La qualité et l'accès aux soins en milieu urbain,
le comportement des personnels de santé, l'insuffisance dans la
qualité des prestations de ces derniers, les difficultés des populations
urbaines dans l'accès aux soins se reflètent dans l'enquête réalisée
à la fin des années 90, sur cinq capitales Ouest-africaines, dont
Dakar, à l'initiative de l'Unicef et de la Coopération française.
Face à cette situation préoccupante, au moment
où la situation sanitaire des populations est des plus précaires
et les besoins de plus en plus importants, la Coopération française,
en accord avec le ministère de la Santé, a décidé de faire une action
pilote pour soulager ces populations. Cela a donné naissance au
"Projet santé urbaine", basé à Dakar.
Etre en bonne santé et le rester est devenu un souci au Sénégal.
Se faire soigner est devenu un casse-tête. L'environnement dans
lequel vivent la plupart des Sénégalais n'est pas propice à la prévention
des maladies. Lorsque la maladie se déclare, les soins sont bien
souvent inaccessibles. Soit qu'ils sont trop chers, soit qu'ils
sont une denrée rare à conquérir péniblement. Si les cliniques essaiment,
fournissant un service à une clientèle nantie pouvant payer beaucoup
et immédiatement, le défi de structure offrant un service de santé
démocratisé et de qualité reste à relever. Pourtant, l'accès aux
soins de santé de base est un droit reconnu par l'Etat du Sénégal
par la Constitution, en son article 8.
Des efforts et des tentatives ont été faits sur le terrain. Avec
le temps, une évaluation s'impose et certains tentent de rajuster
le tir. Trouver des solutions alternatives, qui associe et implique
les populations concernées.
La ville de Guédiawaye qui se singularise par un taux de couverture
médicale peu satisfaisant a été retenue pour le démarrage d'un projet.
Il s'agit de relever le pari d'une alternative aux centres de santé.
Le ministère de la Santé, en collaboration avec la Coopération française
et l'Ong Action et développement (Acdev) sont les maîtres d'œuvre
de cette initiative.
Ainsi est née la Polyclinique de Golf Sud, première expérience pilote
au Sénégal. Il s'agit d'un Centre de santé dont la gestion a été
confiée aux populations des différents quartiers de Golf Sud. Cette
structure privée est à but lucratif et aura pour mission de servir
le public. Contrairement à ce qui se fait traditionnellement, elle
ne fonctionne pas sur la base d'un Comité de santé. En effet, le
Centre de santé est géré par un Conseil d'administration mis en
place par les populations elles-mêmes à travers le mouvement associatif.
Le Conseil d'administration a les pleins pouvoirs pour recruter
le personnel médical. A ce titre, il veille à l'application scrupuleuse
du règlement intérieur.
Ce choix explique Dr Jean Jacques Kuss, conseiller technique au
ministère de la Santé, de l'Hygiène et de la Prévention, a été fait
de manière consensuelle avec le médecin chef de la Région et l'ensemble
des médecins-chefs de district de la région médicale. Les populations
des zones de Hamo 3, Cité des Enseignants, le lotissement de la
Station 10 du Golf Club, éventuellement le complexe immobilier de
la Cse, Atépa, Cité Douanes, Fith Mith devraient ainsi avoir un
accès facile aux soins de santé.
Une expérience médicale déjà
tentée en Côte d'Ivoire et au Mali
De l'avis du coordonnateur de l'Acdev, Dr Cheikh
Tidiane Athie, qui a déjà mis sur pied trois polycliniques avec
d'autres partenaires dans le département de Pikine, Malika et Guinguinéo,
cette nouvelle structure de santé créée par le ministère de la Santé
et la Coopération française sera une alternative dans le domaine
médical. Il poursuit que cette innovation pourra régler le problème
de santé au Sénégal. Il a tenu aussi à souligner que c'est une première
expérience au Sénégal mais d'autres pays ont tenté cette initiative
notamment la Côte d'Ivoire et le Mali. Il rappelle aussi que si
la structure marche, elle pourra s'étendre sur toute l'étendue du
territoire national.
Pour cette nouvelle structure de santé créée, le malade est reçu
par un médecin ou un dentiste avec des coûts abordables contrairement
au poste de santé. L'accent est surtout mis sur la qualité des soins.
A la question de savoir si ce projet n'est pas révélateur d'un désengagement
de l'Etat, Dr Kuss réfute et explique que l'Etat donne de plus en
plus de pouvoir à la population et d'ajouter que c'est l'aboutissement
de la démocratie au niveau sanitaire. Il affirme aussi que le projet
va s'inspirer des procédures du ministère de la santé publique en
ce qui concerne le programme de lutte contre le paludisme, la formation
du personnel, etc...
Pour financer ce projet, une enveloppe de 60 millions a été dégagée
par la coopération française qui recouvre l'équipement de la Polyclinique,
la rénovation des locaux, et le salaire pour la première année du
corps administratif et médical.
Propager le modèle ?
Le maire de la ville de Guédiawaye joint au téléphone
a manifesté son adhésion à ce projet et expliqué que la mairie a
accepté de prendre en charge les locaux de la future polyclinique
communautaire. Il s'est également réjoui de l'installation du cabinet
dentaire sachant qu'il a été le gros problème de la ville de Guédiawaye.
Pourtant, les initiateurs du projet, demeurent prudents et ne veulent
pas encore divulguer cette expérience. Alors l'expérience demeure
méconnue du public. Ils disent patienter pour voir comment cela
va se passer dans le contexte sénégalais. Actuellement ils en sont
à ce que les gestionnaires de projets appellent "la recherche-action".
Ce n'est "pas une révolution culturelle", a laissé entendre le conseiller
français.
Et avec ce projet de santé urbaine, il y a un certain nombre d'actions
pour améliorer l'accès financier aux soins, notamment en ce qui
concerne les accouchements, les césariennes. S'y ajoutent également
des actions pour équiper les centres de santé. De même qu'offrir
des services de qualité en ce qui concerne à la fois l'accueil et
les soins aux populations bénéficiaires.
De l'avis de certaines personnes interrogées sur l'installation
de cette Polyclinique, ils feront remarquer que c'est une excellente
chose de créer cette idée révolutionnaire qui doit s'étendre sur
l'ensemble du territoire contrairement au poste de santé dont le
personnel n'est pas tout à fait qualifié.
Le ticket de consultation, à la portée de tout le monde, fixé à
1000 F a été également salué par différentes zones.
D'après Abdoulaye Sy, habitant à la cité des Nations-Unies, auparavant
les populations étaient obligées de recevoir leurs soins dentaires
à l'hôpital Aristide Le Dantec ou à Nabil Choucaire, avec des rendez-vous
éloignés dans le temps. Actuellement avec l'installation de ce cabinet
dentaire ultra moderne avec un dentiste qualifié, les habitants
de ces localités devraient maintenant avoir accès à des soins de
meilleure qualité et à moindre coût.
Un progrès noté dès le départ
Avant d'en arriver là, les initiateurs du projet
avaient réalisé une enquête de terrain pour identifier les besoins
des populations en matière de santé. Il s'agissait de mesurer la
qualité de l'accès aux soins de santé en milieu urbain, le comportement
du personnel de santé, l'insuffisance dans la qualité de ces prestations,
les difficultés des populations urbaines dans l'accès aux soins
et les insuffisances dans l'organisation des systèmes de santé dans
la zone urbaine. Cette enquête a été réalisée en 1990.
A noter que dans d'autres pays, ce projet a réussi, avec des fortunes
diverses. En Côte d'Ivoire, il y a eu un bilan assez positif notamment
en terme de qualité de soins. Au Mali, il y a eu des succès et des
échecs. Au Sénégal, le succès dépendra de la gestion quotidienne,
précise le Dr Kuss avant d'ajouter que, dans l'ensemble, il y a,
dès le départ, un progrès noté par rapport à ce qui se faisait avant.
Le droit à la santé
Dans les années 40, les Nations Unies ont qualifié
la santé de droit humain élémentaire. La conférence internationale
sur les soins de santé primaire d'Alma Ata en 1978 s'est donnée
pour objectif d'arriver à la "santé pour tous dans l'année 2000".
Dans la déclaration d'Alma Ata la santé "n'est pas simplement l'absence
de maladie, mais plutôt un état de bien-être physique, mental et
social total". Le droit à la santé implique que chacun puisse bénéficier
d'un mode de vie qui lui permet d'avoir une vie saine avec accès
à des soins préventifs et traitements curatifs appropriés si nécessaire.
L'esprit d'Alma Ata
Cependant, l'année 2000 a passé et alors que d'importants
progrès ont été réalisés en médecine lors des 30 dernières années,
l'objectif "santé pour tous" reste un rêve pour la plupart des gens
du Sud et certaines catégories de la population dans les pays industrialisés.
Globalement, l'espérance de vie a augmenté de 48 années en 1955
à 66 années en 1998, mais dans nombreux pays en voie de développement,
elle est en dessous de 45, et dans certains cas elle est en train
de baisser. Chaque jour, 37 000 personnes meurent de maladies comme
le SIDA, la malaria et la tuberculose. La plupart de ces décès ont
lieu dans les pays en voie de développement où beaucoup de médicaments
pouvant sauver la vie sont inaccessibles.
Les participants d'Alma Ata ont recommandé une nouvelle approche
(soins de santé primaires) comme meilleur moyen pour fournir des
soins de santé de base. Cette approche, qui met l'accent sur la
participation de la communauté et l'usage des ressources locales,
souligne l'importance de l'éducation sur la santé, de l'hygiène,
de l'alimentation, des soins maternelles, du planning familial,
des programmes de vaccination et de l'accès aux soins de santé locaux
à des prix abordables comme facteurs pour assurer le maintien de
la santé.
Il a été démontré que cette approche est plus efficace que des campagnes
qui ne sont pas ancrées dans la population locale. Alors pourquoi
les soins de santé primaire ont-ils échoué ? Une série de développements,
nationaux et internationaux, y ont contribué. L'énorme clivage dans
la distribution globale de la richesse est évidemment un obstacle
important au droit à la santé pour tous. Cela ne signifie cependant
pas qu'une bonne santé ne soit possible que dans les pays riches.
C'est également une question de priorité politique. Ainsi, en assurant
une distribution équitable des ressources, des services de santé
gratuits et une alimentation adéquate pour tous et en donnant priorité
à l'éducation, l'Etat indien de Kerala a atteint par exemple des
taux de survie infantile et d'espérance de vie similaires à ceux
des pays riches.
Depuis les années 80, des politiques structurelles d'adaptation
imposées à des pays endettés du Sud auprès de la Banque mondiale
et du FMI en retour aux prêts, ont conduit à des restrictions massives
en matière de dépenses pour la santé. Les services de santé ont
dû être "cost effective". Le résultat : les pauvres ne sont plus
capables de se payer les traitements dont ils ont besoin, les niveaux
de santé baissent et la mortalité infantile augmente. La situation
s'est aggravée avec l'introduction des accords sur les aspects commerciaux
des droits de propriété (TRIPS), qui ont encore renforcé le contrôle
des compagnies pharmaceutiques multinationales sur le marché des
médicaments.
Dossier réalisé par Cheikh Tidiane MBENGUE
Lire l'article original : http://www.sudonline.sn/archives/05072004.htm
|