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Tradipraticiens : Pour une loi contre les charlatans- Le quotidien - Sénégal - 13/10/2004

Les guérisseurs sénégalais, encadrés par l’Association pour la promotion de la médecine traditionnelle (Prometra), exigent le vote d’une loi au Parlement, qui autorisera et réglementera l’exercice de la profession au Sénégal. Selon Prometra, la profession de tradipraticien est déjà régie par une législation dans certains pays d’Afrique de l’ouest, comme le Mali et le Burkina Faso. «Seul le vote de cette loi peut nous aider à séparer les charlatans des véritables tradipraticiens. Les charlatans sont les personnes qui se disent tradipraticiens et qui vont à la radio pour dire qu’ils peuvent tout soigner et sont même capables de ressusciter un mort. Trop c’est trop», déclare à Ips, Adja Boury Niang, présidente de Prometra, une Organisation non gouvernementale (Ong) basée à Dakar.
L’Etat sénégalais a proclamé, depuis de longues années, sa volonté d’intégrer la médecine traditionnelle dans le système de santé publique. Mais la concrétisation de cette politique tarde encore à se réaliser, au grand désespoir des guérisseurs traditionnels. Selon un recensement effectué cette année par le ministère de la Santé dans 8 des 11 régions du Sénégal, on dénombre environ 630 tradithérapeutes. Mais il n’existe, pour l’instant, qu’un projet de loi qui a été validé, depuis mars 2002, par un atelier national de consensus réunissant tous les acteurs de la médecine traditionnelle et soumis à l’appréciation des autorités gouvernementales avant d’être transmis à l’Assemblée nationale.
En avril 2003, ce projet de loi sur la médecine traditionnelle est passé en commission d’adoption au cabinet du Premier ministre Macky Sall. Et depuis lors, les guérisseurs traditionnels attendent qu’il soit déposé sur la table du Parlement. Selon une source proche de la Primature, le temps pris pour l’adoption de la loi s’expliquerait par le recensement préalable de tous les guérisseurs dans l’ensemble du pays.

Conseil pour ordre

Pour Alioune Aw, chef du bureau de médecine traditionnelle à la Direction de la santé et de la prévention, le vote de cette loi apportera des changements de fond. Premièrement, explique-t-il, un Conseil national des tradipraticiens (Cnt) sera mis en place et fonctionnera comme l’Ordre des médecins (l’association des médecins agréés dans la médecine moderne). Le Cnt aura pour mission de prendre en charge les conseils d’éthique, de déontologie (le respect des règles établies, des droits et devoirs), et de reconnaissance des tradipraticiens. Ensuite, la loi interdira toute publicité mensongère et sanctionnera les contrevenants, ajoute Aw.
Le vote de la loi imposera également à tout guérisseur - voulant exercer le métier - de posséder une carte professionnelle officielle délivrée par le Cnt. Une technique d’exercice et d’utilisation de la médecine traditionnelle sera également définie par cette loi. Par exemple, explique Aw, les guérisseurs seront informés sur les techniques de catalogage des poudres et racines à prescrire aux malades. Ils seront également sensibilisés sur les dosages des poudres et racines et les risques découlant de l’association de certaines plantes avec des médicaments pharmaceutiques.
«Il est urgent de créer un cadre juridique à la médecine traditionnelle pour assainir le secteur qui est investi, depuis quelque temps, par des charlatans qui ont été chassés de leurs pays respectifs à cause de leurs pratiques néfastes à la santé publique», souligne Adja Boury Niang, la présidente de Prometra. Pour les responsables de Prometra, la légalisation et la réglementation de la médecine traditionnelle ouvriront une nouvelle ère dans la prise en charge de la santé des populations. Selon Gilbert Souleymane, secrétaire général de l’Association nationale des tradipraticiens du Sénégal, «seul un cadre juridique permettra à la médecine traditionnelle de travailler au même titre que la médecine moderne conventionnelle». «Nous protestons contre le charlatanisme qui gangrène notre métier et réclamons une loi pour sécuriser les populations», insiste Souleymane.
Dr Sadia Faty, pharmacien et membre de Prometra, partage cet avis, estimant que «le vote de cette loi pourra apporter une riposte vigoureuse au charlatanisme qui gangrène le secteur de la médecine traditionnelle». «La médecine traditionnelle a ses limites. Elle ne soigne pas toutes les maladies, contrairement à ce que prétendent certains guérisseurs qui ne sont en fait que des charlatans. Il faut les poursuivre pour publicité mensongère d’autant plus qu’ils mettent en danger la vie des populations», indique Dr Faty.

Mensonge, magique

Ces accusations s’adressent principalement à des groupes de guérisseurs venus du Nigeria, et qui ont envahi les radios privées de Dakar de spots publicitaires vantant leurs pouvoirs de guérison. D’autres guérisseurs - sénégalais ou ressortissants d’autres pays africains - font également de la publicité pour leurs médicaments, mais leurs spots sont moins envahissants.
Les guérisseurs se font appeler «Dr Kékéré, Dr Fatiha, Dr Teni dit papa à la marmite magique» et affirment pouvoir guérir toutes sortes de maladies allant du Sida, à l’impuissance sexuelle en passant par le diabète et les rhumatismes. Par cupidité, une bonne partie de la presse sénégalaise s’était laissée embarquer dans cette supercherie, en dépit des mises en garde de l’Ordre des médecins et des injonctions du Haut conseil de l’audiovisuel (Hca) - l’instance officielle de régulation des médias au Sénégal. Pour l’instant, les autorités déclarent ne pas pouvoir sévir contre ces pratiques à cause du vide juridique actuel. Par contre, des Sénégalais se sont mobilisés pour les dénoncer au cours des émissions radiophoniques et dans la presse écrite. Pour dénoncer la pratique de la médecine par les tradipraticiens nigérians, une marche de protestation a été initiée le 4 septembre par des guérisseurs traditionnels regroupés au sein de Prometra, à travers les principales artères de la capitale sénégalaise, Dakar.
La manifestation avait également pour but d’attirer l’attention des autorités sur l’urgence de mettre en place un cadre juridique pour la médecine traditionnelle. Initiée à l’occasion de la célébration de la deuxième Journée africaine de la médecine traditionnelle, la marche a enregistré la participation de Saltigués (guérisseurs traditionnels sérères, un groupe sociolinguistique du centre du Sénégal), ainsi que de nombreux tradipraticiens qui ont scandé ce slogan : «Charlatans hors de nos rangs.»
A la fin de la manifestation, les guérisseurs traditionnels ont remis un mémorandum au représentant de l’Assemblée nationale, dans lequel ils invitent les élus du peuple à voter la loi sur la médecine traditionnelle. Les guérisseurs étrangers ne sont pas entrés illégalement au Sénégal. Ils affirment avoir déjà séjourné dans d’autres pays africains tels que la Mauritanie, le Togo, le Bénin, le Mali, la Gambie, avant d’arriver au Sénégal. Ils se sont installés dans la banlieue dakaroise, dans un centre évangélique du quartier de Yeumbeul. Les guérisseurs nigérians sont assistés dans leur travail par des traducteurs occasionnels recrutés parmi des élèves et étudiants. Depuis la marche de Prometra, c’est le silence total chez les guérisseurs étrangers qui refusent de répondre aux questions des journalistes. Ils ont même cessé de passer leur publicité sur les radios privées. Leur clientèle aurait baissé également parmi les populations à cause de la réaction de Prometra.

Réalités

Un grand nombre de la population africaine utilise la médecine traditionnelle pour des soins de santé. Le recours à la médecine traditionnelle serait également lié à la pauvreté qui fait que plus de la moitié de la population africaine ne peut pas accéder à la médecine moderne assez coûteuse, selon des médecins. Selon le Rapport 2003 sur le développement humain du Programme des Nations-Unies pour le développement, 65 % de Sénégalais vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec moins d’un dollar (un peu plus de 500 francs Cfa) par jour. (Ce pourcentage n’a pas évolué depuis lors). Dr Hervé Delauture, de l’Ong Enda Tiers monde, basée à Dakar, affirme que la médecine traditionnelle fait partie intégrante des réalités socioculturelles africaines. Malheureusement, le colonisateur ne l’avait pas reconnue en tant que telle, affirme-t-il.
Enda Tiers Monde s’occupe essentiellement de la promotion économique et sociale de populations déshéritées. Le colonisateur avait inculqué dans l’esprit des populations africaines que la médecine traditionnelle n’avait aucune valeur. Aujourd’hui encore, beaucoup d’Africains, même parmi les dirigeants, continuent d’assimiler la médecine traditionnelle comme celle des pauvres, des ignorants. Et sa reconnaissance officielle est un long combat engagé par les tradipraticiens sénégalais regroupés au sein de Prometra.
La reconnaissance du pouvoir des guérisseurs permettra d’empêcher les charlatans d’officier parce que ces derniers dévalorisent la médecine traditionnelle, explique Delauture. Il préconise l’implantation des cases de santé de la médecine traditionnelle à côté des services hospitaliers pour assurer une plus grande efficacité de la couverture sanitaire en Afrique.
Le métier tradipraticien ne s’apprend pas, mais il se transmet de génération en génération dans certaines familles qui se consacrent à cela. Les guérisseurs traditionnels prescrivent généralement des écorces et feuilles de plantes, de la poudre et des amulettes (gris-gris), à la différence de la médecine moderne qui prescrit des médicaments produits par des laboratoires. Ils contribuent souvent à soulager les populations, notamment celles qui sont démunies.
Réalisée par Abdou FAYE - Ips

Lire l'article original : http://www.lequotidien.sn/archives/article.cfm?article_id=18413&index_edition=543


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