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PRESERVATION DES FORETS : La menace des tradipratriciens - Wal Fadjri - Sénégal - 23/05/02

L’utilisation des plantes médicinales constitue une grande menace pour les ressources forestières. Dans les stratégies de lutte pour la protection et la préservation des arbres du Sénégal, les herboristes n’ont pas encore été mis à contribution. Pourtant, ceux-ci contribuent grandement au processus de déforestation. Ils mutilent des arbres pour en tirer des substances médicamenteuses. A ce sujet, un pharmacien de l’Université Cheikh A. Diop de Dakar, le Dr Modou Lô, est arrivé à des conclusions alarmantes. Les études que ses collègues et lui ont menées sur quelques marchés du pays, leur ont fait prendre conscience de l’ampleur du mal. Conclusion de l’é-tude : chaque herboriste au Sénégal contribue annuellement à la disparition d’une grande proportion d’arbres. L’étude a été présentée avant-hier, au cours de l’atelier que l’Association des botanistes de l’Afrique de l’Ouest (Abao) tient à l’Université Cheikh Anta Diop. Celui-ci porte sur l’inventaire et le suivi de la flore et de la végétation en Afrique de l’Ouest.

L’équipe des chercheurs a recensé environ 600 espèces végétales médicinales dans les forêts du Sénégal. Cela, sur 2 500 espèces forestières connues. Ce chiffre paraît minime par rapport aux 20 mille espèces médicinales que l’Oms a recensées dans le monde. Cependant, ces espèces végétales se réduisent de jour en jour. Ce constat est fait à partir d’une enquête menée auprès de plus de 65 herboristes. Ceux-ci exercent leurs activités dans 30 marchés, à travers le pays. Les scientifiques se sont rendu à Saint-Louis, à Tambacounda, à Zinguichor, à Louga, etc.

Sur la base de cette étude, M. Modou Lô souligne que «l’activité de ces herboristes fait peser une menace écologique sur les arbres. Mais aussi, il y a une menace économique et commerciale sur l’activité qui les fait vivre».

La majorité de vendeurs des plantes médicinales ne sont pas des guérisseurs. Ils connaissent sommairement les plantes et leurs vertus phytosanitaires. Mais ils ne se préoccupent pas de leur régénération. Peu leur importe que l’abattage conduise inéluctablement à la mort d’un arbre. Seul les préoccupe le profit qu’ils peuvent en tirer. Modou Lô illustre le désastre avec le cas de deux arbres du fagara et du seguridaca. Ceux-ci sont bien connus des populations autochtones. En wolof, on les dénomme respectivement, den gui dekk et fuuf.

Le Fagara est surtout connu pour son action anti-drépanocytaire. De nombreuses personnes souffrent de cette affection au Sénégal. Des spécialistes avancent même le chiffre de 1,5 million de personnes atteintes. La drépanocytose est une maladie des globules rouges très douloureuse. Il s’y ajoute, selon le Dr. Lô que «les médicaments disponibles en pharmacie sont souvent trop chers pour les bourses moyennes. Dans le même temps, l’efficacité du fagara est démontrée et attestée». D’où la ruée vers cet arbre. Les médecins qui travaillent au service d’hématologie de l’hôpital Fann l’utilisent souvent pour leurs patients. Ils le recommandent même à ceux qui n’ont pas un pouvoir d’achat élevé.

Cet arbre se retrouve principalement le long du littoral atlantique. Son aire de peuplement va du nord au delta du fleuve Sénégal, dans les Niayes, à la région de Oussouye, en Casamance. Le fuuf a, lui, une aire beaucoup plus vaste. Cette plante est aussi appelé, «l’arbre à serpent». Il semble que son odeur fait fuir ces reptiles. Dans les zones où ces animaux se retrouvent couramment, des nombreux foyers ont les racines de cet arbre à portée de main. On lui connaît aussi des propriétés vermifuges et anti-inflammatoires.

Selon les calculs du Dr Lô, les 65 herboristes recensés écoulent environ 7 t de fagara par an, pour 3 t de seguridaca. Cela, à raison de 26 rotations de fagots de ces produits. Les fagots varient autour de 98 g et 78 g, selon les espèces. Cette façon de faire suscite des inquiétudes. A ce rythme, ils se demandent jusqu’à quand les formations forestières du Sénégal peuvent résister. De plus en plus, le fagara disparaît de son aire de reproduction. On ne le trouve pratiquement que dans la région d’Oussouye. Par ailleurs, face au silence de la législation, les mesures de protection sont difficiles à prendre.

Néanmoins, les chercheurs préconisent des mesures de conservation. Ils recommandent de développer et de planter les espèces médicinales dans des jardins botaniques. Même les villageois doivent être encouragés à les cultiver dans leurs périmètres d’habitation. De cette manière, ces espèces vont remplir un rôle ornemental et écologique. Les tradipraticiens ne courront plus le risque de se retrouver à court de médicaments, en attendant que leur savoir soit codifié.
Mohamed GUEYE

Lire l'article original : www.walf.sn/archives/article2.CFM?articles__num=9570&unelocale__edition=3055

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