Le Sénégal est-il en train d'assister sans en prendre
conscience, à une nouvelle révolution scientifique qui se déroule
sur son territoire ? A en croire les multiples communiqués dans
nos principales Radio Fm qui annoncent quotidiennement des listes
kilométriques de maladies tenaces, miraculeusement soignées par
des guérisseurs forts inspirés, l'on est tenté de répondre par l'affirmative.
Beaucoup de maladies jusqu'ici traitées efficacement par la médecine
moderne dite scientifique, mais nécessitant des appareils sophistiqués
et un coût élevé, sont aujourd'hui vaincues selon nos annonceurs,
en un temps record, sans besoin d'anesthésie ni de salle d'opération
stérilisée.
C'est le cas de la cataracte, maladie de la vision
chez les personnes en âge avancé, des kystes et des fibromes, maladies
fréquentes chez les femmes, se développant au niveau de l'appareil
génital. Mais la chasse gardée de ces "professeurs" en médecine
traditionnelle qui occupent les pages publicitaires de nos radios,
reste un domaine où la médecine moderne bute ou traîne encore les
pieds avec des traitements coûteux et souvent à vie. C'est le cas
du diabète, du rhumatisme, de l'asthme, des hémorroïdes, de l'impuissance
sexuelle, du cancer et même du sida.
Certains n'hésitent pas à rajouter sur la liste, la chance et le
charisme (à ce que je sache, la malchance et le manque de charisme
ne sont pas des maladies).
Le marché est si florissant que des étrangers viennent
grossir les rangs. Le penchant que nos concitoyens ont sur les produits
"Made in Extérieur" n'est plus à démontrer. Ce critère renforce
le caractère canularesque du marketing mené tambours battants par
certains de nos guérisseurs. Ceux qui pensaient qu'il fallait sortir
des grandes écoles HEC pour faire un bon commercial, doivent revoir
leurs copies.
L'Etat sénégalais est-il en train de faire rater
à la communauté scientifique et au monde entier l'occasion rêvée
de bouter hors de la planète, toutes ces maladies de malheur qui
empêchent à l'homme de vivre heureux sur terre ? Ou bien, est-il
en train d'assister naïvement à un crime contre son peuple, perpétré
par des charlatans sans scrupules avec la complicité des radios
à travers une publicité mensongère ?
J'interpelle les ministres de la Santé et de la Prévention pour
qu'ils réagissent sans attendre face à ce nouveau phénomène. Si
l'Afrique pouvait supprimer ou éliminer considérablement le coût
insupportable de la prise en charge médicale qui constitue le premier
facteur de sa pauvreté, elle s'approcherait du cercle des pays riches.
Par conséquent, les succès réels enregistrés par notre médecine
traditionnelle doivent être reconnus et mis à la disposition de
la communauté internationale.
De même, les charlatans qui ont pris en otage un peuple innocent
et mal informé, doivent être démasqués et mis hors d'état de nuire.
Personnellement, j'ai vécu ou assisté à des expériences
dont les unes méritent une attention particulière du fait des résultats
positifs obtenus, et les autres une punition exemplaire aux fautifs.
J'ai eu à souffrir pendant trois ans d'un mal aigu localisé au niveau
des poumons et aucun médecin n'était parvenu à atténuer la douleur.
Je dus mon salut à un tradipraticien qui me traita en trois jours
à raison de trois verres par jour d'un mélange d'eau et de racines.
Comme il l'avait prévu, au troisième jour, je ne sentais plus la
douleur. Cela remonte à plus de quinze ans et aujourd'hui, je touche
du bois.
Une tante par alliance fut atteinte d'un rhumatisme
articulaire qui la faisait souffrir atrocement, l'obligeant à marcher
difficilement, même avec un bâton. Les cabinets médicaux que nous
avions sillonnés n'avaient pas obtenu de résultats satisfaisants.
Un guérisseur peulh de passage dans le quartier, lui prescrit une
potion à base de racines pendant quatre jours. Durant le traitement,
lui dit-il, tu feras un rêve. Le quatrième jour, elle se voyait
en rêve poursuivie par la mer. Elle trouva refuge sur le sommet
d'un arbre. L'eau de mer furieuse prit d'assaut le tronc de l'arbre
et s'arrêta juste au feuillage puis commença à descendre tranquillement
pour rejoindre sa rive. Au réveil, elle constata avec stupéfaction
que le lit était imbibé d'eau et découvrit que sa peau avait cédé
la place à une large plaie au niveau des membres inférieurs. Moins
d'une semaine, après, il n'y avait plus de douleur rhumatismale,
ni de plaie. Ma tante avait déjà rangé son bâton-béquille et se
déplaçait aisément pendant six mois. Après cette période la maladie
revint au galop mais nous avions perdu toute trace du guérisseur
peulh. Elle traîna cette maladie et mourut quelques années plus
tard.
J'ai été témoin du cas d'un homme atteint d'une
maladie des yeux. On lui recommanda un guérisseur qui n'hésita pas
à lui instiller dans l'œil quelques gouttes d'un mélange de citron
et de cauris. La douleur fut telle qu'il perdit connaissance et
se retrouva à l'hôpital où les médecins furent obligés de lui faire
une ablation de l'œil pour lui sauver la vie puisse qu'il n'y avait
plus de chance pour la vue.
Aujourd'hui, nombreux sont les guérisseurs estampillés
spécialistes de la stérilité féminine. Si certains se glorifient
et brandissent des résultats probants, des personnes averties appellent
à la prudence : certains cerveaux brûlés, prêts à marcher sur le
ventre de leurs patientes, infiltrent le milieu et poussent leur
cynisme jusqu'à être le géniteur de la grossesse tant désirée. En
fait de remède, c'est plutôt une drogue savamment préparée et la
pauvre patiente ne se doutera guère que monsieur vient d'abuser
d'elle. Au préalable, un interrogatoire préliminaire sur l'état
de règles permettant de déterminer la période probable d'ovulation,
et un soupçon d'une stérilité du mari (souvent ignorée chez nous)
suffisent pour procurer le remède de cheval.
Des milliers de Sénégalais peuvent raconter autant,
sinon plus d'histoires de ce genre. Il appartient à l'Etat et au
ministre de la Santé de faire la lumière sur cette affaire. Une
solution simple consisterait à mener une enquête en demandant à
tous ceux et à toutes celles qui ont eu une expérience positive
ou négative avec de telles personnes de bien vouloir porter l'information
aux autorités. La collecte de ces données aurait le mérite de démasquer
les charlatans et d'identifier les tradipraticiens émérites qui
pourraient bénéficier d'un encadrement conséquent. Les centres de
médecine traditionnelle de Keur Massar et de Fatick qui ont initié
une forme d'organisation de ce secteur doivent être mieux suivis
et soutenus. En attendant de telles mesures, je lance un appel aux
directeurs des radios concernées à ouvrir une réflexion qui aboutirait
à une approche plus professionnelle du traitement de ce type de
publicité. Nul n'ignore que les auditeurs avalent facilement sans
grande précaution, tout ce qui sort des belles voix de leurs animateurs
préférés.
Cheikh Bamba DIOUM
Lire l'article original : http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=11146
|