Une étude scientifique menée au Cameroun sur des
malades du sida a montré l'efficacité d'une combinaison de trois
antirétroviraux génériques regroupés dans un seul comprimé. Les
chercheurs de l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS)
et de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), qui ont
collaboré pour réaliser cette étude, estiment que les résultats
obtenus prouvent qu'il ne doit plus y avoir d'obstacle à l'utilisation
de ce médicament générique pour lutter contre le sida dans les pays
en développement. Un point de vue qui ne manquera pas d'être débattu
lors de la 15ème Conférence internationale sur le sida qui doit
se dérouler à Bangkok du 11 au 16 juillet.
Moins cher, plus simple, aussi efficace : c'est
à cette conclusion que sont arrivés les chercheurs qui ont réalisé
un essai clinique sur une nouvelle trithérapie générique en comprimé.
Eric Delaporte (IRD), qui a coordonné les travaux, explique qu'après
six mois de traitement, 80% des patients avaient une charge virale
((l'analyse sanguine qui permet d'évaluer la diffusion du virus
dans l'organisme) indécelable. Selon lui, ce taux est "identique"
à ceux obtenus grâce à l'utilisation des antirétroviraux de marque
dans les pays du Nord. Même si cinq patients sont décédés, ces résultats,
publiés dans la revue scientifique britannique The Lancet, montrent
donc que le traitement est efficace.
Ce médicament générique réunit dans un seul comprimé des doses fixes
de trois antirétroviraux de deux classes différentes : lamivudine,
stavudine et névirapine. Il a été proposé pendant six mois à une
soixantaine de patients de deux hôpitaux de Yaoundé qui se trouvaient
à un stade avancé de la maladie. Le traitement, qui permet de stopper
le processus de réplication du virus, nécessite d'être pris deux
fois par jour. Il a été bien observé et toléré par la majorité des
malades. Ce qui a fait dire à Peter Piot, le directeur général d'Onusida,
que cette étude apporte" la démonstration finale, la pièce manquante
"qui prouve que rien ne s'oppose à l'utilisation de ce traitement
très simple d'emploi et moins cher puisqu'il coûte 20 dollars par
mois au lieu de 35 pour l'équivalent sous brevet. Jusqu'à présent,
en effet, aucune étude scientifique n'avait été réalisée pour valider
l'utilisation de ce médicament anti-sida pourtant déjà largement
utilisé en Inde ou en Thaïlande. Dans ce dernier pays, qui doit
accueillir la 15ème Conférence internationale sur le sida du 11
au 16 juillet, le gouvernement a décidé d'avoir une politique très
dynamique de lutte contre le VIH. Il a choisi de jouer à fond la
carte des génériques pour permettre la diffusion des médicaments
au risque de s'attirer les foudres des grandes firmes pharmaceutiques
anglo-saxonnes, qui défendent leurs brevets sur les molécules anti-sida.
Il a ainsi mis à la disposition des patients des traitements anti-rétroviraux
à moins de un dollar par jour.
Une "urgence sanitaire globale"
Le coût des médicaments est l'un des principaux
obstacles à l'accès des malades des pays pauvres aux traitements
disponibles pour lutter contre les effets du sida. Et sa diminution
fait partie des objectifs prioritaires des organisations internationales,
comme l'Organisation mondiale de la santé et Onusida, qui veulent
mettre les antirétroviraux à la disposition de trois millions de
porteurs du VIH des pays en développement d'ici 2005. Le débat sur
le prix des médicaments est aussi une source de conflit avec l'industrie
pharmaceutique qui réfute les arguments selon lesquels la quasi-absence
de diffusion des traitements au Sud est due au maintien de tarifs
trop élevés.
Les représentants des firmes pharmaceutiques estiment ainsi que
d'autres obstacles expliquent les difficultés d'accès aux traitements
dans les pays pauvres, parmi lesquels on peut citer l'absence de
structures de santé et de personnels compétents, mais aussi la situation
politique et économique fragile des pays concernés. Les laboratoires
avancent d'autre part qu'ils ont consenti, depuis quelques années,
des efforts considérables sur les tarifs des molécules et que dans
le prix de vente des médicaments aux patients "le coût industriel
n'est pas le coût final", comme l'explique Pierre Le Sourd, le président
du Leem (Les entreprises du médicament). Il faut lui ajouter notamment
les frais de transport et les taxes.
Du point de vue des industries pharmaceutiques, il ne faut pas non
plus oublier que l'argent rapporté par les brevets permet de financer
la recherche sans laquelle les antirétroviraux n'auraient jamais
pu être mis au point. C'est pourquoi les laboratoires alertent sur
les effets ricochets de la concurrence exercée par les producteurs
de génériques qui risquent de diminuer leurs bénéfices et donc leurs
budgets disponibles pour la recherche.
Même si une partie de cette argumentation n'est pas remise en cause,
les organisations internationales estiment tout de même que face
à une "urgence sanitaire globale", il est nécessaire de faire feu
de tout bois. Donc d'utiliser, si nécessaire, les génériques. On
estime en effet que seuls 400 000 malades des pays en développement
ont accès aux médicaments antisida, alors que 6 millions de personnes
en auraient besoin de toute urgence.
Valérie Gas
Lire l'article original : http://www.lepays.bf/quotidiens/lumieres2.asp?Numero=4996
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