Pour
rembourser la dot à leurs ex-époux, les Camerounaises
Bayangui divorcées en étaient réduites à
monnayer leurs charmes. Mais le sida a changé la donne et
la coutume s'assouplit.
Mariée
très tôt, Alice Ayuk a divorcé alors qu'elle
avait six enfants. Aujourd'hui âgée de 31 ans, elle
garde toute sa beauté. Depuis quatre ans que le mariage est
rompu, elle tient un restaurant de rue dans le quartier Akwa à
Douala. La tâche n'est pas facile, entre le harcèlement
sexuel des clients et les railleries des autres divorcées,
qui ne comprennent pas qu'une femme aussi belle renonce au commerce
du plaisir. "Plusieurs prostituées sont mortes depuis
que le sida a été déclaré. Je n'aimerais
pas me retrouver dans la même situation", explique la
jeune femme.
Alice
compte sur ce petit commerce pour rembourser à son ex-mari
les 400 000 F cfa (610 euros) de dot qu'il lui réclame. Comme
le veut la coutume des Bayangui, ethnie du sud-ouest du Cameroun
dont elle fait partie, une femme qui divorce doit rembourser la
dot payée par son ex-époux. Celle-ci est constituée
des espèces et de la valeur estimée de tous les cadeaux
que l'homme a offerts aux beaux-parents, du jour des fiançailles
jusqu'à la rupture.
Tant
que la dot n'a pas été remboursée, la femme
divorcée, tout comme les enfants qu'elle peut avoir après
la séparation, sont la propriété de l'ex-époux.
Jusqu'ici,
chez les divorcées Bayangui, la seule voie pour racheter
leur liberté était le commerce du sexe. Mais aujourd'hui,
le sida a changé la donne: plus d'un Camerounais sur dix
était porteur du virus de VIH en 2000, d'après le
ministère de la Santé. De quoi inquiéter
même
les plus sceptiques ! Et du coup, les habitudes changent progressivement.
Le
quartier Nkanè à Douala, jadis peuplé en majorité
de familles de prostituées, s'est presque vidé. "La
peur du sida a fait fuir beaucoup de femmes, témoigne Alain
Kabwela, qui y vit depuis trente ans. Seule une prostituée
occupe l'une des dix chambres que nous plaçons en location",
commente-t-il. De nombreuses femmes sont rentrées dans leur
village pour travailler la terre. D'autres ont changé de
quartier pour se consacrer au petit commerce.
Seules
quelques jeunes n'ont pas encore lâché. Comme Cécilia,
qui compte sur l'efficacité des préservatifs. Mais
elle espère cesser rapidement. "Dès que j'aurai
épargné les 500 000 F cfa (760 euros) que me réclame
mon ex-mari, j'arrête", jure-t-elle. En janvier dernier,
elle s'est envolée pour le Gabon où elle espère
gagner assez d'argent.
L'initiative
de Cécilia fait trembler son amie Catherine, dont la sur
aînée vient de mourir du sida au Gabon. Mariée
de force à 15 ans à un docker deux fois plus âgé
qu'elle, Catherine, à l'exemple de ses aînées,
voulait retrouver sa liberté en arpentant les rues. Aujourd'hui,
âgée de 22 ans, elle a changé d'avis : "Je
préfère la souffrance à la prostitution qui
peut donner la mort. Chez mon mari, je suis au moins à l'abri
du sida".
"La
fidélité à un seul partenaire pour la vie est
la seule arme contre le sida", plaide désormais cette
ancienne belle de nuit, devenue vendeuse à l'étal.
Toujours avenante malgré 19 ans sur le trottoir, elle ne
croit pas à l'efficacité des préservatifs :
"Plusieurs de mes camarades qui utilisaient ces choses-là
sont mortes".
Des
maris moins exigeants. Chez les hommes Bayangui, les mentalités
évoluent aussi. Touchés de voir des femmes divorcées
terrassées par la terrible maladie, certains deviennent moins
exigeants. Notamment si leur ex-épouse leur a donné
des enfants, ou si elle vivait en harmonie avec sa belle-famille.
Cette femme qui m'a quitté demeure la mère de mes
deux enfants", reconnaît Elias Tiku, qui a renoncé
à exiger le remboursement de la dot par son ex-femme pour
lui éviter la prostitution. Les aînés, eux aussi,
ont fini par comprendre que le montant très élevé
de la dot est à l'origine de nombreux divorces, certains
maris considérant leur femme comme un objet monnayable. "Aujourd'hui,
le jeune homme qui veut prendre femme donne ce qu'il a, mais dans
le respect de la tradition", explique Bernard Mbu. Ce sexagénaire
espère qu'ainsi les femmes seront mieux traitées par
leurs époux, et les divorces moins fréquents. Une
perspective salutaire pour les femmes de cette région qui
avaient fait de la prostitution leur métier de prédilection,
au point que le mot Bayangui était devenu synonyme de prostituée
au Cameroun. Une évolution d'autant plus souhaitable que,
selon le ministère de la Santé, en 1999, deux prostituées
sur trois étaient séropositives.
CHARLES
NFORGANG
SYFIA/CAMEROUN
|