Les guérisseurs
sénégalais, encadrés par l’Association
pour la promotion de la médecine traditionnelle (Prometra),
exigent le vote d’une loi au Parlement, qui autorisera et
réglementera l’exercice de la profession au Sénégal.
Selon Prometra, la profession de tradipraticien est déjà
régie par une législation dans certains pays d’Afrique
de l’ouest, comme le Mali et le Burkina Faso. «Seul
le vote de cette loi peut nous aider à séparer les
charlatans des véritables tradipraticiens. Les charlatans
sont les personnes qui se disent tradipraticiens et qui vont à
la radio pour dire qu’ils peuvent tout soigner et sont même
capables de ressusciter un mort. Trop c’est trop», déclare
à Ips, Adja Boury Niang, présidente de Prometra, une
Organisation non gouvernementale (Ong) basée à Dakar.
L’Etat sénégalais a proclamé, depuis
de longues années, sa volonté d’intégrer
la médecine traditionnelle dans le système de santé
publique. Mais la concrétisation de cette politique tarde
encore à se réaliser, au grand désespoir des
guérisseurs traditionnels. Selon un recensement effectué
cette année par le ministère de la Santé dans
8 des 11 régions du Sénégal, on dénombre
environ 630 tradithérapeutes. Mais il n’existe, pour
l’instant, qu’un projet de loi qui a été
validé, depuis mars 2002, par un atelier national de consensus
réunissant tous les acteurs de la médecine traditionnelle
et soumis à l’appréciation des autorités
gouvernementales avant d’être transmis à l’Assemblée
nationale.
En avril 2003, ce projet de loi sur la médecine traditionnelle
est passé en commission d’adoption au cabinet du Premier
ministre Macky Sall. Et depuis lors, les guérisseurs traditionnels
attendent qu’il soit déposé sur la table du
Parlement. Selon une source proche de la Primature, le temps pris
pour l’adoption de la loi s’expliquerait par le recensement
préalable de tous les guérisseurs dans l’ensemble
du pays.
Conseil pour ordre
Pour Alioune Aw, chef du bureau de médecine
traditionnelle à la Direction de la santé et de la
prévention, le vote de cette loi apportera des changements
de fond. Premièrement, explique-t-il, un Conseil national
des tradipraticiens (Cnt) sera mis en place et fonctionnera comme
l’Ordre des médecins (l’association des médecins
agréés dans la médecine moderne). Le Cnt aura
pour mission de prendre en charge les conseils d’éthique,
de déontologie (le respect des règles établies,
des droits et devoirs), et de reconnaissance des tradipraticiens.
Ensuite, la loi interdira toute publicité mensongère
et sanctionnera les contrevenants, ajoute Aw.
Le vote de la loi imposera également à tout guérisseur
- voulant exercer le métier - de posséder une carte
professionnelle officielle délivrée par le Cnt. Une
technique d’exercice et d’utilisation de la médecine
traditionnelle sera également définie par cette loi.
Par exemple, explique Aw, les guérisseurs seront informés
sur les techniques de catalogage des poudres et racines à
prescrire aux malades. Ils seront également sensibilisés
sur les dosages des poudres et racines et les risques découlant
de l’association de certaines plantes avec des médicaments
pharmaceutiques.
«Il est urgent de créer un cadre juridique à
la médecine traditionnelle pour assainir le secteur qui est
investi, depuis quelque temps, par des charlatans qui ont été
chassés de leurs pays respectifs à cause de leurs
pratiques néfastes à la santé publique»,
souligne Adja Boury Niang, la présidente de Prometra. Pour
les responsables de Prometra, la légalisation et la réglementation
de la médecine traditionnelle ouvriront une nouvelle ère
dans la prise en charge de la santé des populations. Selon
Gilbert Souleymane, secrétaire général de l’Association
nationale des tradipraticiens du Sénégal, «seul
un cadre juridique permettra à la médecine traditionnelle
de travailler au même titre que la médecine moderne
conventionnelle». «Nous protestons contre le charlatanisme
qui gangrène notre métier et réclamons une
loi pour sécuriser les populations», insiste Souleymane.
Dr Sadia Faty, pharmacien et membre de Prometra, partage cet avis,
estimant que «le vote de cette loi pourra apporter une riposte
vigoureuse au charlatanisme qui gangrène le secteur de la
médecine traditionnelle». «La médecine
traditionnelle a ses limites. Elle ne soigne pas toutes les maladies,
contrairement à ce que prétendent certains guérisseurs
qui ne sont en fait que des charlatans. Il faut les poursuivre pour
publicité mensongère d’autant plus qu’ils
mettent en danger la vie des populations», indique Dr Faty.
Mensonge, magique
Ces accusations s’adressent principalement
à des groupes de guérisseurs venus du Nigeria, et
qui ont envahi les radios privées de Dakar de spots publicitaires
vantant leurs pouvoirs de guérison. D’autres guérisseurs
- sénégalais ou ressortissants d’autres pays
africains - font également de la publicité pour leurs
médicaments, mais leurs spots sont moins envahissants.
Les guérisseurs se font appeler «Dr Kékéré,
Dr Fatiha, Dr Teni dit papa à la marmite magique» et
affirment pouvoir guérir toutes sortes de maladies allant
du Sida, à l’impuissance sexuelle en passant par le
diabète et les rhumatismes. Par cupidité, une bonne
partie de la presse sénégalaise s’était
laissée embarquer dans cette supercherie, en dépit
des mises en garde de l’Ordre des médecins et des injonctions
du Haut conseil de l’audiovisuel (Hca) - l’instance
officielle de régulation des médias au Sénégal.
Pour l’instant, les autorités déclarent ne pas
pouvoir sévir contre ces pratiques à cause du vide
juridique actuel. Par contre, des Sénégalais se sont
mobilisés pour les dénoncer au cours des émissions
radiophoniques et dans la presse écrite. Pour dénoncer
la pratique de la médecine par les tradipraticiens nigérians,
une marche de protestation a été initiée le
4 septembre par des guérisseurs traditionnels regroupés
au sein de Prometra, à travers les principales artères
de la capitale sénégalaise, Dakar.
La manifestation avait également pour but d’attirer
l’attention des autorités sur l’urgence de mettre
en place un cadre juridique pour la médecine traditionnelle.
Initiée à l’occasion de la célébration
de la deuxième Journée africaine de la médecine
traditionnelle, la marche a enregistré la participation de
Saltigués (guérisseurs traditionnels sérères,
un groupe sociolinguistique du centre du Sénégal),
ainsi que de nombreux tradipraticiens qui ont scandé ce slogan
: «Charlatans hors de nos rangs.»
A la fin de la manifestation, les guérisseurs traditionnels
ont remis un mémorandum au représentant de l’Assemblée
nationale, dans lequel ils invitent les élus du peuple à
voter la loi sur la médecine traditionnelle. Les guérisseurs
étrangers ne sont pas entrés illégalement au
Sénégal. Ils affirment avoir déjà séjourné
dans d’autres pays africains tels que la Mauritanie, le Togo,
le Bénin, le Mali, la Gambie, avant d’arriver au Sénégal.
Ils se sont installés dans la banlieue dakaroise, dans un
centre évangélique du quartier de Yeumbeul. Les guérisseurs
nigérians sont assistés dans leur travail par des
traducteurs occasionnels recrutés parmi des élèves
et étudiants. Depuis la marche de Prometra, c’est le
silence total chez les guérisseurs étrangers qui refusent
de répondre aux questions des journalistes. Ils ont même
cessé de passer leur publicité sur les radios privées.
Leur clientèle aurait baissé également parmi
les populations à cause de la réaction de Prometra.
Réalités
Un grand nombre de la population africaine utilise
la médecine traditionnelle pour des soins de santé.
Le recours à la médecine traditionnelle serait également
lié à la pauvreté qui fait que plus de la moitié
de la population africaine ne peut pas accéder à la
médecine moderne assez coûteuse, selon des médecins.
Selon le Rapport 2003 sur le développement humain du Programme
des Nations-Unies pour le développement, 65 % de Sénégalais
vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec moins d’un
dollar (un peu plus de 500 francs Cfa) par jour. (Ce pourcentage
n’a pas évolué depuis lors). Dr Hervé
Delauture, de l’Ong Enda Tiers monde, basée à
Dakar, affirme que la médecine traditionnelle fait partie
intégrante des réalités socioculturelles africaines.
Malheureusement, le colonisateur ne l’avait pas reconnue en
tant que telle, affirme-t-il.
Enda Tiers Monde s’occupe essentiellement de la promotion
économique et sociale de populations déshéritées.
Le colonisateur avait inculqué dans l’esprit des populations
africaines que la médecine traditionnelle n’avait aucune
valeur. Aujourd’hui encore, beaucoup d’Africains, même
parmi les dirigeants, continuent d’assimiler la médecine
traditionnelle comme celle des pauvres, des ignorants. Et sa reconnaissance
officielle est un long combat engagé par les tradipraticiens
sénégalais regroupés au sein de Prometra.
La reconnaissance du pouvoir des guérisseurs permettra d’empêcher
les charlatans d’officier parce que ces derniers dévalorisent
la médecine traditionnelle, explique Delauture. Il préconise
l’implantation des cases de santé de la médecine
traditionnelle à côté des services hospitaliers
pour assurer une plus grande efficacité de la couverture
sanitaire en Afrique.
Le métier tradipraticien ne s’apprend pas, mais il
se transmet de génération en génération
dans certaines familles qui se consacrent à cela. Les guérisseurs
traditionnels prescrivent généralement des écorces
et feuilles de plantes, de la poudre et des amulettes (gris-gris),
à la différence de la médecine moderne qui
prescrit des médicaments produits par des laboratoires. Ils
contribuent souvent à soulager les populations, notamment
celles qui sont démunies.
Réalisée par Abdou FAYE - Ips
Lire l'article original : http://www.lequotidien.sn/archives/article.cfm?article_id=18413&index_edition=543
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