Président de la Croix-Rouge Française, Marc Gentilini est un spécialiste
des maladies tropicales. Professeur émérite, membre de l'Académie
de médecine et de l'Académie des sciences d'outre-mer, il a publié
de nombreux travaux sur les épidémies tropicales et le sida. Il
a reçu plusieurs distinctions françaises et africaines, dont l'Ordre
du mérite congolais dont il est Grand Officier. Il donne ici son
point de vue sur l'épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola
qui vient de frapper le Congo.
Les Dépêches de Brazzaville : Le
virus Ebola a fait son apparition au Congo-Brazzaville, dans le
département de la Cuvette-Ouest, au début de l'année. Quel est "l'historique"
de cette maladie ?
Professeur Marc Gentilini : Historiquement,
les virus à fièvres hémorragiques sont connus depuis très peu de
temps puisque ce n'est qu'en 1967 qu'ont été identifiés à Marburg
et à Francfort, en Allemagne, des souches virales apparentées à
la fièvre Ebola.
La première épidémie de fièvre Ebola a été reconnue en 1976, à Nzara,
au Sud-Soudan. Elle avait fait 150 morts, soit 50 % des personnes
infectées (c'est le taux moyen de mortalité de la fièvre Ebola.
En même temps, dans le nord de l'ex-Zaïre, aujourd'hui République
démocratique du Congo, une épidémie de fièvre hémorragique se déclarait
près de la rivière Ebola, faisant près de 300 morts. En 1979, une
nouvelle épidémie de fièvre Ebola se déclarait au Soudan. Puis,
pendant plus de quinze ans, le virus a semblé avoir disparu. Mais
il s'est manifesté de nouveau en 1995, en pleine guerre civile zaïroise,
à Kikwit. Cette épidémie a été abondamment relayée par les médias
qui étaient alors focalisés sur les troubles du Congo-Kinshasa ;
des rumeurs amplifiées par l'actualité firent redouter qu'à la faveur
des conflits, des individus contaminés se réfugiant à Kinshasa propagent
la maladie au sein d'une population urbaine extrêmement dense.
En fait, le virus à fièvre hémorragique Ebola ne s'étend pas si
largement. Il est assez vite circonscrit, contrairement à la grippe
qui peut emporter des milliers, voire des millions de personnes.
En 1918-1920, la grippe espagnole a fait environ 21 millions de
morts. Au contraire, la fièvre à virus Ebola est une épidémie à
développement limité. Si l'on prend des mesures préventives adéquates,
on circonscrit l'épidémie.
Enfin, en août 2000, le virus est réapparu en Ouganda.
En ce qui concerne l'épidémie qui sévit actuellement au Congo-Brazzaville,
je dois dire que la crise a été très bien gérée par les autorités
sanitaires. Le ministre de la Santé, le Dr Alain Moka, doit être
félicité. Il a manifesté beaucoup de courage et de détermination
en se rendant sur les lieux du foyer infectieux et en prenant des
mesures de prévention il a réussi à circonscrire l'épidémie. Il
faut insister sur cette très bonne gestion de la crise : on est
tellement accoutumé à dire du mal des hommes politiques qu'il faut
saluer ceux qui remplissent bien leur mission.
Les Dépêches de Brazzaville : On
évoque souvent, comme vecteur de transmission du virus Ebola, la
consommation de viande de primates (gorilles, chimpanzés). Connaît-on
les modes de transmission de cette épidémie ?
Professeur Marc Gentilini : Heureusement,
la transmission ne se fait pas par voie respiratoire mais par contact
d'un animal ou d'un homme malade, ou d'un produit biologique (sang
ou urines contaminés). Les animaux "porteurs sains" du virus peuvent
en contaminer d'autres.
Le chasseur a souvent plus de facilités à tuer ou à capturer des
animaux malades, affaiblis. Il les ramène dans son village, dans
son foyer, pour les consommer. La famille est contaminée par contact
direct, en préparant la viande, pas en la mangeant, mais par les
gestes qui précèdent le repas… Puis c'est au tour du personnel soignant,
s'il est insuffisamment protégé, d'être contaminé.
En fait, les gens qui sont en première ligne, la famille ou le personnel
soignant - ceux qui ont été en contact direct avec l'infection -
en sont victimes et souvent meurent. Ceux qui sont en deuxième ligne
ne sont que malades et ne meurent pas. Ceux qui sont en troisième
ligne ne sont pas malades mais deviennent séropositifs à l'égard
de ce virus.
Les Dépêches de Brazzaville : Au
Congo-Brazzaville, lors de l'apparition de cette épidémie, le gouvernement
a tenté d'informer la population. Il semble que celle-ci ait parfois
mal accepté des mesures qui allaient à l'encontre de ses traditions.
Que recommande la Croix-Rouge aux autorités congolaises afin de
mieux informer ?
Professeur Marc Gentilini : Tout
doit reposer sur l'éducation du grand public. Il faut parler des
épidémies, les expliquer afin de les démystifier. Ainsi, il est
très important d'informer la population sur les modes de transmission.
Dans le cas du virus Ebola, la Croix-Rouge considère qu'il faut
se référer aux mesures préconisées par l'Organisation mondiale de
la santé et par les experts qui travaillent sur les virus à fièvres
hémorragiques. Ainsi, il faut que chaque cas suspect soit déclaré
et enregistré. Quand bien même le virus ne serait pas identifié,
il faut enregistrer chaque malade, puis l'isoler pendant la période
d'incubation qui dure de 2 à 20 jours, ce qui est tout de même beaucoup
plus court que les quarantaines pratiquées autrefois dans les grands
ports marchands.
Ensuite, les malades doivent être placés dans des chambres stériles.
Il faut établir un écran de sécurité sanitaire entre les malades
et le personnel soignant ou les membres proches pour limiter l'extension
de la maladie. Les soignants ou les proches ne doivent pas toucher
directement les malades, mais porter des gants, des blouses, des
lunettes. Dans ce domaine, les organisations internationales peuvent
jouer un rôle bénéfique en acheminant du matériel de stérilisation
et des vêtements sur les foyers infectieux dès les premières rumeurs
de cas suspects.
Les Dépêches de Brazzaville : En
ce qui concerne la mise au point d'un vaccin contre le virus Ebola,
où en est la recherche médicale ?
Professeur Marc Gentilini : Il
ne faut pas se faire d'illusions : le virus Ebola ne tue pas assez
de gens pour mobiliser les crédits nécessaires à la recherche d'un
vaccin. L'élaboration des vaccins, qui relève du secteur privé,
a, outre l'objectif de réussir, celui aussi de rentrer dans ses
investissements ; or "le marché" n'est pas assuré et les manipulations
de laboratoire sont dangereuses.
Toutefois, la mise au point d'un vaccin anti-Ebola est tout à fait
concevable puisqu'il s'agit d'un virus, toujours plus accessible
à cette technique qu'une bactérie ou un parasite. Pourtant, il serait
souhaitable et passionnant que la recherche s'oriente vers les virus
de la forêt équatoriale, un milieu méconnu et qui développe des
pathologies ignorées.
Actuellement, il n'existe ni vaccin ni médicament pour traiter le
virus Ebola. Seuls l'information sanitaire, l'isolement des personnes
contaminées, les mesures de protection rapprochée et la déclaration
des cas suspects, permettent de lutter contre cette épidémie.
Propos recueillis par Didier Julien
Lire l'article original : http://www.brazzaville-adiac.com/html/ba_article.php?DEP_CODE=2947
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