Par ces temps où de partout des tradipraticiens
battent campagne publicitaire annonçant pouvoir guérir le sida,
des guérisseurs regroupés au sein de l'Ong Gëstu, appellent à la
retenue. Les guérisseurs traditionnels sénégalais, membres de l'ONG
Gëstu (recherche en wolof), ont invité leurs collègues à observer
une grande prudence dans le traitement du Vih/sida. "Nous ne pouvons
soigner que les maladies opportunistes qui se manifestent avec le
sida dont les diarrhées et les maux de tête, mais non la maladie
elle-même. Nous n'avons pas encore trouvé le remède à la pandémie",
reconnaît, avec humilité, Ousmane Ndiaye, secrétaire général de
l'Ong Gëstu, une association créée en 1996. Elle regroupe 157 tradi-thérapeutes
qui font recours aux plantes, cauris, racines et autres décoctions
pour soigner leurs malades.
"Beaucoup de tradipraticiens continuent de confondre
le sida avec la chaude pisse, une infection sexuellement transmissible
(IST)", a expliqué à Ips, Ndiaye. Il estime que "les tradipraticiens
doivent savoir ce qu'ils peuvent faire dans le traitement du sida
et ce qu'ils ne peuvent pas faire et cesser de chercher à leurrer
les populations". Ce conseil donné aux tradi-thérapeutes se justifie
amplement si l'on sait qu'en général, 80 % des populations africaines
font recours en premier lieu à la médecine traditionnelle lorsqu'elles
sont souffrantes.
"Quand un individu est atteint par le virus du sida, il est désespéré
et a souvent tendance à se tourner vers toute personne affirmant
qu'elle peut le soigner, parmi lesquelles les guérisseurs traditionnels",
indique Ndiaye à Ips. Ndiaye relève toutefois que "toute maladie
a un remède, mais que dans le cas précis du Vih/sida, il faut s'entourer
de beaucoup de précautions avant de dire qu'on peut détruire le
virus alors qu'on ne possède pas de laboratoire. Les cauris ne peuvent
pas déceler un virus".
Amadou Bâ, coordonnateur de l'Ong Gëstu, plaide
dans le même sens, invitant ses collègues à "plus de retenue" dans
le traitement du Vih/sida. "Une confusion peut intervenir dans le
diagnostic car on ne peut prétendre venir à bout d'une maladie dont
on ignore les symptômes", souligne Bâ à Ips. Aussi, demande-t-il
aux tradi-thérapeutes de s'armer de patience, "le temps, pour eux,
de mieux comprendre les causes de la pandémie du sida". Bâ estime
qu'il faut d'abord que les guérisseurs traditionnels soient informés
sur le Vih/sida afin de ne pas commettre une confusion dans le traitement
de la maladie. Selon lui, il peut exister des similitudes entre
le virus du sida et certaines maladies opportunistes.
A ce propos, explique Bâ, "nous sollicitons une meilleure collaboration
avec les techniciens de la médecine moderne".
La requête formulée par les membres de l'Ong Gëstu
a trouvé un écho favorable auprès des autorités sanitaires publiques,
puisqu'un atelier a été organisé à leur intention en juin dernier
à Dakar dans le but de mieux les familiariser avec les symptômes
du Vih/sida. Les guérisseurs traditionnels membres de Gëstu déclarent
ne pas vouloir aller vite en besogne dans la recherche d'un remède
contre le Vih/sida. Mais ils veulent mieux connaître la maladie
avant de songer à la combattre, en complémentarité avec des techniciens
de la médecine moderne.
A travers cet atelier de formation qui a duré trois
jours, le gouvernement veut donner à la médecine traditionnelle
la place qui doit lui revenir dans le cadre de la politique sanitaire
nationale, déclare le chef de la Division médecine traditionnelle
au ministère de la Santé, Aliou Aw. Le gouvernement sénégalais souhaite
aller dans le sens des recommandations préconisées par l'Organisation
mondiale de la santé (Oms) et l'Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle (OMPI) incitant les Etats membres à développer une
politique de protection et de préservation des savoirs traditionnels,
indique Aw.
A cet égard, le gouvernement prépare un projet de loi qui sera soumis
"prochainement" à l'Assemblée nationale visant à mieux réglementer
la médecine traditionnelle au Sénégal, selon Aw. Cinq axes seront
développés par cette loi et porteront essentiellement sur la réglementation
de la médecine traditionnelle ; la valorisation de la pharmacopée
; la valorisation des travaux de recherche ; la définition, par
le ministère de la Santé, d'un cadre d'échanges et de concertation
entre tous les acteurs ; ainsi que la protection et la promotion
des savoirs traditionnels.
Selon un recensement effectué cette année par le
ministère de la Santé, dans huit des onze régions du Sénégal, on
dénombre 630 tradi-thérapeutes. Un répertoire et une base de données
seront élaborés par le ministère afin de mieux suivre les activités
des médecins traditionnels opérant dans tout le pays, précise Aw.
Appuyée financièrement par le Comité national de lutte contre le
sida (Cnls), Gëstu envisage, selon Ndiaye, son secrétaire général,
d'organiser, à travers le pays, d'autres sessions de formation axées
sur le même thème.
Conscients de la place primordiale qu'ils occupent au sein de la
société, les guérisseurs traditionnels veulent servir de relais
auprès des populations qui les consultent régulièrement pour des
questions d'ordre social, en démultipliant notamment les campagnes
de prévention contre le Vih/sida. "Il n'existe pas quelqu'un de
plus apte que le guérisseur qui soit en contact permanent avec presque
toutes les couches de la population pour véhiculer les messages
de prévention contre la pandémie", affirme Ndiaye.
Selon le rapport du bulletin épidémiologique de
l'année 2001, les personnes atteintes de sida au Sénégal sont estimées
à 80 000 dont 77 000 adultes, avec un ratio de neuf hommes infectés
pour sept femmes. Un plan national stratégique de lutte contre le
sida (2002-2006), élaboré par le gouvernement, se fixe comme objectif
de maintenir le taux actuel deprévalence du Vih/sida de l'ordre
de 1,4 %, en dessous de trois pour cent à l'horizon 2006.
En dehors de Gëstu, une autre association dénommée Prometra/Sénégal
(Promotion des médecines traditionnelles), réunit des guérisseurs
traditionnels. Dirigée par un médecin, Erik Gbodossou, l'association
Prometra a ouvert un centre expérimental des médecines traditionnelles
appelé Malango dans la région de Fatick, dans le centre du pays,
à 152 kilomètres de Dakar.
Lire l'article original : http://www.walf.sn/societe/suite.php?rub=4&id_art=11180
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