Les succès enregistrés dans la prise en charge de la tuberculose au Sénégal sont masqués par les abandons précoces chez les malades soumis aux huit mois de “ traitement direct observé ”.
Ibou S., 36 ans, n’avait pas la chance de disposer de suffisamment d’anticorps capables de tuer le germe du bacille de Koch lorsqu’il a contracté la tuberculose dans une localité située à une centaine de kilomètres de Dakar.
Aujourd’hui guéri, il en garde toutefois le profond regret d’avoir arrêté son traitement plus tôt que prévu, alors qu’il ne se sentait que mieux.
Aussi, avait-il voulu profiter de sa santé, certes fragile, pour reprendre son poste dans un garage de mécanique de sa ville natale.
“Après l’hostilité des parents, je décidais de me soigner jusqu’à guérison. C’était dur à vivre. Je n’avais plus le soutien de la famille et j’étais seul dans une pièce isolée de la concession, près du poulailler ”, confie-t-il, content du coût modique du traitement médical.
Les succès obtenus dans la lutte contre la tuberculose - attrapée tous les ans par près de 10.000 Sénégalais de quartiers populeux et sales - sont masqués par les abandons précoces chez les malades soumis aux huit mois de “ traitement direct observé ”.
Le taux de guérison de la tuberculose est de 63 pour cent en 2005 contre 53 pour cent quatre ans plus tôt, se félicite Sylla Thiam, médecin épidémiologiste, collaborateur de l’Institut de recherche pour le développement (Ird-Sénégal).
Le Dr Thiam s’exprimait lundi en marge du colloque régional sur le thème “ Quelles stratégies pour une meilleure observance du traitement de la tuberculose pulmonaire en Afrique subsaharienne ”, regroupant des délégués de 10 pays francophones d’Afrique de l’Ouest à Dakar.
Aussi, il soulève le cas des patients dits “ perdus de vue ”. Pour ceux-ci qui ont abandonné le Traitement direct observé (Tdo) quotidiennement dans les centres de Santé, le taux a baissé de 25 pour cent à 11 pour cent sur la même période de 2001 à 2005. C’est le taux moyen en Afrique, “ avec des extrêmes de 1 à 40 ”, a-t-il précisé.
En Afrique, le taux de guérison des tuberculeux se situe entre 50 et 75 pour cent. Ce continent concentre un quart des 8 millions d’habitants de la planète qui contractent chaque année la maladie. Deux millions en meurent dans le monde d’aujourd’hui et 36 millions dans 15 ans.
L’année dernière, 5.000 nouveaux cas ont été enregistrés à Dakar, qui représente 50 pour cent du nombre total de tuberculeux recensés au Sénégal.
Maladie urbaine ...
“La tuberculose est une maladie urbaine. Le germe est communautaire et fréquent en zone urbaine ”, indique le Dr Christian Liendhardt, coordonnateur du programme de lutte contre la tuberculose à l’Ird.
“Dakar déclare plus de cas que les autres régions au Programme national de lutte contre la tuberculose. A Dakar, il y a beaucoup plus de promiscuité, de bidonvilles et de manque d’hygiène. Ce qui favorise la transmission du germe”, explique le Docteur Ibrahima Seck de l’Institut de santé et développement (Ised) de l’Ucad (Université Cheikh Anta Diop). Cependant, a signalé le Dr Liendhardt, seule une personne sur les dix infectées “va faire la maladie”. Les autres, parce qu’ils ont un système immunitaire fort, sont capables de garder le germe “à l’échelle d’une vie ”.
Sur recommandation de l’Organisation mondiale de la santé, le dépistage de la tuberculose est gratuit. “Le traitement doit l’être aussi ”, estime le Dr Liendhardt, tandis que son collègue Sylla Thiam évalue ce coût, sur le terrain, dans cette fourchette : 300 et 2.000 F Cfa.
“Après la détection, on ne paie rien pour le traitement direct observé”, selon le Dr Thiam, expliquant cette méthode par le fait qu’on donne gratuitement les médicaments tous les jours au malade par l’intermédiaire d’un agent médical et au service de Santé.
La gratuité du traitement médical, pendant huit mois en Afrique, n’épargne pas le malade de frais liés à la prise charge du malade soucieux de sa guérison. Parmi ces coûts indirects, il y a le transport qui peut revenir à 5.300 FCfa à Dakar par jour pour un patient.
“La maladie affecte une vie sociale et professionnelle, avec la suspension des activités pendant deux mois (au Sénégal) ”, indique la socio-anthropologue, le Dr Fatou Kiné Hanne, qui établit le coût global à 678.000 FCfa.
Parfois, les tuberculeux perdent leur emploi pendant leur traitement. “ La maladie introduit un point de rupture dans la vie des individus, qui basculent dans la pauvreté ”, ajoute le Dr Hanne, auteur d’une étude sur la question commanditée par l’Ird et présentée au colloque de Dakar.
“Un patient pauvre, sans ressource, qui n’a pas les moyens de venir tous les jours prendre son traitement, même s’il est gratuit, ne peut pas supporter les coûts indirects. Ce sont huit mois pendant lesquels il abandonne son travail”, renchérit le Dr Christian Liendhardt.
Au mieux, souligne-t-il, l’arrêt de travail est d’un à deux mois de traitement au Sénégal. Après les deux premiers mois de suivi de “ choc ”, le malade peut être en mesure de reprendre son poste, en essayant de vaincre d’autres contraintes à sa guérison.
... Stigmatisée, stigmatisante
“La tuberculose pulmonaire est une maladie stigmatisée et stigmatisant”, selon le Dr Hanne, qui déplore, par-là, le comportement et la pratique du personnel de Santé affecté à ce service dédié aux tuberculeux.
A la peur d’attraper la maladie, s’ajoutent de “l’autoritarisme sur les patients”, ainsi que des “messages démotivant qui ne favorisent pas une approche négociée du traitement à travers laquelle le malade sent qu’il peut être guéri, s’il y met du sien ”, déplore le chargé de programme de l’Ird.
“Si la stigmatisation n’est pas réglée, est-ce que le malade de tuberculose aura toujours besoin que le traitement soit décentralisé et rapproché de lui”, se demande Samba Cor Sarr, chef de la division Etude et recherche, au ministère de la Santé et de la Prévention médicale du Sénégal.
Il plaide pour la poursuite de la “synergie pluridisciplinaire au niveau du traitement et non pas seulement dans la recherche”, tout en bannissant “ le stigmat de l’approche des Grandes endémies dans l’espace médical où le malade (tuberculeux) est isolé et non soigné dans son contexte ”.
“Quelqu’un à qui l’on a confié le traitement des tuberculeux, souvent ce sont pour des raisons disciplinaires. Ces malades ne sont pas reçus en même temps que les autres et tout cela contribue à la stigmatisation ”, remarque le Docteur Seck de l’Ised.
Dans ces milieux professionnels, regrette-t-il, la stigmatisation est poussée à l’extrême : “le service (des tuberculeux) est isolé, souvent accolé à la morgue”.
SERIGNE ADAMA BOYE
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original : http://www.lesoleil.sn/article.php3?id_article=5524