Pénurie grave de chirurgiens, une profession dévalorisée malgré
un apprentissage de douze années après le baccalauréat pour obtenir
la qualification, perte de motivation, désaffection des jeunes pour
la discipline, tels sont les maux dont souffre la chirurgie en Afrique.
C'est pour trouver des solutions urgentes qu'une réunion de l'Académie
Française de chirurgie et les écoles francophones africaines de
chirurgie s'est tenue le 26 février à Dakar pour discuter des problèmes
de la chirurgie en Afrique.
"Les professionnels de chirurgie vivent cette douloureuse réalité
où les patients continuent de mourir d'appendicite, de hernies étranglées,
de grossesses difficiles non assistées et autres traumatismes par
accident, faute parfois de banals instruments chirurgicaux, parfois
d'aspirateurs, parfois tout simplement de fils de suture, ou parce
qu'il n'y a pas de chirurgien". Cette remarque du Professeur Cheikh
Tidiane Touré, chef de la clinique chirurgicale de l'hôpital Aristide
Le Dantec suffit à résumer la misère des chirurgiens en Afrique
en général et au Sénégal en particulier.
En effet, explique-t-il, "aujourd'hui, partout dans le monde, au
Nord comme au Sud, à l'Est comme à l'Ouest, en chirurgie, les vocations
se perdent, les rangs se dégarnissent, car le métier est exigeant".
En ce sens qu'il réclame, selon lui, une maîtrise morale, une maîtrise
intellectuelle, la maîtrise technique, au moment où l'adaptation
aux nouvelles technologies devient de plus en plus ardue. Le Pr.
Touré estime que si la pratique de la chirurgie est de plus en plus
confortable pour des patients de plus en plus exigeants quant à
la qualité des résultats, l'exercice en est devenu périlleux pour
le chirurgien.
Subséquemment, regrette le praticien, pendant que les praticiens
se paupérisent, la chirurgie fait de plus en plus la fortune d'autres
catégories professionnelles travaillant sur le risque et le sinistre.
Même s'il reconnaît que ces situations devenues, courantes dans
les pays développés du Nord, sont encore plus péjoratives dans nos
contrées démunies. C'est pourquoi, souligne le chef de la clinique
chirurgicale de l'hôpital Aristide Le Dantec, si aujourd'hui nous
parlons de problèmes purement chirurgicaux, de pathologie et de
technique, de méthodes pédagogiques par le biais de communications
scientifiques, "la rencontre avec l'Académie française de chirurgie
sera surtout un prétexte, une opportunité pour mettre en place des
cadres formels de réflexion, de collaboration, de coopération pour
la promotion de la chirurgie avec notamment l'harmonisation des
curriculum de formation initiale, la mise en œuvre de programmes
de formation continue à l'intention des professionnels de chirurgie,
l 'élaboration de plans de développement et des conseils aux décideurs
politiques entre autres".
Le constat général est que les professionnels de chirurgie sont
trop fréquemment victimes d'une situation d'écartèlement moral,
partagés qu'ils sont entre, d'une part l'obligation légale de ne
pratiquer l'acte chirurgical que lorsque tous les moyens matériels
nécessaires sont réunis (c'est l'obligation de moyens que prescrit
la loi), ce qui est rarement le cas et cette inclination naturelle
à vouloir tout faire pour sauver leur malade. "D'agir de la sorte
c'est-à-dire de vouloir quand même bien faire les conduit souvent
devant les tribunaux" se désole le Pr. Touré.
Des facteurs qui contribuent, souligne le praticien, à rendre l'hôpital
inapte à offrir des soins de qualité à une pléthore de malades,
à le transformer en un espace peu convivial, où se multiplient les
conflits, notamment du fait de la charge de travail excessive, de
l'absence d'un cadre administratif cohérent et de plans de carrière
attractifs. Une des conséquences de cette situation, fait remarquer
le Pr. Touré, c'est la perte de motivation de certains confrères,
la désaffection des jeunes pour la discipline chirurgicale.
D'autant plus que, poursuit-il, "en ce qui concerne le Sénégal,
la qualification en chirurgie, obtenue au bout d'un apprentissage
continue de douze années après le baccalauréat n'est pas rémunérée".
Résultat, il y a une pénurie grave de chirurgiens. Aussi interpelle-t-il,
le gouvernement pour l'amélioration du niveau de santé des Sénégalais
grâce à l'édification et l'équipement des centres de santé et des
hôpitaux.
Mise en place de l'Association des chirurgiens d'Afrique francophone
C'est pour travailler dans la perspective d'offrir des soins de
qualité à des coûts raisonnables, acceptables pour les pouvoirs
publics, tout en améliorant et en préservant l'épanouissement des
praticiens de la chirurgie que les Sénégalais et leurs collègues
africains francophones ont mis en place avant-hier, jeudi 27 février
un bureau provisoire de l'Association de chirurgie d'Afrique francophone
(Acaf).
L'objectif de cet organe selon le Pr. Cheikh Tidiane Touré, "sera
de mettre en commun nos expertises au service de la résolution des
problèmes de santé spécifiquement liés à la chirurgie dans nos pays".
A cet effet, l'Acaf va profiter de l'expérience de l'Académie Française
de la chirurgie, institution plus que bicentenaire dont la mission
est "d'informer ses membres des découvertes fondamentales et des
progrès de la chirurgie, de participer à leur formation continue.
Elle a également une mission de magistère moral et de garant de
l'éthique. Elle s'intéresse aux aspects techniques de l'acte chirurgical
mais aussi à ses aspects économiques, juridiques et autres".
Le Pr. Touré fait aussi remarquer que l'Académie Française vise
les mêmes préoccupations que l'Acaf. Et de révéler que ces préoccupations
ont globalement trait à la pénurie en infrastructures souvent mal
conçues quand elles existent, à la pénurie, à l'obsolescence, aux
mauvais choix des équipements par ailleurs dépourvus de plans de
maintenance et de renouvellement, à l'insuffisance de personnels
qualifiés (quand bien même des écoles de formation existent) et
à l'absence d'organisation administrative adaptée.
Les praticiens rappellent que ces divers problèmes ont souvent
pour origine l'insuffisance des ressources financières. Car, disent-ils,
devant la modicité des ressources allouées à la santé, les pouvoirs
publics font souvent le choix d'affecter le maximum de moyens à
des secteurs dits prioritaires, ce qui laisse le domaine de la chirurgie
démuni. Aussi, considèrent-ils que la mise en place de l'Acaf va
permettre de redorer le blason de la profession.
Ismaïla SARRE
Lire l'article original : http://www.sudonline.sn/archives/01032003.htm
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