Dans
les pharmacies et cabinets médicaux privés, les riches peuvent se
soigner efficacement et guérir de malaria. Car des nouveaux médicaments
efficaces existent, et un traitement coûte 5000 frbu, partiellement
remboursables par les mutuelles parfois. Pourtant, la maladie décime
des populations entières, chez les pauvres, l' écrasante majorité
du peuple. Car actuellement, l' Etat oblige l' utilisation des anciens
médicaments, Chloroquine et Fansidar dont l' inefficacité face à
la résistance de la maladie est connue et prouvée. Plusieurs fois,
le ministère de la Santé s' est montré très sévère face aux organisations
qui militaient pour le changement du protocole national. L' Organisation
Médecins Sans Frontières en a payé les frais, l' année dernière,
en se faisant expulsé par le gouvernement. Au moment où l' Afrique
célèbre la journée de lutte contre le paludisme, la malaria est
devenue aujourd'hui, au Burundi, une question de démocratie. Tout
simplement.
Le
gouvernement soutient l' utilisation d' un traitement inefficace
Plus
de 2 millions de cas officiellement recensés en 1999, contre 200
000 dix ans plus tôt. En octobre 2000, une épidémie de paludisme
d'une ampleur sans précédent touche 6 des 16 provinces du pays.
Elle durera plus de six mois et plus de 3 millions de cas seront
recensés à l'échelle du pays (qui compte 6.5 millions d'habitants).
Cette épidémie, pour la première fois, touche des zones de moyenne
à basse endémie (zones de hauts plateaux, de 1 400 à 1 700 mètres
d'altitude), des régions où les populations étaient peu immunisées,
ce qui a entraîné une mortalité élevée. Des études de résistance,
effectuées par MSF au Burundi début 2001, en collaboration avec
le ministère de la Santé burundais, et selon le protocole OMS (1996),
ont révélé des taux particulièrement élevés pour les molécules classiques
Chloroquine (CQ) et Fansidar (SP), avec parfois plus de 93% de taux
de résistance. Pour rappel, l'OMS considère à 25% le seuil de résistance
à partir duquel il est indispensable de changer un traitement de
première ligne. Le gouvernement a décidé, en juin 2001, l'adoption
d'un " protocole de transition ", recommandant l'utilisation du
Fansidar en traitement de première ligne, de la Quinine en seconde
ligne et du Coartem (une combinaison fixe d'Artémether et de Luméfantrine),
uniquement en cas d'épidémie. Ainsi, ce protocole préconise un médicament
en traitement de première ligne dont l'inefficacité a été prouvée
et un traitement contraignant (7 jours - ou éventuellement 5 - ce
qui pose des problèmes d'adhérence et peut favoriser l'apparition
de résistance) en seconde ligne. Comme l' organisation MSF, les
experts demandent d' utiliser un traitement combinant des dérivés
d'artémisinine et un anti-paludique classique efficace, un traitement,
connu pour son efficacité et son innocuité, et qui aurait permis
de traiter efficacement les malades et probablement de " casser
" la propagation de l'épidémie de 2000 par exemple. Le gouvernement
burundais s' est dérobé plusieurs fois dans des enquêtes " inutiles
et lentes " reconnaît un médecin burundais de Gitega; et entre temps,
les patients atteints du paludisme, et ne disposant pas de moyens
de payer un traitement efficace, sont traités avec un médicament,
en première intention, qui ne peut les guérir. Bine-sûr, seules
les populations rurales pauvres sont victimes de cette situation
: des dérivés d'artémisinine sont disponibles dans la plupart des
pharmacies privées et prescrits pour les seuls malades qui peuvent
les payer.
Homicide involontaire
Pourquoi
les dirigeants du ministère de la Santé se sont-ils obstinés, alors
que le paludisme faisait des ravages dans les populations, à ne
pas changer les protocoles nationaux, au moment où les médicaments
utilisés étaient en toute évidence inefficaces ? Pourquoi le gouvernement
a-t-il combattu la position de l' ONG Médecins Sans Frontières France,
jusqu' à l' expulser, qui non seulement proposait (et propose toujours)
de soigner efficacement des patients pauvres, mais aussi d' aider
dans la recherche des financements au niveau international pour
la généralisation des nouvelles molécules efficaces ? Certes, le
changement du protocole national se heurte à des difficultés financières.
Dans son rapport, MSF estime par exemple que "les médicaments classiques
ne coûtent que 0.25$ par traitement pour un adulte, alors que les
combinaisons à base de dérivés d'Artémisinine reviennent en moyenne
à 1.30$. " "Toutefois, ajoute ce rapport, pour intégrer ces combinaisons
efficaces le coût additionnel ne représente que 19 millions de dollars
par an pour l'ensemble de 5 pays : le Burundi, le Kenya, le Rwanda,
la Tanzanie et l'Ouganda " Le manque de ressources financières ne
pourrait en aucun cas expliquer le manque de volonté du gouvernement
" Une mauvaise foi cynique " estime certains observateurs indépendants,
même si l' ONG MSF qui vient d' être re- autorisée à travailler
dans le pays, loue aujourd'hui " la bonne volonté des autorités
actuelles à commencer par le président Buyoya ". Il ne faut oublier
que d' énormes intérêts industriels et financiers locaux sont en
jeu. Les fabricants des comprimés actuellement utilisés ne verraient
pas d' un bon œil l' utilisation de cette nouvelle molécule, affirment
des sources locales. Mais aussi, comme le signale le responsable
de Médecins Sans Frontières Dr Fournier, les bailleurs occidentaux
ne sont pas pressés de voir un médicament issu de la pharmacopée
chinoise s' imposer sur le très rentable marché africain du paludisme.
Comment un gouvernement responsable peut tergiverser autour des
spéculations financières face à une catastrophe d' une aussi grande
envergure? Depuis 2000, avec notamment la terrible épidémie qui
a endeuillé le pays, plusieurs dizaines de milliers de personnes
sont sans doute mortes faute de médicaments efficaces. Une chose
est sûre : des milliers de vies humaines auraient pu être sauvées,
si elles avaient pu avoir par exemple les traitements que l' ONG
MSF étaient prêtes à leur administrer. "Savoir que des médicaments
efficaces existent, sans qu'il nous soit possible de les administrer
à nos patients est réellement difficile à supporter", explique le
docteur Diane Cheynier, médecin pour MSF au Burundi.MEC/// Edgar
C. MBANZA
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l'article original : www.in-burundi.net/Contenus/Rubriques/Lejournal/04_25malaria.htm
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