Les régions de Kaolack et Fatick, situés au centre du Sénégal,
sont des régions carrefour. Le bassin arachidier est très touché
par la pandémie du sida eu égard à la densité de sa population et
aux mouvements de celle-ci. Dans la région de Fatick, le développement
du tourisme (elle est la 5è région touristique du pays), fait craindre
le pire. L’existence d’un seul centre de dépistage anonyme et gratuit
(à Kaolack) ne donne pas une idée globale sur la propagation du
sida. Pourtant, des interventions multiples ont été initiées dans
ces deux régions voisines, souvent confondues, pour combattre la
maladie. Ces interventions font une part belle à la sensibilisation
et à l’information des jeunes.
Dossier réalisé par IBRAHIMA KHALILOULLAH NDIAYE
Les articles du dossier :
Des régions-carrefours face au
défi du VIH/SIDA
La sensibilisation contre le sida a été faite, pendant très longtemps,
à l’occasion d’événements ponctuels dans la région de Fatick. Ainsi,
au rythme de semaines nationales de femme et de la jeunesse et de
journées mondiales, les autorités médicales de la région, notamment
de l’Education pour la santé (EPS), essayaient de mettre en branle
leur programme de sensibilisation contre le VIH sida et les infections
sexuellement transmissibles (IST), révèle Mamadou Samba Mbow, le
responsable régional d’EPS. Pourtant, le Comité régional de lutte
contre le sida existe depuis 1985. « Cette politique de sensibilisation
a été menée en faveur de nos répondants dans les six districts sanitaires,
il s’agit des associations de jeunes, des écoles, les groupements
féminins, etc.
Les jeunes venaient nous retrouver dans nos locaux pour des informations.
Nous avons choisi, devant la modicité de nos moyens, de faire la
communication de proximité et de distribuer des dépliants, des brochures
et d’utiliser des diapositives », rappelle M. Mbow. L’EPS est dotée,
en 1994, d’un poste téléviseur et d’une vidéo pour « moderniser
davantage » sa communication axée sur le sida et les IST. Une année
plus tard, s’implante, dans la région médicale, le Projet support
lutte contre le sida financé à hauteur de huit millions de francs
par la coopération canadienne. « Ces fonds de l’ACDI nous ont permis
de développer une formation des jeunes, en collaboration avec les
CDEPS, après une enquête de diagnostic. Le financement a été une
opportunité pour les jeunes d’initier des séances de sensibilisation
par le théâtre, les radio-crochets… Malheureusement, ce projet a
pris en 1995 », témoigne Mamadou Samba Mbow.
Il a fallu attendre trois années pour qu’un autre programme, celui
de FHI, s’installe, pendant deux ans, dans la région. « C’est véritablement
avec l’arrivée de FHI que nous avons pu bénéficier de moyens financiers
conséquents et aussi de moyens didactiques. Il y a eu un équipement
en supports et outils de travail. L’installation de FHI nous a offert
la possibilité de former dans chaque district 30 jeunes relais aussi
bien chez les garçons que chez les jeunes filles. Un soutien a aussi
été apporté au personnel de santé dans son travail de sensibilisation
», souligne le responsable de l’EPS. Le personnel médical n’a eu,
à en croire M. Mbow, de cesse de se déployer sur le terrain. Le
« partenariat fructueux » avec les CDEPS et autres mouvements de
jeunesse et féminins s’est articulé autour de conférences, causeries,
d’encadrement des activités sur le terrain et de formation.
L’Association pour le bien être familial (ASBEF) se fait remarquer
dans la sensibilisation depuis son installation en 1995. Elle s’est
également appuyée sur des relais. Tout comme l’Action pour le développement
(ACDEV) qui a la particularité d’avoir des relais polyvalents. Ces
relais, « tampon entre les populations et le personnel de santé
», n’ont pas accompagné le retour du FHI en 2000.
Ces différentes interventions poussent à l’optimisme sur les connaissances
acquises. «Nous avons eu beaucoup de satisfaction dans le travail
abattu. La région a été plusieurs fois choisie pour abriter des
temps forts de la lutte contre le sida. Mais, les comportements
sexuels observés poussent à relativiser cet optimisme même si nous
estimons que le taux de connaissance est très élevé sur le mode
de contraction et de contamination du sida. Ce taux de connaissance
ne traduit pas un comportement chez les jeunes. C’est pourquoi,
il faut redoubler d’efforts dans la sensibilisation. Il faudra résoudre,
dans cette quête, l’insuffisance de personnel de santé, et de moyens
pour sensibiliser dans toute la région. Il y a encore beaucoup de
jeunes qui se contentent d’informations erronées et une bonne proportion
de la population ne croît pas encore à la réalité de la maladie
», regrette M. Mbow. En l’absence d’un centre de dépistage, une
surveillance sentinelle et un suivi des femmes en grossesse (depuis
l’année dernière) ont cours. La région devrait être dotée bientôt
de centres de dépistage anonyme, sur financement FHI, à Fatick,
Sokone et Guiguinéo, selon Mamadou Samba Mbow. Il rappelle que «
toutes les actions préventives ont été accompagnées d’une politique
de distribution gratuite de préservatifs par le Programme national
de lutte contre le sida aux groupes vulnérables que sont les jeunes,
militaires, prostituées, routiers, ouvriers, prisonniers ».
Les jeunes à l’avant-garde
L’existence du sida, les jeunes de Fatick l’appréhendent aux contours
des dangers de la maladie. Même si les malades du sida ne courent
pas les rues ou ne font pas partie du lot quotidien, bon nombre
de jeunes sont à même de disserter sur les origines de la maladie
et ses conséquences. La sensibilisation et les appels à un changement
de comportement fondent une connaissance de la pandémie. « Il est
évident que la maladie existe partout et nous ne pouvons pas dire
que notre commune en est épargnée. La gravité de la maladie a dicté
une prise de conscience qui s’est traduite par des campagnes de
sensibilisation des jeunes. Ainsi, des réunions régulières ont été
tenues dans les établissements scolaires, en collaboration avec
les foyers, les associations sportives et culturelles et les mouvements
de jeunesse de la commune. L’objet de ces rencontres était d’informer
les jeunes sur les modes de prévention », rappelle Cheikh Camara,
président du conseil communal de la jeunesse de Fatick, par ailleurs
coordonnateur régional du Projet contre la vulnérabilité des jeunes
face aux infections sexuellement transmissibles (IST) et sida. Financé
par le FHI, l’exécution du projet dont M. Camara se fait l’écho
est assurée par FHI avec un financement de l’USAID. L’approche choisie
s’est faite, a en croire Cheikh Camara, par la déclinaison « à l’occasion
de séminaires de différents modules ayant trait à la communication,
au changement comportemental et aux explications sur les IST. Le
sida et les appareils génitaux ». Les thèmes choisis ne recoupaient
pas seulement que les IST et le sida. La santé de la reproduction
a fait l’objet d’un séminaire au mois de mars dernier.
La Swaa a également développé un programme, en partenariat avec
six mouvements associatifs de la région (en raison de deux par commune)
pour mieux informer sur le VIH/sida et les IST. La stratégie utilisée
pour atteindre la cible jeune a été de former deux relais, un garçon
et une fille, dans chaque commune. Après avoir été formés, ces relais
se font le devoir de multiplier, chaque mois, les connaissances
acquises auprès de vingt jeunes. La démarche ne manquait pas de
pertinence si l’on considère que des 50.000 habitants de Fatick,
les jeunes représentent 52 %.
« Nous avons beaucoup insisté sur l’abstinence et l’utilisation
des préservatifs. Des points focaux ont été installés dans chaque
quartier, sous la supervision des Associations sportives et culturelles
(ASC), pour la distribution des préservatifs. Il faut reconnaître
que vouloir préconiser l’abstinence chez bon nombre de jeunes peut
relever d’une illusion », laisse entendre Khodia Diouf, l’une des
deux relais de la commune de Fatick. L’unité de préservatifs était
cédée à 25 francs CFA. Pour le préservatif féminin, il n’ est pas
encore entré dans les mœurs.
« Pour bon nombre de jeunes de la ville, le sida serait une invention
pour les dissuader d’entretenir très tôt des rapports sexuels. Ainsi,
il est utile de leur parler d’abord des IST pour les convaincre
de l’existence du sida qui, contrairement aux IST, n’a pas encore
de remède », avance Mlle Diouf, âgée de 23 ans. Le corps médical,
les organisations caritatives et les associations qui livrent le
combat contre le sida peuvent s’enorgueillir de n’avoir pas mené
un vain combat tant il est vrai que les jeunes peuvent s’entretenir
sur le thème de la maladie.
« Le sida est une maladie très grave, transmissible par voie sexuelle
ou des objets souillés. Je conseille l’abstinence sexuelle ou l’utilisation
des préservatifs », avance Absa Wade, une jeune élève en secrétariat.
Sa copine, Néné Sarr, ajoute la transfusion sanguine et la transmission
de la mère à son enfant aux modes possibles de transmission de la
maladie et d’indiquer qu’elle « est une porte ouverte à toutes les
autres maladies ». Par rapport à l’utilisation du préservatif, les
deux autres camardes de classe, Ndèye Yandé Diouf et Khady Ly, font
remarquer que « même des rapports sexuels protégés ne sont pas fiables
à 100 %. C’est pourquoi, aucun jeune ne devrait accepter de faire
l’amour avant le mariage ». Pourtant les quatre jeunes filles, âgées
entre 20 et 23 ans, déclarent toutes avoir des copains.
«Mon petit ami n’a pas à me demander de faire l’amour avec lui s’il
m’aime vraiment. Il pourra attendre le mariage avant de passer à
l’acte sexuel »,souligne Mlle Wade. « Nous connaissons comment utiliser
les préservatifs, mais nous espérons n’avoir jamais à les utiliser
sauf dans le cadre du mariage ne serait-ce que pour éviter des grossesses
non désirées », soutient Khady Ly. « Notre souhait est de respecter
la tradition et sauvegarder les acquis des anciens. Autrement dit,
nous devons préserver notre virginité jusqu’au mariage », tranche
Néné Sarr.
« Surtout que, ajoute Yandé Diouf, nous vivons une époque où il
est dangereux de verser dans le vagabondage sexuel. »
La région de Fatick ne dispose pas encore de centre de dépistage.
Cheikh Camara espère que ce centre verra bientôt le jour ne serait-ce
parce que « certains vont déjà se dépister ailleurs en toute discrétion
». Nos quatre élèves vont jusqu’à suggérer des tests de dépistage
avant de contracter le mariage. L’absence de centre de dépistage
fait qu’il est impossible de donner un chiffre sur le nombre de
séropositifs, semble regretter Félix Nkaye, l’autre relais. Ce dernier
ne doute point de l’existence du sida dans la région du fait du
développement du tourisme, de la proximité des villes de Kaolack
et Mbour. Il est d’avis que le comportement sexuel, auparavant «
pas du tout catholique », des jeunes à tendance à changer.
« Tous les jeunes garçons, du moins ceux que je connais, utilisent
les préservatifs alors qu’il y a peu, nous pensions que le sida
n’existait pas encore à Fatick. Certains jeunes étaient réfractaires
à l’utilisation des préservatifs, soupçonnés d’altérer le plaisir
sexuel, mais, pour éviter le sida et des grossesses les préservatifs
sont devenus incontournables. Il faut comprendre que la plupart
des jeunes est constituée d’élèves qui ne voudraient pas avoir des
problèmes avec leurs parents ni à assumer les charges d’une paternité
précoce. Les autorités médicales nous ont poussés à une attitude
responsable et à prendre conscience de la gravité de la maladie.
Les médias aussi ont joué leur partition dans la sensibilisation»,
affirme Félix Nkaye. A Foudiougne, le développement du tourisme
est perçu comme le facteur propagateur de la maladie.
« L’arrivée d’étrangers et de jeunes prostituées nous inquiète.
La localité est très petite, ainsi il est risqué pour nos filles
de se livrer à la prostitution. On ne peut pas dire que le comportement
de certains guides soit exempt de tout reproche par rapport à la
propagation de la maladie », soutient El Hadj Mouhamet Sarr, élève
en classe de terminale. Il en appelle à une « sexualité responsable
» pour ne pas tomber dans le piège de la maladie.
CENTRE DE DÉPISTAGE DE KAOLACK
: Un anonymat et une gratuité qui rassurent
Le centre de dépistage volontaire et anonyme de Kaolack semble
perdu dans la ville. Implanté dans l’enceinte de Caritas, à deux
pas de l’hôtel Dior, le centre à l’allure d’un bâtiment anonyme,
inoccupé. Juste une plaquette qui renseigne sur sa vocation. La
sobriété et le silence qui l’entourent ajoutent à la crainte des
éventuels clients. Deux dames, au commerce agréable, sont les seuls
permanents de la cellule Sida services de l’Association catholique
de lutte contre le sida, créée en 1992. La décentralisation des
activités de cette association a profité à la région de Kaolack
qui a accueilli la première unité régionale ouverte le 1 er décembre
2001. Madeleine Senghor, l’une des techniciennes, déroule aux visiteurs
les activités du centre, qui dispose d’une salle d’attente, d’un
laboratoire et d’un bureau. Ces activités se résument à accueil,
conseil, prévention et dépistage volontaire, anonyme et gratuit.
« Nous nous occupons également de l’accompagnement des personnes
vivant avec le VIH (PVVIH). L’accompagnement comprend une prise
en charge psychosociale, médicale et spirituelle des malades. L’assistance
est faite pour permettre aux malades d’acquérir un traitement notamment
contre les maladies opportunistes. Le soutien spirituel ou moral
apporté est spécifique aux croyances de chaque malade », renseigne
Mlle Senghor. Une volonté de« relever la dignité humaine », souvent
bafouée pour certaines PVVIH est le soubassement de la philosophie
de l’accompagnement.
Parcours du combattant
La simplicité de l’ « itinéraire du client » n’en cache pas moins
un parcours du combattant. « Le client nous exprime l’objet de son
déplacement. Si celui-ci n’est pas lié au dépistage, nous l’orientons.
Mais s’il veut se dépister, nous lui soumettons un questionnaire
pour la préparation. Si son déplacement est lié au dépistage, nous
lui attribuons un numéro d’anonymat. L’entretien que nous avons
avec lui est centré sur les risques réels et les motivations qui
le poussent à faire le test. Nous le préparons aussi au résultat
du test », indique Mlle Senghor. Le prélèvement peut ainsi être
opéré dans le labo doté d’une chambre froide, d’une centrefigeuse
pour séparer le sérum. Des tubes de prélèvement des aiguilles sont
bien disposés sur des étagères. Le datamine permet de faire des
tests rapides. Le tube est doté de deux traits qui confirment ou
infirment de la séropositivité. Le client est fixé sur son sort
quelque dix jours après le prélèvement. Aucun résultat n’est donné
au téléphone. Et lors de la phase annonce, Mlle Senghor et Mme Ndiaye
reviennent sur les anonymats. Un résultat négatif donne lieu à des
remerciements formulés au client qui est « aidé à prendre conscience
des risques ultérieurs ». « Si le résultat est positif, poursuit
Madeleine Senghor, nous commençons par lever l’anonymat pour la
pise en charge et un traitement à base d’anti-rétroviraux. L’engagement
du client est requis avant que nous ne lui fassions une lettre d’orientation.
La levée de l’anonymat est obligatoire pour un traitement sous ARV,
mais la personne peut refuser de donner son identité. La délivrance
d’un résultat positif est particulièrement difficile, mais nous
n’avons pas encore connu de réaction agressive. Il n’est pas facile
d’apprendre un tel résultat, mais si la personne a été bien préparée
dans la phase pré-test, tout se passe bien ».
25 TESTS MENSUELS
L’objectif de 30 tests par mois semble avoir été atteint même si
un minimum de 25 clients est enregistré mensuellement. Le centre
a accueilli 505 clients depuis son ouverture. Des clients qui viennent
souvent de façon spontanée ou sur recommandation d’autorités médicales
de la région. « La plupart de nos clients sont âgés entre 18 et
35 ans du fait de la forte sensibilisation de cette tranche d’âge.
Nous accueillons également des adultes. Il faut remarquer qu’il
y a plus de femmes que d’hommes qui acceptent de faire le test.
Après une année de fonctionnement, 60 cas ont été testés positivement.
La ville est touchée par la pandémie », révèle Mme Ndiaye.
Le Centre se distingue aussi dans la prévention dans le milieu
scolaire. Seulement, il n’y a pas de volet préservatif dans son
fonctionnement conformément à l’esprit de l’église qui prône l’abstinence
et la fidélité. Les techniciennes aimeraient voir un rush de clients.
Elles se sont faites à l’idée que « certaines personnes préfèrent
être dans le doute que de se savoir séropositives ». Le centre,
acquis grâce à un financement de FHI dans le cadre d’un projet qui
prend fin en décembre 2004, espère accueillir un nombre important
de personnes.
Le centre de dépistage volontaire et anonyme de Kaolack semble
perdu dans la ville. Implanté dans l’enceinte de Caritas, à deux
pas de l’hôtel Dior, le centre à l’allure d’un bâtiment anonyme,
inoccupé. Juste une plaquette qui renseigne sur sa vocation. La
sobriété et le silence qui l’entourent ajoutent à la crainte des
éventuels clients. Deux dames, au commerce agréable, sont les seuls
permanents de la cellule Sida services de l’Association catholique
de lutte contre le sida, créée en 1992. La décentralisation des
activités de cette association a profité à la région de Kaolack
qui a accueilli la première unité régionale ouverte le 1 er décembre
2001. Madeleine Senghor, l’une des techniciennes, déroule aux visiteurs
les activités du centre, qui dispose d’une salle d’attente, d’un
laboratoire et d’un bureau. Ces activités se résument à accueil,
conseil, prévention et dépistage volontaire, anonyme et gratuit.
« Nous nous occupons également de l’accompagnement des personnes
vivant avec le VIH (PVVIH). L’accompagnement comprend une prise
en charge psychosociale, médicale et spirituelle des malades. L’assistance
est faite pour permettre aux malades d’acquérir un traitement notamment
contre les maladies opportunistes. Le soutien spirituel ou moral
apporté est spécifique aux croyances de chaque malade », renseigne
Mlle Senghor. Une volonté de« relever la dignité humaine », souvent
bafouée pour certaines PVVIH est le soubassement de la philosophie
de l’accompagnement.
Traitement sous anti-rétroviraux
à Kaolack : Pertinence d'une décentralisation
Le choix de la ville de Kaolack pour le traitement sous ARV n’est
pas fortuit. La position géographique, une ville carrefour, et son
importance démographique en a fait le « premier maillon de la décentralisation
de l’initiative sénégalaise d’accès aux anti-rétroviraux (ISAARV)
depuis l’implantation de son centre de dépistage en décembre 2001
», souligne le Dr Abdoulaye Mamadou Bâ, médecin-chef des maladies
infectieuses et coordonnateur du Comité régional de l’ISAARV de
l’hôpital régional El Hadj Ibrahima Niass. En l’absence de données
fiables, la région est vue comme l’une de celles qui présentent
le taux de prévalence le plus élevé du pays. Déjà en l’an 2000,
un bulletin épidémiologique mentionnait 14 mille séropositifs à
Kaolack contre 20 mille à Dakar et 8 mille à Thiès. Parmi les 14
mille personnes vivant avec le VIH, on dénombre 13.600 adultes et
400 enfants de moins de 15 ans. Six mille femmes sont séropositives
». Le taux de prévalence du VIH/sida de 1.8 de la région est supérieur
à la moyenne nationale, (1.4). Le médecin rapporte que bientôt une
«étude sur la séro-prévalence sur la base des données de la banque
de sang, des laboratoires régional et de l’hôpital et au centre
de dépistage sera entreprise».
Le Dr Bâ révèle que 153 cas sont déjà enregistrés sur la filactive
de sa structure. «Cette filactive est composée de personnes qui
connaissent leur statut sérologique et adhèrent aux conditions de
prise en charge. L’adhésion à ces conditions veut simplement dire
que le patient accepte son statut et d’honorer, avec régularité,
les rendez-vous avec tout le respect et le consentement éclairé.
Evidemment, de notre côté, nous sommes garants de la confidentialité
», révèle le coordonnateur. La prise en charge est pluridisciplinaire
puisqu’elle est œuvre de cliniciens, biologistes, pharmaciens et
acteurs sociaux pour l’accompagnement psycho-social. Elle s’applique
aux malades qui donnent un «consentement éclairé » dès la phase
pré-test. Le Comité se penche sur l’ «éligibilité ou non du client
après une enquête sociale et une analyse biologique». «A ce jour,
nous sommes à 40 cas sous traitement ARV et nous espérons doubler
ce nombre d’ici la fin de la première semaine du mois de mai (NDLR
: l’entretien a eu lieu au début du mois de mai). Nous avons envoyé
25 prélèvements à Dakar pour la numération des CD4.
Le traitement ARV n’est jamais une urgence et il convient de connaître
le taux de CD4 avant de l’appliquer et de s’entourer de toutes les
garanties avant de le démarrer. La maladie peut faire l’objet de
trois classifications, A, B et C. Au stade A, il est asymptomatique
et si le CD4 est inférieur à 200 par millimètre cube, il faut appliquer
le CD4. Au stade B, on dit que la maladie est pauci-symptomatique.
Mais au stade C on parle de sida clinique et, là, quelque soit le
taux de CD4, il faut mettre en route un traitement. En définitive,
on peut retenir que si le taux de CD4 est supérieur à 350 par mm
3 aux stades A et B, on peut simplement surveiller le malade pour
guetter éventuellement la chute du taux et ménager les affections
opportunistes », souligne le Dr Bâ.
Le Comité régional de lutte contre le sida intègre un volet dépistage
dans son programme. « Nous incitons ceux qui viennent nous voir
à aller se faire dépister au centre. C’est une recommandation du
Conseil national de lutte contre le sida et de la division contre
le sida que d’encourager les patients à un dépistage et de faire
de la prévention dans tous les centres», rappelle M. Bâ.
Le grand défi du Comité régional est de parvenir à une prise en
charge des jeunes personnes vivant avec le VIH. Jusqu-là, cette
prise en charge n’est effective que pour les personnes adultes.
«Nous avons entrepris de l’intégrer dans nos activités aussi bien
pour les enfants que dans la prévention de la transmission mère-enfant.
Ce qui explique la tenue prochaine d’un séminaire à l’intention
des pédiatres, des gynécologues, des sages-femmes et des pédiatres
de la région avec l’appui de la division IST/sida. Nous enregistrons
des cas isolés d’enfants de 10, 2 et 2 ans et démi qui sont séropositifs
», note Abdoulaye Mamadou Bâ. Il rassure sur le « stock d’ARV qui
ne souffre pas de pénurie ni de dysfonctionnement ». Les malades
sur la filactive « sont très conscients de leur situation, essaient
de ne point propager la maladie et prennent leurs responsabilités
avec courage et lucidité ».
Une large sensibilisation est menée dans le Plan d’action du Comité.
Des rapports sexuels de plus en
plus protégés
Les activités du centre régional d’éducation pour la santé (CREPS),
logé à la Région médicale de Kaolack, se confondent avec la célébration
d’événements spéciaux. Ces événements ont trait à la célébration
de journées mondiale de la santé, de l’allaitement maternel, du
sida…
Seulement, le Centre développe des activités permanentes, à en
croire Mbaye Sall, un éducateur pour la santé. Parmi ces activités,
il note la « communication de masse et interpersonnelle, la production
de spots radio, l’organisation de manifestations culturelles de
conférences, d’expositions dans les quartiers ». La supervision
et la formation sont à compter au chapitre des initiatives du centre.
Les IST et le sida ont amené l’équipe du CREPS à développer des
séances d’information, éducation et communication dans les bars
et les milieux des professionnels du sexe. « Nous utilisons une
boîte à images pour expliquer notre démarche et un sexe en mannequin
pour la démonstration du port du préservatif. En appoint, nous avons
deux prostituées comme relais pour répondre aux questions de l’assistance
», souligne M. Sall. Les « rencontres de solidarités sociales des
groupements féminins » et baptisés « sandi jamra » et les associations
sportives et culturelles ont été la cible de l’équipe de Mbaye Sall
pour la sensibilisation. « Nous répondons également aux sollicitations
qui nous soumises, mais nous devons essayer d’atteindre le maximum
de jeunes possibles étant entendu qu’on peut comparer les jeunes,
une couche vulnérable aux IST et au sida, aux homards qui, le temps
de changer de carapace, sont sans défense. Les jeunes doivent être
encadrés pour une bonne maturation. Les avortements sont consécutifs
à l’immaturité physique et psychologique.
Tout en prônant l’abstinence, il convient de développer des occupations
saines et ludiques, car autrement les jeunes vont s’intéresser au
sexe », suggère M. Sall. Dans un langage teinté d’humour et un argumentaire
qui puise ses expressions dans la tradition orale wolof, il s’époumone
sur le sida «une nouvelle maladie mortelle, sans remède ni vaccin.
Elle interpelle tout le monde. Quand on ne fait pas partie de la
solution, on fait partie des problèmes».
La solution, le Centre de conseil pour adolescent du CDEPS de Kaolack
veut en faire partie. L’objectif, révèle Galaye Yade, le coordonnateur
de Kaolack, est de « sensibiliser les adolescents pour qu’ils changent
d’attitude et de comportement en vue de devenir des adultes responsables
». Le travail s’effectue à deux niveaux : prévention et stratégies
de changement. Au premier niveau la sensibilisation est faite de
causeries, conférences autour des points d’information carrefour.
L’équipe de M. Yade offre des services, notamment par un traitement
si le sujet présente le VIH.Au delà, des relais pour la sensibilisation
des pairs, le CDEPS a initié l’installation de Club ados, de 25
membres, et qui sont présentement de 15. « Notre objectif est de
monter 100 Clubs ados à travers lesquels nous pourrons sensibiliser
directement tout en essayant de responsabiliser les jeunes. Par
ailleurs, nous faisons de la référence.
Autrement dit, quand nous ne pouvons pas prendre en charge la demande
de l’adolescent qui nous sollicite, nous l’orientons vers les structures
appropriées suivant nos critères : l’anonymat, la confidentialité,
la gratuité. Nous devons aussi ménager la sensibilité des adolescents.
C’est ainsi qu’il y a une écoute téléphonique », révèle Galaye Yade.
Le Centre distribue des préservatifs tout en mettant un accent sur
leur utilisation et l’abstinence. « Le taux de prévalence, soutient
M. Yade, de la région reste une inconnue. On peut dire qu’il est
alarmant. D’aucuns parlent de 2 %, mais ce taux doit être en-deça
de la réalité. Seulement, nous pouvons afficher un certain optimisme
vu que nous connaissons souvent une rupture de préservatifs. Ce
qui veut dire que les jeunes protègent de plus en plus leurs rapports
sexuels ».
CENTRE DE SANTÉ DE KASNACK : Confidences
de « la mère des prostituées »
Le Centre IST du district de Kasnack est connu pour le travail
qu’il abat. Il est un détour obligé pour ceux qui veulent cerner
la réalité du sida et des IST. Son ouverture, en 1976, lui a valu
une expérience dans le suivi des prostitués et des adolescents.
«Le constat qui a guidé à l’ouverture du Centre est l’importance
de la prostitution à l’époque de l’ONCAD. Il s’y ajoute que beaucoup
de professionnelles de sexe se plaignaient de maladies. Nous avons
intégré le sida dans nos priorités et un volet dépistage», soutient
Goundo Fofana, la responsable du Centre. Le taux de prévalence du
sida se situe entre 35 et 40 % chez le millier de prostituées suivies.
Bon nombre de jeunes seraient compris dans ce lot. Pourtant, les
membres du corps médical ne cessent de déployer des efforts pour
prévenir et sensibiliser. « Nous avons multiplié les séances pour
inciter et insister sur l’utilisation des préservatifs, du dépistage,
des modes de prévention. Les gens ne sont pas systématiquement portés
vers le dépistage». « Le volet sensibilisation est important pour
que celles qui sont déjà des séropositives ne versent pas dans la
clandestinité. La fourniture de préservatifs peut varier mensuellement
entre 28 et 40 pour une femme », assure le Dr Jean-Claude Boucal.
Il est à noter que l’ « âge minimal et légal pour l’exercice de
la prostitution est de 21 ans». « Il convient néanmoins de noter
que les prostitués sont mieux informés sur le sida que la population
générale. Cela est certainement du au volet éducation, développé
en collaboration avec la région médicale. Il y a encore beaucoup
de choses à faire. Je pense que nous ne parlons jamais assez du
sida », souligne M. Boucal. Au Centre de Kasnack, le dépistage est
systématique pour la surveillance sentinelle. « La fréquentation
du Centre anonyme de dépistage n’est pas ce qu’elle devrait être.
C’est pourquoi nous devrons continuer à sensibiliser et à descendre
dans les bars, les maisons closes en vue d’atteindre également la
clientèle des prostituées », avise Mme Fofana. Celle-ci, devenue
une « mère » des prostituées, soutient avoir vu trois générations
d’une même famille (grand-mère, mère, fille) avoir recours à la
prostitution. Ou encore quatre sœurs de même père et même mère se
livraient au métier. Elle trouve des explications pour ces « soutiens
de famille qui sont souvent divorcées avec des enfants en charge
ou abandonnées par leurs époux… »
CONFLIT GENRE : Quand les jeunes
en parlent…
« Le paludisme est plus dangereux que le sida puisqu’il fait plus
de victimes que le sida ». La boutade est d’un élève de 4ème au
cours d’une discussion sur le sida tenue avec treize autres de ses
camarades (garçons et filles), tous élèves et âgés entre 15 et 25
ans, au CDEPS de Kaolack. Au-delà de la possibilité de vérifier
une telle assertion sous nos tropiques, l’assertion de Zacharia
Dramé a le mérite d’éclairer la compréhension de la plupart des
jeunes sur le sida. Ousseynou Niang ne manque pas de lui répliquer
que la «maladie virale qu’est le sida expose notre système immuno-défense».
Parlant des modes de protection contre la maladie, nos interlocuteurs
sont unanimes à parler de rapports sexuels protégés. La protection
se ferait avec du «protec» défini par d’autres comme un « condom
» ou encore un «genre de toile mouillé et bien gardé pour qu’il
ne se déprime pas». Le préservatif est aussi dénommé, en langage
codé, «oreille d’enfant» et «chaussette». Comme pour mettre en exergue
une virilité soudain découverte, les jeunes garçons se laissent
aller sur le mode d’utilisation pendant que les filles restent silencieuses.
Elles écoutent ébahies, l’air innocent, la discussion, à nouveau
passionnée, opposant soudain deux clans de garçons. Elle porte sur
le doublement du préservatif pour «maintenir les chances de ne pas
contracter une maladie où encore de ne pas engrosser la partenaire».
« Cela est déconseillé. Il faut simplement respecter les prescriptions.
Il n’est donc point utile de le doubler », calme celui qui semble
en connaître plus que ses camarades. Pour le préservatif féminin,
les jeunes filles déclarent en avoir appris la commercialisation
même si elles ne l’ont encore jamais vu ni utilisé. Il a « la forme
du bombon polo », soupçonne l’une d’elles. Si les jeunes filles
sont d’avis qu’il faut attendre le mariage pour passer à l’acte
sexuel, afin de préserver sa virginité, certains garçons les taxent
d’être de «veilles ringardes». C’est reparti pour des échanges sur
la perte de la virginité. Et l’hymen, convoqué pour éclairer sur
la virginité, est disséqué par les jeunes. La morale et la tradition
sont également mises à profit, par les unes, pour expliquer la «
déception, le manque de respect éventuel d’un mari qui se rendrait
compte que sa dulcinée a déjà perdu la virginité ». « Il est faux
de parler de préservation de virginité alors que de nos jours, tout
le monde sait que l’âge du premier rapport sexuel est très précoce
aussi bien chez les garçons que chez les filles », lâche l’un des
garçons. Les filles campent sur leurs positions et se font à l’idée
« qu’il est possible d’avoir un copain sans entretenir des relations
sexuelles ».
Des medias solidaires
«Contribuer à renforcer les connaissances des jeunes sur les questions
liées au VIH, amener les jeunes à être plus réceptifs aux messages
de prévention et à s’approprier des actions de prévention ». Tels
sont, entre autres, quelques objectifs des termes de référence de
la campagne mondiale «Médias-Jeunes/sida» du Projet Youth Net. Une
campagne, dénommée encore « Rester en vie », qui a conduit le Conseil
national de lutte contre le sida (CNLS) et le FHI à élaborer une
stratégie visant à «donner la parole aux jeunes pour freiner l’infection».
Elle s’est traduite par un protocole entre FHI et certaines stations
radio de la ville de Kaolack. «Le protocole était d’une durée de
six mois et s’est terminé au mois de mars dernier. En ce qui nous
concerne, nous avons réalisé des émissions en ciblant les adolescents
et en décentralisant l’antenne pour aller dans les marchés hebdomadaires.
Cette émission est animée par le médecin-chef. Selon l’actualité,
celui-ci se penchait sur un thème bien spécifique », souligne El
Hadji Guissé, le directeur de la station régionale de Sud-Fm. Le
partenariat avec FHI a permis de « renforcer nos capacité de multiplier
les informations ». La démarche de la radio s’est traduite par un
« engouement populaire » à en croire son directeur. Pour les six
émissions réalisées au studio, M. Guissé se réconforte du nombre
d’appels reçus. L’effort de la radio ne s’est pas arrêté qu’à la
production et la diffusion de 240 spots. Sa contribution est évaluée
à un million de francs CFA. Une somme équivalente à celle que doit
lui remettre FHI. Un contrat similaire, mais de trois mois, a été
signé avec la station Dunyaa qui avait également une émission hebdomadaire
sur la santé. «Cette émission interactive a eu un succès retentissant
au vu du nombre d’appels téléphoniques. Avec FHI, nous avons développé
des jeux-concours pour inciter les jeunes à participer davantage
», signale Adama Edouard Ndiaye, le chargé des programmes.
Lire l'article original : http://www.lesoleil.sn/dossiers/dossier.CFM?dossier__id=215
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