfère ces malades à
nos amis chirurgiens cardiaques qui font un excellent travail dans
ce type de chirurgie." La chirurgie cardiaque est pratiquée en deuxième
intention, lorsque l'angioplastie n'est pas accessible. "On y a
recours en cas de multiples artères abîmées et de lésions graves.
On a noté que la chirurgie donne de meilleurs résultats à court
et à long termes quand il y a plus de trois artères bouchées ou
quand l'obstruction est située dans des courbures ou bifurcations
des artères qui sont difficiles d'accès."
Dans ces cas de figure, le chirurgien cardiaque pratique le pontage
coronarien, qui consiste à prélever soit une veine des membres inférieurs,
en général de la jambe, soit une artère radiale du bras, soit une
artère mammaire extraite du thorax, et la suturer en aval de l'obstruction,
de façon à créer un pont autour d'elle. Dans le passé, les chirurgiens
prélevaient surtout des veines mais ils ont réalisé que celles-ci
ont tendance à supporter moins bien la pression sanguine et à s'abîmer
plus rapidement. "Aujourd'hui, les chirurgiens prennent surtout
des artères pour effectuer un pontage." Cette intervention dure
trois à quatre heures et se pratique au Cardiac Centre de l'hôpital
SSRN. Le maximum de pontages réalisés dans cet établissement jusqu'ici
s'élève à six.
Cibler les enfants
Le Dr Domah explique le taux élevé de maladies
coronariennes à Maurice par le nombre élevé de diabétiques et d'hypertendus,
soit respectivement 20 % et 30 % de la population adulte. Il estime
qu'il faut aussi tenir compte qu'entre 42 et 45 % de la population
adulte est fumeur et 20 % souffre d'une intolérance au glucose,
et sont donc des cardiaques potentiels. Si l'on considère les résultats
de l'étude du Dr Omar Uteem, cardiologue, qui fait état d'un taux
plus élevé de maladies coronaires chez les Mauriciens de foi islamique
et tamoule en raison de leur alimentation riche en viandes rouges,
cela fait énormément de personnes prédisposées à souffrir de maladie
coronarienne. "A l'hôpital Jeetoo, environ 20 à 30 cas d'infarctus
du myocarde sont traités par mois. A l'hôpital Victoria, c'est plus
que le double. Chaque jour, en consultation externe à la Cardiac
Unit de l'hôpital Victoria, nous voyons en moyenne 30 nouveaux cas
de maladies coronariennes."
Pour le Dr Domah, le meilleur traitement pour la maladie coronarienne
est la prévention. Mais depuis plus d'une dizaine d'années, le ministère
de la Santé mène campagne après campagne pour sensibiliser les Mauriciens
à ce propos, sans changement majeur dans les tendances de la maladie.
"Vous savez, en Europe et aux Etats-Unis, les campagnes de prévention
ont débuté voilà 25 ans et c'est aujourd'hui que les résultats sont
visibles. Pour bon nombre d'adultes mauriciens, c'est déjà trop
tard. La prévention doit être faite dès le très jeune âge. Ainsi,
on verra des résultats significatifs dans les deux décennies à venir.
C'est toute une culture et un mode de vie qui doivent changer."
S'il reconnaît que le programme d'études du primaire
traite de l'alimentation équilibrée et des méfaits du tabagisme,
le Dr Domah est d'avis qu'il faut des campagnes concertées. "Il
faut aussi sensibiliser sur la sédentarité et tous les autres facteurs
de risque. Il est vrai que la caravane de santé abat un travail
considérable en ce sens mais il faut aller davantage vers les gens
", précise-t-il en mettant les médias également face à leurs responsabilités.
Quelques conseils qui pourraient aider à prévenir l'apparition de
sténose et le début de la maladie coronarienne : éviter le tabac,
faire de la marche ou pratiquer un exercice physique trois à quatre
fois la semaine pendant une demi-heure ou trois quarts d'heure et
se mettre au régime alimentaire. "Je préfère dire régime car la
majorité des Mauriciens n'a pas une alimentation équilibrée". Les
diabétiques et les hypertendus doivent, eux, contrôler leurs maux,
y compris leur taux de cholestérol et de triglycérides.
"A l'hôpital Jeetoo, environ
20 à 30 cas d'infarctus du myocarde sont traités par mois. A l'hôpital
Victoria, c'est plus que le double. Chaque jour, à la" Cardiac Unit",
nous voyons en moyenne 30 nouveaux cas de maladies coronariennes."
Ces chiffres qui font peur...
D'ici 2015, les décès liés à la maladie cardiovasculaire
auront plus que doublé dans les pays en développement, passant de
72 millions à 167 millions, soit une hausse de 132 % en 30 ans alors
que la mortalité dans les pays développés augmentera de 28 %. C'est
dire que la maladie coronarienne sera le "leading killer" dans le
monde. Selon la Non-Communicable Disease Unit du ministère de la
Santé, la maladie coronarienne serait responsable de deux tiers
des décès à Maurice. Environ 3 500 à 4 000 cas d'infarctus du myocarde
sont annuellement traités dans nos hôpitaux.
Marie-Annick SAVRIPÈNE
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