Ibou hésite un peu. Et son camarade qui l'accompagne cette après-midi
le dévore du regard, tout en ayant l'air de ne pas trop s'intéresser
à la question qu'on leur a posée. Il détourne son regard, le temps
de mûrir sa réponse, avant de glisser sur un ton qui frise la timidité
: "Bien sûr que j'ai commencé à avoir des rapports sexuels". Alors,
utilise-t-il le préservatif ? Du moment où il n'a pas choisi l'abstinence,
au risque de devenir papa à un âge aussi jeune, ou d'attraper les
Ist/VIH/Sida.
Ah ! Cet adolescent qui a soufflé en janvier 2003 ses 17 bougies
semble complètement désorienté. Il est vrai qu'Ibou a entendu parler
de ce moyen de protection contre les grossesses non désirées et
les Ist-Sida, mais jamais il ne l'a expérimenté. D'ailleurs, il
ne souhaite plus en dire plus sur un sujet que son ami et lui ont
trouvé gênant. Ainsi, le duo esquive les questions qui devaient
suivre. Trêve de discussions. Et ils quittent l'arrêt d'autobus
où nous les avons trouvés pour, peut-être, se diriger vers un autre
plus proche. Et ils sont nombreux, les jeunes qui ne veulent point
aborder ces thèmes concernant leur sexualité.
En tout état de cause, la réponse de ce jeune garçon est révélatrice
de deux éléments fondamentaux : la précocité des rapports sexuels
et le non recours aux moyens contraceptifs chez la plupart des jeunes.
Ce que confirment les résultats de l'Enquête démographique et de
santé (EDS III) de 1997. Notamment chez les femmes. En effet, cette
enquête révèle qu'en "atteignant 15 ans, 16 % des femmes âgées de
20-49 ans, ont déjà des rapports sexuels". Des informations corroborées
par une autre étude menée en 1998 auprès des élèves au Sénégal.
En effet, selon cette enquête, "51 % des garçons avaient eu leur
premier rapport sexuel entre 15 et 19 ans, et qu'avant 15 ans 38
% de ceux-ci avaient eu leur première expérience sexuelle".
Toujours concernant cette tranche d'âge, on a remarqué que les
rapports sexuels précèdent généralement le mariage. C'est pourquoi,
Mme Fatoumata Tandian, adjointe au directeur du Projet promotion
jeunes (PPJ) est au regret de dire que "les jeunes sont sexuellement
très actifs". Alors que, soutient Mouhammadou Moustapha Thiam, assistant
social au Centre de santé de la reproduction des jeunes de l'ASBEF,
la prévalence contraceptive chez cette catégorie de la population
était évaluée à 0,7 %, en 1998.
Et les 11 cas de grossesses non désirées concernant des jeunes
filles de moins de 20 ans relevées entre janvier et mars 2003 au
Centre de santé de la reproduction des jeunes de l'ASBEF de Dakar
sont assez révélateurs du danger qui guette une jeunesse laissée
à elle-même. Il s'y ajoute, dans la même période, que trois cas
de viol ont été signalés.
Aussi, souligne Mme Fatoumata Tandian du PPJ, "le taux de prévalence
s'agissant des Ist-Sida, est très élevé". D'où la nécessité de renforcer
davantage la sensibilisation sur la santé de la reproduction des
jeunes. Tel que recommandé par la Conférence internationale sur
la population et le développement (CIPD) du Caire qui stipule :
"Il faut essayer de résoudre les problèmes de santé en matière de
sexualité et de reproduction des adolescents. Notamment les grossesses
non désirées, les avortements pratiqués dans de mauvaises conditions
de sécurité, les Mst et le Vih-Sida, en encourageant un comportement
procréateur et sexuel responsable et sain, y compris l'abstinence,
et en fournissant des services et une orientation particulièrement
adaptés à ce groupe d'âge".
C'est pour assurer une sensibilisation pérenne que le Projet promotion
jeunes (PPJ), rattaché au ministère de la Jeunesse, et l'Association
sénégalaise pour le bien-être familial (ASBEF) ont mis en place
des centres conseils et des centres de santé, afin de répondre aux
besoins des jeunes en matière de santé de la reproduction.
COUVRIR 25 % DES BESOINS EN SR DES ADOLESCENTS
La division de la santé de la reproduction du ministère de la Santé,
de l'Hygiène et de la Prévention a tenu les 2 et 3 avril 2003 les
journées nationales de la Santé de la Reproduction (SR). Regroupant
divers spécialistes, ces journées avaient pour objectif d'identifier
les contraintes majeures liées à l'offre et à la demande de services
de santé de la reproduction. Qu'il s'agisse de la maternité à moindre
risque, de la planification familiale et de la santé de la reproduction
des adolescents. Concernant ce dernier point, la Division de la
santé (DSR) de la reproduction se propose d'assurer la couverture
des besoins en SR des adolescents de 25 %. Tel que libellé dans
le document concernant l'analyse de l'offre et de la demande de
santé de la reproduction. Également, dans le cadre de la santé de
la reproduction des adolescents, la DSR se fixe comme objectif de
réduire, pour cette année, de 25 % l'incidence des grossesses précoces
ou non désirées des jeunes filles de moins de 20 ans. Ce chiffre
devant être revu à la hausse encore de moitié, d'ici à 2007, avec
une réduction notoire de 50 % des grossesses précoces ou non désirées.
UN CADRE SECURISANT POUR JEUNES
C'est dans la dynamique des recommandations de la conférence du
Caire de 1994 que le PPJ, qui, à travers une enquête, avait décelé
que les jeunes avaient des difficultés à fréquenter les structures
sanitaires existantes, initie à partir de 1996 deux centres expérimentaux
à Dakar. C'était avec une équipe pluridisciplinaire composée de
sages-femmes, assistants sociaux, psychologues, conseillers en Iec
… Ces derniers étant chargé de développer les deux stratégies mises
en place par le PPJ. Il s'agit de la prise en charge des aspects
cliniques, avec l'offre de services, l'écoute et l'accompagnement
psycho-social ainsi que la sensibilisation, souligne Fatoumata Tandian,
adjointe au directeur du PPJ. Après la phase expérimentale, d'autres
structures ont été édifiées à Rufisque, Mbour, Kaolack, Ziguinchor,
Louga, Mbacké, Tamba, Kédougou. Avec le programme quinquennal démarré
depuis l'année dernière, le PPJ a doté Kolda, Vélingara et Bakel
de centres conseils. Et la particularité des structures du PPJ réside
dans le fait qu'elles sont toutes logées dans l'enceinte des Centres
départementaux d'éducation populaire et sportive (CEDEPS). Contrairement
aux deux centres de santé de la reproduction des jeunes de l'ASBEF
dont l'un est basé à Dakar et l'autre à Richard-Toll, qui sont des
entités à part.
Créé en 1998, le Centre de santé de la reproduction des jeunes
de l'ASBEF de Dakar s'est fixé comme objectifs : "Accroître le niveau
de connaissance des jeunes de la santé de la reproduction, amener
les jeunes sensibilisés à adopter des comportements sains et responsables,
et offrir des services de santé sexuelle reproductive et de médecine
générale aux jeunes de Dakar et de Richard-Toll", affirme Abdoul
Aziz Cissé, coordonnateur du centre de Dakar.
L'essentiel de ses services se résume à la contraception, à la
gynécologie, aux consultations prénatales, à la prévention et au
traitement des Ist-Sida, à la lutte contre l'infertilité et l'infécondité
et aux conseils.
Les viols, les cas de fugue étant fréquents chez les jeunes, Mme
Tandian du PPJ reconnaît que les parents viennent souvent les voir,
accompagnés de leurs enfants pour signaler des cas de ce type. Il
en est de même de la pédophilie.
MAÏMOUNA GUEYE
Lire l'article original : http://www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=27216&index__edition=9891
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