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Au Cameroun, le sida assouplit la tradition - Sidwaya - Burkina Faso - 7/03/02

Pour rembourser la dot à leurs ex-époux, les Camerounaises Bayangui divorcées en étaient réduites à monnayer leurs charmes. Mais le sida a changé la donne et la coutume s'assouplit.

Mariée très tôt, Alice Ayuk a divorcé alors qu'elle avait six enfants. Aujourd'hui âgée de 31 ans, elle garde toute sa beauté. Depuis quatre ans que le mariage est rompu, elle tient un restaurant de rue dans le quartier Akwa à Douala. La tâche n'est pas facile, entre le harcèlement sexuel des clients et les railleries des autres divorcées, qui ne comprennent pas qu'une femme aussi belle renonce au commerce du plaisir. "Plusieurs prostituées sont mortes depuis que le sida a été déclaré. Je n'aimerais pas me retrouver dans la même situation", explique la jeune femme.

Alice compte sur ce petit commerce pour rembourser à son ex-mari les 400 000 F cfa (610 euros) de dot qu'il lui réclame. Comme le veut la coutume des Bayangui, ethnie du sud-ouest du Cameroun dont elle fait partie, une femme qui divorce doit rembourser la dot payée par son ex-époux. Celle-ci est constituée des espèces et de la valeur estimée de tous les cadeaux que l'homme a offerts aux beaux-parents, du jour des fiançailles jusqu'à la rupture.

Tant que la dot n'a pas été remboursée, la femme divorcée, tout comme les enfants qu'elle peut avoir après la séparation, sont la propriété de l'ex-époux.

Jusqu'ici, chez les divorcées Bayangui, la seule voie pour racheter leur liberté était le commerce du sexe. Mais aujourd'hui, le sida a changé la donne: plus d'un Camerounais sur dix était porteur du virus de VIH en 2000, d'après le ministère de la Santé. De quoi inquiéter

même les plus sceptiques ! Et du coup, les habitudes changent progressivement.

Le quartier Nkanè à Douala, jadis peuplé en majorité de familles de prostituées, s'est presque vidé. "La peur du sida a fait fuir beaucoup de femmes, témoigne Alain Kabwela, qui y vit depuis trente ans. Seule une prostituée occupe l'une des dix chambres que nous plaçons en location", commente-t-il. De nombreuses femmes sont rentrées dans leur village pour travailler la terre. D'autres ont changé de quartier pour se consacrer au petit commerce.

Seules quelques jeunes n'ont pas encore lâché. Comme Cécilia, qui compte sur l'efficacité des préservatifs. Mais elle espère cesser rapidement. "Dès que j'aurai épargné les 500 000 F cfa (760 euros) que me réclame mon ex-mari, j'arrête", jure-t-elle. En janvier dernier, elle s'est envolée pour le Gabon où elle espère gagner assez d'argent.

L'initiative de Cécilia fait trembler son amie Catherine, dont la sœur aînée vient de mourir du sida au Gabon. Mariée de force à 15 ans à un docker deux fois plus âgé qu'elle, Catherine, à l'exemple de ses aînées, voulait retrouver sa liberté en arpentant les rues. Aujourd'hui, âgée de 22 ans, elle a changé d'avis : "Je préfère la souffrance à la prostitution qui peut donner la mort. Chez mon mari, je suis au moins à l'abri du sida".

"La fidélité à un seul partenaire pour la vie est la seule arme contre le sida", plaide désormais cette ancienne belle de nuit, devenue vendeuse à l'étal. Toujours avenante malgré 19 ans sur le trottoir, elle ne croit pas à l'efficacité des préservatifs : "Plusieurs de mes camarades qui utilisaient ces choses-là sont mortes".

Des maris moins exigeants. Chez les hommes Bayangui, les mentalités évoluent aussi. Touchés de voir des femmes divorcées terrassées par la terrible maladie, certains deviennent moins exigeants. Notamment si leur ex-épouse leur a donné des enfants, ou si elle vivait en harmonie avec sa belle-famille. Cette femme qui m'a quitté demeure la mère de mes deux enfants", reconnaît Elias Tiku, qui a renoncé à exiger le remboursement de la dot par son ex-femme pour lui éviter la prostitution. Les aînés, eux aussi, ont fini par comprendre que le montant très élevé de la dot est à l'origine de nombreux divorces, certains maris considérant leur femme comme un objet monnayable. "Aujourd'hui, le jeune homme qui veut prendre femme donne ce qu'il a, mais dans le respect de la tradition", explique Bernard Mbu. Ce sexagénaire espère qu'ainsi les femmes seront mieux traitées par leurs époux, et les divorces moins fréquents. Une perspective salutaire pour les femmes de cette région qui avaient fait de la prostitution leur métier de prédilection, au point que le mot Bayangui était devenu synonyme de prostituée au Cameroun. Une évolution d'autant plus souhaitable que, selon le ministère de la Santé, en 1999, deux prostituées sur trois étaient séropositives.

CHARLES NFORGANG
SYFIA/CAMEROUN

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