Le prix des médicaments reste en travers de la
gorge. Il est dicté par un cercle vicieux, où chaque maillon a des
intérêts à protéger. Les factures continueront à s'alourdir à chaque
visite chez le pharmacien. Et cela malgré la décision du gouvernement
de réduire les marges des importateurs.
Les Mauriciens sortent des pharmacies plus malades
que lorsqu'ils y étaient entrés. Cause du malaise : le prix des
médicaments. Effet : un porte-monnaie considérablement allégé. Les
consommateurs ont de plus en plus recours aux produits pharmaceutiques
et les factures pèsent plus lourd à chaque visite dans les officines.
L'an dernier, ils ont dépensé Rs 1,2 milliard dans les pharmacies
- ce qui représente une moyenne deRs 1 000 par tête.
La décision du gouvernement de réduire les marges des importateurs
et des pharmaciens apporte une lueur d'espoir : les prix des médicaments
devraient baisser de 10 % dans le court terme. Sauf qu'avec l'augmentation
graduelle du fret et un taux de change défavorable à la roupie,
l'on devrait très vite se retrouver à la case départ. L'an dernier,
les médicaments avaient augmenté de 7,9 %. "Il ne faut pas se leurrer.
Les prix ne baisseront vraiment que si le gouvernement promet de
ne plus dévaluer la roupie, ce qui est quasi impossible", lâche
Ravin Gaya, pharmacien.
Le prix d'un médicament est au centre de ce que certains appellent
un cercle vicieux. Le médecin reste le maillon principal car c'est
lui qui rédige les ordonnances. Celui qui exerce dans le privé a
deux choix : prescrire des médicaments originaux ou des génériques.
Les génériques sont des "copies" des originaux mais sont tout aussi
efficaces. Toutefois, ils n'ont pas la cote auprès d'une bonne partie
du corps médical.
"Les médecins ont le pouvoir suprême. S'ils prescrivent des génériques
au lieu d'insister sur les originaux, les Mauriciens verront leurs
factures baisser", souligne un pharmacien de Port-Louis. Importés
de l'Inde, de l'Afrique du Sud et d'Europe, ces médicaments peuvent
coûter jusqu'à un tiers du produit griffé.
L'insistance sur les originaux fait froncer les sourcils. Surtout
qu'à chaque visite chez le médecin, le patient peut constater de
visu la magie du merchandising des multinationales pharmaceutiques.
Tout est recouvert de logos : de l'agenda du bon docteur jusqu'au
stylo en passant par le calendrier, le réveil, le bloc notes et
la tasse de thé. Mais la passion des multinationales pour les praticiens
ne s'arrête pas là. De nombreux médecins bénéficient de cours de
formation et assistent à des conférences grâce au soutien des compagnies
pharmaceutiques.
"Ce sont des outils de marketing auxquels nous avons recours au
même titre que n'importe quel autre commerce", explique Sadeck Vawda
, managing pharmacist de Unicorn Trading, un gros importateur de
médicaments.
Les médecins généralement ciblés par les sociétés pharmaceutiques
sont les star doctors du pays : les références en matière médicale
dont les salles d'attente sont toujours pleines à craquer. Il est
impossible de mesurer l'influence du marketing sur ces médecins.
La plupart des praticiens interrogés disent prescrire le meilleur
médicament pour les patients, mais certains avouent qu'il "arrive
que l'on renvoie l'ascenseur".
Le lien incestueux entre compagnies pharmaceutiques et médecins
fait actuellement beaucoup de bruit aux Etats-Unis. Schering-Plough
est accusé d'avoir offert Rs 3 millions aux médecins pour qu'ils
prescrivent ses produits. A tel point qu'un nouveau slogan a vu
le jour : "Les médecins signent les ordonnances et les multinationales
signent les chèques".
La situation n'a certes pas atteint ce niveau à Maurice, mais le
principe reste le même. La vraie raison derrière ce marketing agressif
est la compétition qui existe sur le marché local. Il y a plus de
10 000 types de médicaments sur les étagères des pharmacies mauriciennes.
Parmi, des produits similaires (composés du même ingrédient actif)
mais fabriqués par des laboratoires différents.
"Pharmacy on Wheels"
"L'importateur a la responsabilité de faire connaître
ses produits auprès des médecins et pharmaciens. Cela ne mène à
rien d'introduire de nouveaux médicaments si la clientèle n'est
pas au courant de leur existence", dit Sadeck Vawda.
Maurice est un des rares pays au monde où l'enregistrement d'un
nouveau médicament est gratuit. Ailleurs, ce privilège coûte au
moins Rs 30 000, en plus du paiement d'une licence annuelle pour
maintenir le produit sur le marché.
"Ce système laisse entrer des produits bidons sur le marché. Les
pharmaciens le savent mais ne peuvent rien faire quand ils sont
prescrits par un médecin", dit Ravin Gaya.
Certains médecins vont même plus loin. Ils disposent de stocks de
médicaments qu'ils prescrivent. Ces dispensing doctors vendent des
produits pharmaceutiques à leurs patients, et cela se fait sans
que le prix soit contrôlé. D'autres, plus malins, visitent des patients
en gardant un stock dans le coffre de leurs voitures, d'où le titre
de pharmacy on wheels. Des médecins affectés à certains établissements
hôteliers vendent également des médicaments à leurs patients, et
bien souvent au tarif européen.
Dans le cercle vicieux qu'est le commerce des médicaments, il serait
injuste de ne blâmer que les médecins et les importateurs. Le coût
d'un produit est influencé par une série de facteurs variables :
le prix fixé par le fabricant à l'étranger (plus on en achète, moins
cela coûte), le coût du fret, l'évolution du taux de change ainsi
que les marges des importateurs et pharmacies. Les droits de douane
(5 %) et la taxe sur la valeur ajoutée (15 %) étaient également
compris, mais ils ont été éliminés lors du dernier budget.
Le prix pratiqué par les multinationales est vivement critiqué à
travers le monde. Les sociétés pharmaceutiques affirment que le
prix reflète la lourde somme injectée dans la recherche et le développement,
mais elles ne révèlent jamais le chiffre exact de ces investissements.
Maurice ne peut donc influencer les prix à la source.
Le coût du fret augmente à chaque hausse du prix du pétrole, alors
que la roupie mauricienne continue de plonger par rapport aux devises.
De juin 2002 à juin 2003, la livre sterling s'est appréciée de 5,8
%, l'euro de 2 % et le rand de 16 %. Seul le dollar a baissé de
3,5 %. Les marges, qui ont été au centre des récentes controverses,
sont les suivantes : 11 % pour l'importateur et 22 % pour le pharmacien.
Mais ce jeu de pourcentages signifie qu'un médicament qui coûte
Rs 100 à son arrivée à la douane se vend finalement à Rs 138 en
pharmacie : une différence de 38 %.
Il ne faut pas confondre marge et profits. La marge représente les
revenus nets et dans une pharmacie par exemple, elle sert à couvrir
les coûts comme les patentes, les salaires des employés (dont celui
du pharmacien), les factures et le loyer entre autres.
En achetant un médicament, le Mauricien trouve souvent un ticket-prix
bleu sur la boîte. Il est fixé par l'importateur sous la supervision
du ministère du Commerce. Selon ce système, un médicament devrait
être vendu au même prix dans toutes les pharmacies. Sauf que les
prix varient à chaque importation, ce qui se reflète à la vente.
Business florissant
"Le taux de change affecte chaque cargaison. Si
la roupie baisse, le médicament coûtera plus cher, mais si une pharmacie
a un vieux stock, elle vendra à l'ancien prix. Nous opérons sur
une base de first in first out et nous ne touchons pas les étiquettes
bleues. C'est illégal", affirme Ravin Gaya.
Les pharmaciens font la moue depuis le budget. Les marges, disent-ils,
ne suffisent qu'à survivre. Les pharmacies restent néanmoins un
business florissant. Sinon comment expliquer qu'il y a six pharmacies
sur 500 mètres à la route St Jean à Quatre-Bornes ou huit établissements
entre la gare de Vacoas et la municipalité. Maurice compte 223 pharmacies
et le ministère de la Santé examine déjà de nombreuses demandes
pour l'ouverture de nouveaux établissements. "Une pharmacie est
un business, et notre objectif est de réaliser des profits", avoue
Ravin Gaya.
Tout comme les médecins, les pharmaciens bénéficient aussi des avantages
offerts par les grossistes. Un système de bonus en vigueur permet
aux pharmacies d'obtenir des produits gratuits sur chaque lot de
médicaments vendus.
"C'est immoral que les pharmaciens vendent au public ce qu'ils ont
reçu en cadeau alors des pauvres gens auraient pu en profiter",
déclare un médecin de Flacq.
Les médicaments obtenus en bonus sont bien souvent des produits
dont la date d'expiration n'est pas éloignée ou qui nécessitent
un marketing agressif auprès du public. Ce qui laisse planer un
doute quant au produit que conseille un pharmacien : le choix du
médicament est-il motivé par le bonus ou la commission de l'importateur
?
Aucun pharmacien ne répondra par l'affirmative à la question. Elle
sera esquivée sous prétexte que "les pharmaciens sont des professionnels
qui donnent le meilleur conseil au public, et gratuitement." Toutefois,
certains pharmaciens militent pour le droit de substituer les produits
prescrits par un médecin. Ils pourraient ainsi offrir des génériques
aux patients même si ceux-ci ont une ordonnance composée de médicaments
originaux. Sauf que les commissions des importateurs pourraient
influencer ce choix. Ce n'est donc pas surprenant que les médecins
ne voient pas cette solution d'un bon œil.
D'autant que dans beaucoup d'établissements, ce sont des commis
qui conseillent le public, alors que d'après la loi, un pharmacien
devrait être présent dans chaque pharmacie pendant les heures d'ouverture.
Ce petit jeu pourrait être très dangereux car le commis n'a pas
la formation requise.
"Il y a des brebis galeuses qui ternissent l'image de la profession
de par leur irresponsabilité", dit Ravin Gaya. Un médecin ajoute
: "Ces commis font beaucoup plus que conseiller le public. Certains
font des injections sans aucune formation préalable. Que feront-ils
si un patient tombe dans les pommes ou a une réaction contraire
au médicament ?"
Si le bras de fer entre pharmaciens et gouvernement a pris fin,
le consommateur continue à lutter avec son compte en banque pour
payer ses factures. Mais le pire est à venir : les pharmaciens menacent
de monnayer leurs conseils. En clair, il faudra le payer pour qu'il
recommande un médicament. Ce qui équivaudrait à retourner le couteau
dans la plaie, surtout dans le cas des personnes défavorisées. Alors
que les honoraires des médecins sont déjà trop élevés, ce sera au
tour des pharmaciens d'accélérer l'hémorragie du porte-monnaie…
Générique : loin des idées reçues
!
Générique. Le mot devient récurrent dès lors qu'on
parle du coût des médicaments. C'est aussi un terme qui ramène à
l'esprit toute une foule d'idées reçues. L'essentiel mérite donc
d'être souligné : le générique n'est en rien différent de son équivalent
griffé. Et il se vend à bien moins cher. La création d'un médicament
obéit à une procédure établie. Le laboratoire investit des millions
dans la recherche pour développer une nouvelle formule. Il la fait
breveter et dispose d'un certain laps de temps pour exploiter commercialement
cette formule. Cela peut aller de sept à dix ans, durant lesquels
le développeur doit affiner la recherche, passer à l'étape de la
fabrication et assurer le marketing. Une fois le moratoire expiré,
le procédé de fabrication tombe dans le domaine public : n'importe
quel laboratoire peut l'exploiter à condition qu'il ne change rien
à son intégrité.
La seule différence se situera au niveau du fabricant et de la marque.
Et puisque le nouvel exploitant n'aura pas eu à encourir les mêmes
frais pour mettre la formule à point, son coût de production sera
inférieur.
L'Inde et la Chine sont, à ce jour, les deux plus grands réservoirs
de matières premières pour médicaments. Cela fait d'eux, de l'Inde
en particulier, un des plus grands producteurs de génériques. Les
génériques européens sont souvent fabriqués dans des laboratoires
indiens ! Les génériques souffrent de certains préjugés : ils auraient
une efficacité moindre, ils prendraient plus de temps pour agir…
Or, leur fabrication suit rigoureusement le même procédé que l'original.
Les mêmes exigences de qualités leur sont imposées.
Les grossistes mauriciens importent directement des producteurs,
avec lesquels ils ont des accords d'exclusivité. Cela est vrai tant
pour le générique que pour les médicaments de marque. "La possibilité
de contrefaçon est donc nulle", explique Gérard Requin, directeur
des services pharmaceutiques du ministère de la Santé.
Il y a bien des importateurs qui transigent sur cette règle. Ils
s'approvisionnent auprès de quelques grossistes. Mais selon les
autorités, leur nombre a diminué. Les producteurs les ont intégrés
dans la filière normale, histoire de les neutraliser. Le ministère
de la Santé qui doit assurer le contrôle de qualité, tient un registre
des médicaments en circulation dans le pays ainsi que des importateurs
et fournisseurs. Il effectue des testes indépendants avec le soutien
de laboratoires privés. Il est prévu d'étoffer les dispositions
de vérifications à l'avenir.
La voie Internet
Prix trop élevés ? Il n'est plus nécessaire de
se déplacer jusqu'en pharmacie pour s'acheter ses médicaments. L'internet
offre maintenant la possibilité de s'en procurer, et à meilleur
marché de surcroît. L'e-pharmacy est un entrepôt basé à l'étranger
qui accepte les prescriptions et les commandes par fax ou Internet
et dispense les médicaments par courrier express ou par voie postale
normale. Il offre aussi un service-conseil. Les médicaments vendus
en ligne sont jusqu'à 50 % moins chers que ceux vendus en pharmacie
traditionnelle car les e-pharmacies arrivent à casser leurs prix
en réduisant au minimum leurs coûts d'opération (elles achètent
des quantités énormes de médicaments, obtenant ainsi les meilleurs
prix, emploient un personnel restreint et n'ont pas à payer les
frais de location ou taxes…)
La formule est adaptée à ceux qui suivent un traitement nécessitant
une consommation permanente. Ainsi, il devient économique d'acheter
un stock de six mois ou plus en ligne, et ce malgré les frais postaux
qui coûtent environ Rs 1 200 pour un colis ne pesant pas plus de
1,5 kilos. Certains fabricants vendent leurs produits directement
aux patients.
Le procédé est simple mais attention à l'arnaque. Les sites vendant
des médicaments poussent comme des champignons, et ce n'est qu'une
minorité qui est digne de confiance. Seuls ceux qui sont recommandés
par les organismes d'Etat et exigent une prescription médicale et
offrent des garanties sur les produits méritent considération. Les
pharmacies basées au Mexique ou au Pakistan sont à éviter, car il
n'est pas rare qu'ils offrent des produits périmés.
Pharmacies d'hôpital : l'option
gratuite
Le public aurait tort de croire qu'il est l'otage
des pharmaciens. Rien ne l'oblige à se soigner au prix du marché.
Le service public lui offre une option nettement moins chère puisque
gratuite. Les pharmacies d'hôpital souffrent d'une perception d'infériorité
en termes de qualité des médicaments offerts. Le consommateur, il
est vrai, les snobe souvent. Mais la tendance change, semble-t-il
: le ministère de la Santé constate un retour vers les hôpitaux.
A tel point, d'ailleurs, que cette administration crève cette année
son plafond d'importation. Une amélioration de la qualité des médicaments
dans les pharmacies d'hôpital y serait aussi pour quelque chose.
L'Etat a dépensé plus de Rs 250 millions sur l'achat de médicaments
l'année dernière. Cette année, ce budget devrait dépasser les Rs
300 millions - la dépréciation de la roupie contribue également
à faire grossir ce budget.
Tous les médicaments essentiels sont disponibles dans les hôpitaux,
soutient le ministère. Ce service offre également certains médicaments,
généralement très coûteux mais qui sont nécessaires au traitement
de maladies graves - tels les cancers ou le sida - ou encore à la
stabilisation des greffes. Le diabète et les complications qu'il
entraîne au bout de la chaîne (dysfonctionnement rénal, accidents
cardiovasculaires…) à eux seuls mobilisent des dizaines de millions
de roupies tous les ans. Pratiquement tous les diabétiques qui sont
traités à l'insuline s'en approvisionnent gratuitement à l'hôpital.
L'insuline coûte en moyenne Rs 700 le flacon de dix millilitres
et est de la meilleure qualité qui soit, dit le ministère.
La Santé se procure ses médicaments à travers un appel d'offres
international. Elle adhère à la prescription de l'Organisation mondiale
de la santé (OMS) et achète selon la Dénomination commune internationale
(DCI) du médicament et non selon sa marque. Les produits DCI sont
ce qu'on appelle les génériques. Le ministère de la Santé s'approvisionne
essentiellement en Europe, en Inde et en Afrique du Sud. En termes
de volume, l'Inde reste le plus gros fournisseur. Ce qui peut donner
lieu à certains préjugés. Le ministère rassure. Son système d'approvisionnement
est bien rodé, dit-il. Les laboratoires indiens avec lesquels le
pays traite sont connus des autorités. "Nous exerçons une extrême
vigilance dans la sélection des fournisseurs. Nous avons notre propre
vendor rating que nous communiquons au Central Tender Board", dit
un porte-parole du ministère de la Santé, qui dit traiter uniquement
avec les fournisseurs répertoriés au niveau de l'OMS et dont les
laboratoires souscrivent aux bonnes pratiques de fabrication.
Ryan COOPAMAH Shyama SOONDUR
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