Des images fortes, frappantes, saisissantes ... Des images qui
ont fait tilt jusqu’à créer une réaction hostile face à toute idée
de pratiquer la dépigmentation artificielle. Visage, dos, torse,
cou, pieds, bras, aisselles … tout est altéré par l’usage abusif
de produits dépigmentants. Avec au finish, une peau pas du tout
gai à voir. Contrairement à l’effet d’embellissement, unique but
recherché par les pratiquants de la dépigmentation artificielle.
Il en fallait, au-delà des études réalisées çà et là, pour étayer
les complications médicales de la dépigmentation artificielle communément
appelée « khessal ».
Des dermatologues, membres de l’Association internationale d’information
sur la dépigmentation artificielle (AIIDA), sonnent la mobilisation.
Thème choisi samedi dernier par l’Association internationale d’information
sur la dépigmentation artificielle (AIIDA) pour sensibiliser les
communicateurs, sur les effets ou conséquences désastreuses que
peut engendrer la pratique du « khessal ».
C’était lors d’un atelier organisé à l’intention des journalistes,
eux qui doivent servir de relais aux populations. Depuis quelque
temps, on a noté que les complications liées à la pratique du «
khessal » vont crescendo au regard des chiffres sortis d’une étude
rétrospective, sur une durée de 53 mois ; étude réalisée par le
Dr Mame Thierno Dieng, sur les dermo-hypodermites bactériennes et
la dépigmentation artificielle.
Il s’est agi, pour le médecin, d’interroger des patientes, sur les
produits utilisés, la surface sur laquelle ces produits étaient
appliqués, la durée d’utilisation …
Au cours de cette courte période d’observation, il a été relevé
60 cas de complications relatives aux dermo-hypodermites bactériennes
contre seulement 2 en 1976, révèle le Dr Mame Thierno Dieng qui
en tire la conclusion selon laquelle, il sévit maintenant une véritable
épidémie de dermo-hypodermites bactériennes.
CAUSES D’HOSPITALISATION, DE DECES
Suivant cette logique, elles constituent les premières causes d’hospitalisation
en dermatologie. Et dans 80 % des cas, elles sont guéries si elles
sont traitées. Mais, souligne Dr Mame Thierno Dieng, on a eu à noter
deux cas de décès relatifs aux dermo-hypodermites bactériennes qui
peuvent avoir des conséquences esthétiques, des effets trophiques
avec une modification de la texture de la peau …
Entre autres complications très graves pouvant même occasionner
des brûlures, conduire au coma, puis à la mort. Des situations qui
découlent de l’utilisation prolongée de certains produits très puissants
à base de clobetasol qui favorisent la fragilisation de la peau.
À partir de cet instant, le produit peut passer dans le sang avec
les dangers que cela peut engendrer.
CORTICOÏDES, DERIVES MERCURIELS, DETERGENTS
Les produits utilisés, notamment les corticoïdes qui sont des médicaments
détournés de leur usage et retrouvés sur le marché sénégalais et
qui n’obéissent à aucune réglementation, peuvent également engendrer
en dehors des dermo-hypodermites bactériennes, des complications
médicales. D’ailleurs, soutient Dr Fatimata Ly, présidente de AIIDA,
52,7 % des complications dermatologiques ont des causes médicales,
d’après une étude effectuée à l’Institut d’hygiène social (IHS)
de Dakar. Et elles se manifestent sous forme de troubles pigmentaires
avec une hyperpigmentation de contraste au niveau des orteils et
des doigts, d’acné, de vergetures …
Différentes manifestations ressorties par le Dr Assane Kane qui
est longuement revenu dans sa communication sur les produits utilisés
que sont les corticoïdes, des dérivés mercuriels, phénoliques ou
mercapto-aminés à base de détergents. D’où les complications de
nature infectieuse dégagée par Dr Fatimata Ly. Il s’agit notamment
de la gale avec un pourcentage de 58 % dénombré à l’IHS, au cours
de l’année 2000. À côté, note la présidente de AIIDA, il y a les
dyschromies qui sont des altérations de la pigmentation cutanée
dont la plus caractéristique demeure l’ochronose exogène bien connue
sous le vocable de « tiéré » par analogie au semis de lésions brunes
siégeant sur les zones exposées au soleil.
DIABETE, HYPERTENSION, COMPLICATIONS RENALES...
Évidemment, il n’y a pas que des complications dermatologiques
ou médicales liées à la pratique du « khessal». Des complications
générales, comme le diabète, l’hypertension artérielle, ont été
relevées. Et « ces maladies seraient plus fréquentes chez les pratiquantes
de la dépigmentation artificielle avec des produits à base de corticoïdes
que chez celles qui n’en utilisent pas », affirme Dr Fatimata Ly.
À côté, il y a les complications rénales, les neuropathies, occasionnées
par l’utilisation de produits à base de mercure et les complications
au cours de la grossesse. En effet, constate la présidente de AIIDA,
« l’utilisation de produits dépigmentants au cours de la grossesse
s’accompagne d’accidents obstétricaux, un renforcement de la pratique
étant souvent noté lors du dernier trimestre ».
DES CHIFFRES QUI PARLENT
Entre « khessal » (blanchiment) ou « léral » (éclaircissement),
le cœur des pratiquants de la dépigmentation artificielle balance.
Qu’importe, le taux de prévalence resté élevé au Sénégal avec 70
%, contre 25 % pour le Mali, relève Dr Fatimata Ly, présidente de
l’Association internationale d’information sur la dépigmentation
artificielle (AIIDA). Rien que pour le quartier de Niary Tally,
représentatif de la population de Dakar, une étude effectuée en
1999 fait état de 67 % de pratiquantes. Ce qui dénote de l’importance
épidémiologique du phénomène.
ESTHETIQUE, MODE, THERAPIE …
Pour illustrer son propos, Fatimata Ly révèle que sur un échantillon
de 368 femmes qui avaient au moins 16 ans, plus de la moitié (51
%) pratiquait la dépigmentation artificielle. Alors que 91 % des
femmes interrogées penchaient pour un « léral », les 9 % restants
disaient non à un réel blanchiment de la peau ou « khessal ».
Tel est le résultat d’une enquête menée à l’Institut d’hygiène social
(IHS) en 2000, par la présidente de (AIIDA). Qu’importe la raison
évoquée, la principale motivation est d’ordre purement esthétique
(89 % des cas) contre 11 % de femmes qui se dépigmentaient au cours
de cette période de recueil de données (2000) pour un but thérapeutique.
Des statistiques qui balaient d’un revers de la main toutes considérations
faisant de la dépigmentation artificielle « une pratique relevant
d’un traumatisme post-colonial, d’un complexe d’infériorité vis-à-vis
de la race blanche ».
L’augmentation de la pratique est notée pendant la grossesse, notamment
au cours du dernier trimestre (18 %). Ainsi, 41 % des cas ont une
relation avec un évènement à caractère social. Et dans 18 % des
cas, un événement social comme le mariage ou le baptême est souvent
retrouvé comme facteur déclenchant.
5 MILLIARDS PAR AN POUR L’ACHAT DE PRODUITS DEPIGMENTANTS
Ce sont 117 marques de produits que l’on retrouve sur le marché.
Chaque mois, une pratiquante peut utiliser jusqu’à 4 tubes de produits
dépigmentants. Soit entre 15 et 350 grammes pour une valeur se situant
entre 2.500 à 25.000 F CFA par mois. Ces sommes cumulées font état
des dépenses liées à l’achat de produits dépigmentants pouvant aller
jusqu’à 5 milliards par an, soutient Dr Fatimata Ly, présidente
de AIIDA.
Par rapport au contrôle de l’autorité publique sur l’importation
de produits destinés au « khessal » et évoqué par certains participants,
le chef du service Dermatologie de l’IHS pense que la législation
doit jouer son rôle dans la réglementation des produits distribués.
Au regard des conséquences dévastatrices liées à la pratique de
la dépigmentation artificielle retrouvée dans toutes les couches
de la population indépendamment du statut socio-professionnel, du
niveau d’instruction, de la religion, une participante à l’atelier
de sensibilisation sur les complications médicales liées à la DA
recommande de valoriser davantage la peau noire. Au lieu, dit-elle,
de juste se limiter à dégager les conséquences.
Seulement, note le chef du service Dermatologie de l’IHS « tout
discours moralisateur, toute tentative répressive sont voués à l’échec.
Il faut sensibiliser et éviter la stigmatisation ».
par Maïmouna GUEYE
Lire l'article original : http://www.lesoleil.sn/santeenv/article.CFM?articles__id=24744
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