Alors
que le Fonds global d'action contre le sida, la tuberculose et le
paludisme s'est réuni pour la première fois à
Genève, en janvier 2002, Peter Piot, directeur exécutif
d'Onusida, Programme commun des Nations Unies sur le VHVSIDA, fait
le point sur l'épidémie qui ravage l'Afrique. Accès
aux traitements, engagement des autorités politiques et religieuses,
financements de programmes sont autant de questions sur lesquelles
des progrès ont été réalisés.
Même si sur le terrain le fléau progresse toujours
et tue de plus en plus.
Quelle
somme a été récoltée par le Fonds mondial
contre le sida ? Qu'allez-vous faire de l'argent ? Les 700 millions
de dollars dont le Fonds dispose pour cette année sont très
loin des besoins des pays pauvres. Mais il faut quand même
dire que jusqu'ici on n'a jamais donné autant d'argent pour
le sida ou pour un problème de santé. C'est notre
responsabilité de faire en sorte que ces fonds arrivent là
où ils feront la différence. C'est ça le grand
défi. Au-delà du débat sur le pourcentage des
ressources qui doit aller aux traitements, il y en a un autre sur
la répartition des fonds entre le sida, le paludisme, et
la tuberculose. Nous ne sommes pas d'accord pour que chaque maladie
ait un tiers.
Cela
n'est pas justifié par les besoins objectifs, ni la capacité
d'absorption qui est énorme en ce qui concerne la lutte contre
le sida, avec notamment les associations. L'action d'Onusida se
situe au niveau de l'évaluation technique des programmes.
Mais aussi au niveau de la planification stratégique, de
l'aide aux pays pour préparer les programmes qu'ils vont
soumettre au Fonds, les évaluer, faire en sorte qu'il y ait
des mécanismes pour transférer les fonds de la capitale
à l'endroit où ils sont nécessaires. C'est
là que le bât blesse.
A-t-on
fait des progrès dans l'accès aux médicaments
en Afrique ?
Il
y a eu beaucoup de progrès sur le plan de la réduction
du prix des médicaments, de l'acceptation du traitement comme
partie intégrante de la lutte contre le sida. On a, par contre,
fait des progrès très limités sur le terrain.
Dans les capitales, il y a dans chaque pays un centre où
l'on peut aller, si on a l'argent, pour se faire traiter. De plus
en plus d'entreprises de pays d'Afrique australe (Afrique du Sud,
Zimbabwe, Namibie, Bostwana) paient le traitement de leurs salariés.
Il y a des progrès, mais qui ne concernent que quelques milliers
de personnes. Il y a donc maintenant une double question à
résoudre. D'un côté, assurer le financement
qui doit venir de l'extérieur pour les pays les plus pauvres
d'Afrique. De l'autre, investir dans les services de santé
en dehors des capitales.
Il
y a aussi un pays où nous sommes en train de mettre sur pied
le traitement par antirétroviraux à l'échelle
nationale, c'est le Bostwana. Cest un petit pays d'un million
et demi d'habitants, mais où le taux de contamination de
la population est de 30 %. C'est un test important. Si ça
ne marche pas, ce sera une catastrophe pour les autres pays africains.
Vous
insistez sur l'importance du leadership dans la lutte
contre le sida, quelle influence pouvez-vous avoir sur les chefs
d'Etat africains pour les inciter à agir ?
Objectivement,
je crois que nous avons pu influencer l'agenda des leaders politiques
en Afrique et ailleurs. C'était mon objectif majeur lorsque
l'on a commencé avec Onusida, il y a six ans : mettre le
sida au centre des préoccupations, pousser tous les acteurs
à s'engager. Les budgets nationaux en dépendent, l'action
internationale aussi. C'est d'autant plus important dans des sociétés
où l'autorité du chef joue un rôle, notamment
pour la lutte contre la stigmatisation. Nous avons repositionné
le sida comme un problème qui va avoir un impact sur le développement
social et économique, c'est ce qui intéresse les politiciens.
Et deuxièmement, comme un problème de sécurité.
Il y a deux ans, il y a eu le débat sur le sida au Conseil
de sécurité des Nations Unies.
Cela
a eu un impact sur la prise de conscience des chefs d'Etat et de
gouvernement. Je l'ai constaté quand je les ai rencontrés
ensuite. Nous avons essayé de documenter ce que le sida représente
pour le développement, la démographie, de parler le
langage des gens auxquels nous nous adressions et d'utiliser des
arguments auxquels ils étaient sensibles. C'est l'un des
grands succès d'Onusida. Mais nous n'étions pas seuls,
il y avait la société civile, Kofi Annan depuis un
an et demi, le président Clinton...
Avez-vous
eu des résultats en Afrique, y a-t-il des bons et des mauvais
élèves sur le continent ?
La
résistance pour s'occuper du sida a complètement disparu
au niveau des chefs d'Etat. Il y a deux ans, je vous aurais répondu
différemment. Aujourd'hui, leurs discours sont clairs. D'ailleurs,
à la session extraordinaire de l'Assemblée générale
de lONU sur le sida, il y avait plus d'une vingtaine de chefs
d'Etat africains présents. Il y a certainement encore des
problèmes, mais ils se situent maintenant au niveau de la
mise en uvre, ce qui est bien sûr le plus important.
Mais il faut d'abord que les mots sortent. Des commissions nationales
se mettent en place, souvent dirigées par le président
lui-même ou le Premier ministre. Des budgets sont libérés.
Maintenant, on est donc dans la lenteur administrative et dans un
problème de capacité humaine. Mais, même en
Afrique de l'Ouest, qui était un peu en retard, cela se passe
bien. La réticence n'est plus au niveau des chefs d'Etat.
C'est plutôt au niveau des cadres moyens qu'il y a un grand
travail à faire.
Que
pensez-vous de la position du président sud-africain, Thabo
Mbeki, sur le Sida ?
Le
président sud-africain exprime des opinions douteuses sur
le traitement du sida même si, quant à l'importance
de la maladie, il est très clair. Dans son allocution du
nouvel an, il a affirmé que le sida faisait partie, avec
la violence et la pauvreté, des trois grands défis
auxquels la société sud-africaine devait faire face.
Le problème est au niveau de l'accès aux traitements
et de la transmission mère-enfant qui doivent faire partie
de n'importe quel programme de lutte contre le sida. Je suis conscient
qu'il est impossible pour le gouvernement sud-africain d'offrir
un traitement gratuit à tous les citoyens qui en ont besoin,
mais, au moins, que l'on commence à faire des progrès.
Mais
d'un autre côté, l'Afrique du Sud va bientôt
avoir des résultats dans les programmes de prévention.
Dans la tranche d'âge des moins de vingt ans, on voit une
stabilisation et une baisse des infections. La Love life campaign,
engagée depuis deux ans, est un très bon programme
de prévention, probablement l'un des meilleurs. Il est très
agressif, il utilise le marketing. Ils ont un budget qui dépasse
les 100 millions de dollars. Il y a donc d'un côté
ce que dit Thabo Mbeki, de lautre ce qui se passe sur le terrain.
Les
leaders religieux ne sont-ils pas trop réticents à
s'engager dans la lutte contre le sida ? Il y a, en effet,
des problèmes. Au Kenya, par exemple, il y a une coalition
entre l'Eglise catholique et des groupes islamiques contre la promotion
du préservatif. Par contre, en Ouganda, le président
de la commission nationale contre le sida est un évêque
catholique. Sur le terrain, on trouve autant, si ce n'est plus,
de préservatifs dans les hôpitaux catholiques que dans
ceux de l'Etat.
C'est
lorsque l'on monte dans la hiérarchie que les problèmes
commencent. Il y a cinq ans, je voyais toutes les religions comme
un grand obstacle dans la lutte contre le sida. Maintenant, j'ai
renversé ce raisonnement et je dis qu'elles doivent devenir
des alliés puissants. Quand je vais dans un pays, rendre
visite au leader religieux local fait partie de mon programme standard.
Ce n'est dans l'intérêt d'aucune religion que ses fidèles
meurent du sida .
PROPOS
RECUEILLIS PAS VALERIE GAS (RFI)
Lire
l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=11935&index__edition=9527
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