La situation sanitaire en Côte
d'Ivoire inquiète. Dans cet entretien, le Directeur du Programme
Elargi de Vaccination (PEV) donne les raisons et dégage les perspectives.
Le Patriote : Monsieur le Directeur
Coordinateur, la Côte d'Ivoire s'apprête à entamer bientôt une grande
campagne de vaccination. Avant cette échéance, est-ce qu'on peut
savoir quelle est la situation du point de vue épidémiologique aujourd'hui
?
Dr Eddie
Ossohou Albert : Il faut dire que le Programme élargi de
vaccination de Côte d'Ivoire qui existe depuis 1978 essaie de lutter
au quotidien contre les épidémies. Et nous faisons la prévention
par la vaccination et surtout la surveillance des maladies à potentiel
épidémique que sont la rougeole, la polio, la fièvre jaune et le
tétanos chez la mère et chez l'enfant. La Côte d'Ivoire s'est engagée
avec la communauté internationale à aboutir à l'éradication de la
poliomyélite d'ici l'an 2005. Et cette politique a été bien suivie,
dans la mesure où depuis l'année 2000, nous avons noté un cas de
polio à Abengourou et on a plus enregistré de cas de polio. On était
bien parti pour aller vers la certification. Malheureusement, avec
les crises que le pays a connues depuis le 19 septembre 2002 qui
nous ont amenés à arrêter toutes nos activités dans les zones conflictuelles,
c'est-à-dire au Nord et à l'Ouest, aujourd'hui, nous nous trouvons
en face d'une flambée épidémique. Même dans les zones sous-contrôle
gouvernemental où nous n'avons pas arrêté nos activités, nous enregistrons
dix cas de polio depuis janvier 2004. Il faut déjà dire que, en
décembre 2003, nous avons enregistré notre premier cas à Duékoué.
Après Duékoué, il y a un cas d'abord à Louzoua dans la sous-préfecture
de Divo. Ensuite, il y a eu deux autres cas à San-Pedro, puis encore
un cas à Grand-Lahou. Après ces cas nous sommes venus à Abidjan,
nous avons enregistré un cas à Abobo au PK 18 et un autre cas à
Yopougon au quartier Port-Bouët 2. Après ces deux cas nous sommes
remontés à Daloa où nous avons enregistré encore un cas et nous
sommes redescendus à San-Pédro où nous avons enregistré deux cas
de polio sauvage et les derniers cas ont été retrouvés à Zénoula.
Depuis hier, nous venons d'avoir deux cas dont un à Boundiali et
un à Tengréla. Cela doit nous inquiéter dans la mesure où nous n'avons
pas eu de surveillance épidémologique. Vous allez sans doute vous
demander pourquoi vous avez enregistré des cas à Boundiali et à
Tingrela alors qu'ils se trouvent dans la même zone que Korhogo,
Man, Odienné. En fait, nous profitons des journées nationales de
lutte contre la polio pour la surveillance active sur le terrain.
Nous faisons des prélèvements suspects de tous cas de polio. Et
nous envoyons ces prélèvements au laboratoire. Donc nous sommes
en train de recevoir les résultats des prélèvements que nous avons
eus à faire lors du dernier passage, c'était en juillet. Nous avons
pour le moment, trois résultats dont la confirmation a été prononcée
(un à Zuénoula et un à Boundiali et l'autre à Tengrela). C'est pour
vous dire que la situation est grave. Cette année, il y a eu beaucoup
d'épidémies de rougeole. Et cette épidémie a sévi un peu partout,
même dans les zones sous contrôle rebelle mais, nous avons eu à
mener des ripostes vaccinales. En dehors de la rougeole, nous avons
même fait une intervention à Bouna pour freiner un peu l'épidémie
de la méningite sans oublier la rubéole qui fait ravage. Nous sommes
vraiment au bord de la catastrophe humanitaire. C'était prévisible
dans la mesure où nous avons cessé toute activité. Nous ne sommes
pas à l'abri. Voici un peu le profil épidémiologique de la Côte
d'Ivoire.
Le Patriote : Mais avec la grave
crise que nous traversons, quels sont en gros les obstacles qui
ont un peu freiné les retombées de votre action ?
Dr Eddie
Ossohou Albert : Il faut dire qu'au début, des problèmes
de sécurité se posaient. Mais avec la communauté internationale
c'est-à-dire l'UNICEF et l'OMS, nous sommes allés sur le terrain
et petit à petit, les Forces nouvelles ont adhéré à notre politique
de vaccination des enfants, si bien qu'ils ont accepté nos éléments
et depuis février où nous n'avons fait des campagnes, nous avons
noté aucun cas d'insécurité. Tous nos volontaires, tous nos vaccinateurs
n'ont pas eu de problème. C'est pour vous dire qu'au niveau de la
santé l'adhésion est aussi bien dans la zone ex-rebelle que dans
les zones sous contrôle gouvernemental. La santé peut donc être
un élément catalyseur pour la réconciliation nationale. Et je pense
que sur ce plan, des gens nous ont aidé pendant toute notre activité.
Lorsque le ministre d'Etat, ministre de la Santé et de la Population,
le Docteur Albert Toikeusse Mabri a eu à conduire une mission de
mobilisation dans ces zones, lors de la campagne de vaccination
contre la polio, nous avons eu à relever un certain nombre problèmes.
Car nous n'avons pas assez de personnel dans ces zones-là. Au niveau
des équipements, beaucoup ont été saccagés ou emportés. Et, il faut
dire qu'au niveau des médicaments, surtout au niveau des vaccins,
nous avions un problème de conservation puisque les chambres froides
à l'époque avaient été saccagées ou les groupes électrogènes volés.
Mais depuis février, où nous nous sommes rendus sur le terrain,
nous avons fait le point. Et beaucoup d'améliorations ont été apportées.
Si bien qu'on a pu mettre en marche toutes les chambres froides.
Ce qui a permis d'ailleurs de pouvoir faire les vaccinations là-bas
puisque ces chambres froides nous ont permis de conserver nos vaccins.
Et aujourd'hui, avec l'UNICEF nous avons eu à mettre en place un
équipement minimum au niveau de la chaîne de froid et donc des réfrigérateurs.
Nous sommes en train, petit à petit, de renouveler le matériel sur
le terrain. Et Monsieur le ministre de la Santé et moi-même sommes
partis jusqu'au Luxembourg où nous avons eu un don 400 millions
de matériels de chambres froides. Tous ces matériels sont arrivés,
ils sont au Port. Quand nous aurons ces matériels, nous allons les
acheminer au Nord et à l'Ouest pour essayer de remplacer la chaîne
de froid. Il y a aussi l'UNICEF et l'Union Européenne qui viennent
de nous donner 22 véhicules 4x4 double cabine que nous allons distribuer
aux Directeurs départementaux de ces régions pour leur permettre
d'être un peu plus opérationnel sur le terrain parce que depuis
février, les responsables sont sur le terrain effectivement, mais
il leur faut quand même des moyens de locomotion. Il faut dire que
nous n'avons pas encore repris totalement toutes nos activités.
Le Patriote : M. Le Directeur,
malgré la volonté politique du gouvernement et l'implication de
votre ministre et des partenaires, vous donnez l'alerte. Pourquoi
?
Dr Eddie
Ossohou Albert : Nous déplorons des cas de refus qui ont
amené M. le ministre à faire des réunions un peu partout, même dans
les Mosquées. Il est même aller en Iran et en octobre, le vice-ministre
iranien sera là avec des Imams pour discuter de tous ces aspects
avec nos leaders religieux parce que dans ce pays ils ont éradiqué
la polio effectivement. C'est pour vous dire que tous ces refus
relèvent souvent de l'ignorance. Nous avons même déploré des refus
de certains intellectuels à Abidjan ici à Cocody. Certains médecins
à Cocody ont aussi refusé parce que les gens estiment que leurs
enfants ont été bien suivis. Ils ont eu les trois dosages nécessaires.
Donc, ils ne comprennent pas pourquoi on doit leur donner une dose
supplémentaire. Mais le problème qui se pose c'est que pour la polio,
le vaccin est très fragile. Et les vaccins que nous utilisons ne
contiennent pas la pastille de contrôle qui nous permet de voir
si le vaccin est avarié ou pas.
Ces vaccins doivent être conservés à moins de 8 degré. Et cela ne
tarde pas à virer.
Donc on peut vacciner les enfants, mais vous n'avez pas les moyens
de savoir que ces vaccins-là sont de bonne qualité ou pas. Nous
demandons au niveau des centres de santé de relever les températures
matin et soir. Mais souvent, on ne le fait pas. Donc les campagnes,
sont des occasions que nous donnons aux enfants de pouvoir mieux
se protéger. Ça n'a aucune incidence sur la santé de l'enfant. Au
contraire, ça renforce la protection de l'enfant. Ça, c'est le premier
élément technique que je dois vous dire.
Le deuxième élément technique c'est que nous vivons dans un environnement
parasitaire. Je ne suis pas sûr qu'en Côte d'Ivoire, les familles
déparasitent leurs enfants tous les trois mois ou tous les six mois.
Et vous êtes sans ignorer que le parasite dans le tube intestinal
détruit une partie des aliments, y compris les vaccins. En ce qui
concerne la polio, c'est peut être 1/4 du volume des gouttes qui
va aller dans l'organisme. Il faut que la population préserve vraiment
les enfants.
Mamadou Doumbes, Coll : Dao M.
(Stagiaire)
Lire l'article original : http://lepatriote.net/lpX3.asp?action=lire&rname=Société&id=12636
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