Lutilisation
des plantes médicinales constitue une grande menace pour
les ressources forestières. Dans les stratégies de
lutte pour la protection et la préservation des arbres du
Sénégal, les herboristes nont pas encore été
mis à contribution. Pourtant, ceux-ci contribuent grandement
au processus de déforestation. Ils mutilent des arbres pour
en tirer des substances médicamenteuses. A ce sujet, un pharmacien
de lUniversité Cheikh A. Diop de Dakar, le Dr Modou
Lô, est arrivé à des conclusions alarmantes.
Les études que ses collègues et lui ont menées
sur quelques marchés du pays, leur ont fait prendre conscience
de lampleur du mal. Conclusion de lé-tude : chaque
herboriste au Sénégal contribue annuellement à
la disparition dune grande proportion darbres. Létude
a été présentée avant-hier, au cours
de latelier que lAssociation des botanistes de lAfrique
de lOuest (Abao) tient à lUniversité Cheikh
Anta Diop. Celui-ci porte sur linventaire et le suivi de la
flore et de la végétation en Afrique de lOuest.
Léquipe
des chercheurs a recensé environ 600 espèces végétales
médicinales dans les forêts du Sénégal.
Cela, sur 2 500 espèces forestières connues. Ce chiffre
paraît minime par rapport aux 20 mille espèces médicinales
que lOms a recensées dans le monde. Cependant, ces
espèces végétales se réduisent de jour
en jour. Ce constat est fait à partir dune enquête
menée auprès de plus de 65 herboristes. Ceux-ci exercent
leurs activités dans 30 marchés, à travers
le pays. Les scientifiques se sont rendu à Saint-Louis, à
Tambacounda, à Zinguichor, à Louga, etc.
Sur
la base de cette étude, M. Modou Lô souligne que «lactivité
de ces herboristes fait peser une menace écologique sur les
arbres. Mais aussi, il y a une menace économique et commerciale
sur lactivité qui les fait vivre».
La
majorité de vendeurs des plantes médicinales ne sont
pas des guérisseurs. Ils connaissent sommairement les plantes
et leurs vertus phytosanitaires. Mais ils ne se préoccupent
pas de leur régénération. Peu leur importe
que labattage conduise inéluctablement à la
mort dun arbre. Seul les préoccupe le profit quils
peuvent en tirer. Modou Lô illustre le désastre avec
le cas de deux arbres du fagara et du seguridaca. Ceux-ci sont bien
connus des populations autochtones. En wolof, on les dénomme
respectivement, den gui dekk et fuuf.
Le
Fagara est surtout connu pour son action anti-drépanocytaire.
De nombreuses personnes souffrent de cette affection au Sénégal.
Des spécialistes avancent même le chiffre de 1,5 million
de personnes atteintes. La drépanocytose est une maladie
des globules rouges très douloureuse. Il sy ajoute,
selon le Dr. Lô que «les médicaments disponibles
en pharmacie sont souvent trop chers pour les bourses moyennes.
Dans le même temps, lefficacité du fagara est
démontrée et attestée». Doù
la ruée vers cet arbre. Les médecins qui travaillent
au service dhématologie de lhôpital Fann
lutilisent souvent pour leurs patients. Ils le recommandent
même à ceux qui nont pas un pouvoir dachat
élevé.
Cet
arbre se retrouve principalement le long du littoral atlantique.
Son aire de peuplement va du nord au delta du fleuve Sénégal,
dans les Niayes, à la région de Oussouye, en Casamance.
Le fuuf a, lui, une aire beaucoup plus vaste. Cette plante est aussi
appelé, «larbre à serpent». Il semble
que son odeur fait fuir ces reptiles. Dans les zones où ces
animaux se retrouvent couramment, des nombreux foyers ont les racines
de cet arbre à portée de main. On lui connaît
aussi des propriétés vermifuges et anti-inflammatoires.
Selon
les calculs du Dr Lô, les 65 herboristes recensés écoulent
environ 7 t de fagara par an, pour 3 t de seguridaca. Cela, à
raison de 26 rotations de fagots de ces produits. Les fagots varient
autour de 98 g et 78 g, selon les espèces. Cette façon
de faire suscite des inquiétudes. A ce rythme, ils se demandent
jusquà quand les formations forestières du Sénégal
peuvent résister. De plus en plus, le fagara disparaît
de son aire de reproduction. On ne le trouve pratiquement que dans
la région dOussouye. Par ailleurs, face au silence
de la législation, les mesures de protection sont difficiles
à prendre.
Néanmoins,
les chercheurs préconisent des mesures de conservation. Ils
recommandent de développer et de planter les espèces
médicinales dans des jardins botaniques. Même les villageois
doivent être encouragés à les cultiver dans
leurs périmètres dhabitation. De cette manière,
ces espèces vont remplir un rôle ornemental et écologique.
Les tradipraticiens ne courront plus le risque de se retrouver à
court de médicaments, en attendant que leur savoir soit codifié.
Mohamed GUEYE
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l'article original : www.walf.sn/archives/article2.CFM?articles__num=9570&unelocale__edition=3055
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