Au
Sénégal, ils sont plusieurs milliers à vivre au-delà de 70 ans.
Malades et souvent mal entretenues, les personnes du troisième âge
sont aujourd’hui face à leur destin. Certains, pour survivre, sont
obligés de continuer à travailler et entretenir leur famille là
où d’autres doivent se " démerder " au quotidien pour faire face
à leurs besoins.
Sur
la population sénégalaise, les personnes âgées représentent un effectif
de 7 %. Dans le monde développé comme au niveau des pays du tiers
monde, ils sont devenus une frange importante de la démographie
mondiale, grâce à l’accès aux soins de santé, une meilleure hygiène
de vie, des moyens plus importants.
Cette situation ne donne pas sans doute, toute la mesure du problème
des vieillards dans le monde. Estimé aujourd’hui à plus de 629 millions
dans le monde, le nombre des personnes âgées de 60 ans et plus,
devrait atteindre les deux milliards d’individus dans un demi-siècle.
On
devrait assister, à cette échéance, à un bouleversement démographique,
avec pour la première fois, une population de personnes âgées supérieure
à celle des enfants dont l’âge est compris entre 0 et 14 ans. L’information
est donnée au sortir de la deuxième assemblée mondiale sur le vieillissement,
tenue à Madrid en avril dernier.
Il a été également indiqué au cours de ce même sommet, que la majorité
des personnes âgées sont des femmes. Celles-ci ayant une espérance
de vie supérieure à celle des hommes. Cette situation valable dans
les autres parties de la planète n’épargne pas le Sénégal. Un pays
qui a vu le nombre de sa vieille population augmenter de façon spectaculaire.
Lors du dernier recensement général de la population et de l’habitat
effectué au Sénégal en 1988, les personnes du troisième âge représentaient
5 % de la population.
Face
à une société en mutation, les vieilles personnes éprouvent aujourd’hui
d’énormes difficultés pour s’adapter car étant victimes d’une certaine
marginalisation. Amadou Sall, septuagénaire, président de la section
des anciens combattants d’Indochine, d’Algérie et de Madagascar,
estime que les personnes de sa génération constituent la frange
la plus touchée par la pauvreté. " La cause ", selon lui " est à
lier aux modestes pensions de retraite que nous percevons. Dès lors,
nos conditions de vie deviennent de plus en plus catastrophiques.
Il
faut également ajouter à cela la discrimination dont nous faisons
l’objet de la part de l’Etat français qui a décidé que les combattants
de la métropole devaient être mieux payés que nous autres de l’Afrique.
Alors que sur le front, la balle ne choisissait pas le blanc ou
le noir ", fulmine le vieux sall rencontré à l’Office national des
anciens combattants.
Père de plusieurs enfants dont la plupart sont encore au chômage,
Amadou sall rencontre toutes les peines du monde à nourrir sa famille.
" N’eût-été le soutien de deux de mes enfants émigrés, la situation
aurait été pire, " souligne le vieux " guerrier ".
Un
autre vieillard, le commandant Douadjabi Diallo, de l’Association
nationale des anciens militaires invalides du Sénégal (Anamis) mobilisé
lors de la guerre d’Algérie, mais également en Tunisie pour les
guerres d’indépendance, indique que dans que "dans notre pays, les
anciens combattants servent uniquement à porter des médaille ".
Cet état de fait ne pourrait surprendre dans un pays tel que le
Sénégal où la personne du troisième âge est considéré comme quelqu’un
de faible. Donc quelqu’un qu’on doit impérativement assister alors
que les vieillards ont beaucoup à apporter dans la marche d’une
nation ", souligne le vieux Douadjabi Diallo.
Une
couche sociale défavorisée
Le commandant Diallo n’hésite pas également à élargir son argumentaire
aux énormes difficultés à commencer par la marginalisation à laquelle
font face les vieilles personnes. En dépit de tous ces facteurs
bloquants, le vieux Diallo estime que les personnes du troisième
âge ont un important rôle à jouer. Il s’agira d’une part pour les
anciens, de servir d’exemple de droiture, d’honnêteté, d’abnégation
et de perfection dans le travail.
Ils peuvent, d’autre part, grâce à leur expérience et par le biais
d’un comportement exemplaire, amener le citoyen à parfaire son civisme.
Seulement, pour pouvoir jouer ce rôle catalyseur, les personnes
du troisième âge demandent à être impliquées dans la gestion des
affaires publiques. Et le commandant Diallo de prôner la tenue d’un
séminaire national au cours duquel seront débattues toutes les questions
liées "au rôle et à la place des vieilles personnes au Sénégal."
Embouchant
la même trompette, Mamadou Ndoye, le président de l’Association
des retraités du Sénégal (Ars) et de la Fédération des associations
de retraités et de personnes âgées du Sénégal (Farpas) invite les
pouvoirs publics à instituer un statut pour les personnes du troisième
âge. Ce qui permettrait de définir leur place dans la société tout
en les associant à la prise de décisions importantes dans la vie
des individus. A cela, il faut ajouter la demande de mise sur pied
d’un conseil des sages dans les collectivités locales et autres
structures décentralisées, la création d’une cellule d’aide et d’assistance
aux personnes âgées en plus de la mise en place de structures intergénérationnelles
qui réuniraient les jeunes et les vieillards.
L’obtention
d’une carte sésame permettant aux vieilles personnes de bénéficier
des avantages dus à leur statut figure parmi les doléances de l’Ars.
Dans la même foulée, Mamadou Ndoye estime que l’État doit se pencher
sur le sort des personnes âgées qui ne sont pas couvertes (paysans,
pêcheurs, artisans…) en instaurant un système de retraite à la carte
tel que pratiqué au Maroc et en Tunisie.
"
Lever les tabous sur le vieillissement "
Les
tabous sur le vieillissement doivent être levés selon le le docteur
Mamadou Koumé, gérontologue-gériatre, medecin–chef du centre médico-social
de l’institution de prévoyance maladie du Sénégal (Ipres). Lui et
ses collègues gérontologues–gériatres ont ainsi un combat à mener
pour arriver à changer la perception pleine de préjugés, de certaines
personnes sur la question du vieillissement. médecin-chef de service
du centre médico-social de l’Institution prévoyance retraite du
Sénégal (Ipres) ouvert en 1982 pour assurer la couverture sanitaire
des retraités et de leurs familles, " Dans notre société, en effet,
nombreux sont ceux qui ont tendance à associer la vieillesse avec
la maladie, la dépendance et le manque de productivité. Cependant,
pour le Dr Koumé, cette vision est complètement erronée car elle
reflète une parfaite méconnaissance du processus de vieillissement
qui consiste en une détérioration progressive de l’organisme".
Trois manières de vieillir
La vieillesse pourrait se manifester de trois manières différentes.
Il s’agit d’abord du vieillissement usuel (c’est un vieillissement
commun suivant l’horloge biologique qui découle d’un déclin progressif).
Il y’a ensuite le vieillissement pathologique anormal qui s’accompagne
de maladies, de pertes autonomes et d’autres handicaps et il y’a
enfin le vieillissement réussi dont les facteurs prédictifs sont
entres autres, une bonne activité physique, une alimentation saine,
un arrêt de la consommation de tabac. "C’est dès la jeunesse que
commence un vieillissement réussi", explique, ainsi, le Dr Mamadou
Koumé.
Hypertension
artérielle, diabète, rhumatisme, arthrose… Le calvaire des personnes
âgées
Les
nombreux "trous de mémoire" et autres moments d’absence répétés
peuvent parfois être les symptômes de la vieillesse. Dans ces situations,
il est fréquent d’entendre l’entourage dire de manière laconique
et sans aucune inquiètude : " da fay naakh" (littéralement en wolof
: le vieux n’est plus en possession de toutes ses facultés mentales).
Toutefois, cette façon de banaliser ce type de "pathologie" n’est
pas pour rassurer le Dr Koumé qui souligne que le "naakh" n’est
pas scientifiquement prouvé. C’est un phénomène purement culturel".
Raison pour laquelle, il est conseillé de faire recours à des spécialistes
pour consulter une personne âgée sujette à des " oublis " afin de
rechercher les causes et les mécanismes qui sont à l’origine de
ces facteurs pathologiques. Des facteurs pathologiques qui ont souvent
pour noms : syndromes dépressifs, hydrocéphalie, syndrome d’Alzheimer
qui ne s’observe généralement qu’à un âgé très avancé (vers 80 ans).
Et le Dr Coumé d’ajouter que "rien en peut échapper à un examen
médical". Cependant, lorsque ces troubles découlent d’une détérioration
cognitive liée à l’âge médicalement dénommée "Minor cognitive impaire",
le Dr Koumé estime qu’il n’y a pas lieu de dramatiser.
Avec
une équipe de cinq médecins (un urologue, un ophtalmologue-chirurgical,
un kinésithérapeute, un biologiste et pédiatre), le centre médico-social
de l’Ipres accueille une moyenne de 250 personnes en consultation
par jour. En dehors des retraités de l’Ipres qu’elle reçoit, la
structure accueille également leurs épouses et leurs enfants. Ces
derniers sont admis aux consultations et aux soins jusqu’à l’âge
de 21 ans. Selon le Dr Koumé, les vieux patients qui viennent se
faire consulter au niveau de son centre se plaignent généralement
de pathologies aiguës (paludisme, diarrhée, bronchites) ou de pathologies
chroniques dites dégénératrices telles que l’hypertension artérielle
et autres cardiopathies.
D’autres
maladies dites métaboliques comme le diabète, la goutte, les arthroses,
les rhumatismes ainsi que les affections urologiques, neurologiques,
prostatiques sont également signalées chez les personnes du troisième
âge. Après la retraite, certaines personnes du troisième âge, à
cause d’un sentiment de perte d’utilité, développent une dépression
masquée qui est une forme de maladie qui se manifeste souvent par
une anorexie.
Laisser
une place aux grands-parents
Gardiennes
de la mémoire collective d’un peuple et des valeurs ancestrales,
les personnes âgées ont aujourd’hui un rôle social important à jouer
dans les familles. Hier, grand-père ou grand-mère, ils étaient nombreux
à bercer de contes, les nuits des enfants. Pour le docteur Koumé,
" au nom de l’intergénération, les jeunes doivent réserver aux personnes
âgées la place qui leur revient ".
Telle
une prière, le médecin exhorte les populations à respecter scrupuleusement
les principes d’épanouissement personnel et de dignité des personnes
du troisième âge, tels que définis par les nations unies. Elles
ont dans toutes les sociétés, une fonction de médiation sociale
qui leur procure une position incontournable dans l’équilibre de
la grande famille.
C’est
pour cette raison, affirment certains spécialistes des questions
de vieillesse, qu’ils doivent jouir dans notre société d’un statut
privilégié. A en croire le docteur koumé, la protection des personnes
âgées constitue, le dernier rempart contre les agressions extérieures
et les dangers de la mondialisation qui peuvent ébranler notre enracinement
et altérer notre identité culturelle.
Vieillissement
de la population. Un phénomène universel
Le
constat fait par l’Organisation des Nations Unies au cours des décennies
qui viennent de s’écouler est que le vieillissement actuel de la
population est un phénomène universel et inédit dans l’histoire
de l’humanité. Comme un phénomène irréversible, ce phénomène a d’ores
et déjà des conséquences et des incidences majeures sur tous les
aspects de la vie humaine. Au plan économique, il aura, selon les
experts du Pnud, des incidences sur la croissance économique, l’épargne,
l’investissement et la consommation, le marché du travail, les retraites.
Egalement la fiscalité et les transferts inter générationnelles
de richesse, sur les biens et les soins en général.
Ce
vieillissement devrait aussi avoir des incidences jusque sur les
secteurs de la santé et des soins médicaux. Mais surtout en Afrique
comme dans le monde, sur la composition des familles et les conditions
de vie, le logement et les migrations. Dans le monde en général,
on a enregistré des progrès spectaculaires en terme d’allongement
de la durée de vie. Depuis 1950, l’espérance de vie a gagné près
de 20 ans, passant de 46 ans à 66 ans. Parmi les personnes atteignant
60 ans, les hommes peuvent espérer vivre encore 17 ans et les femmes
20 ans. Toutefois, il subsiste encore de grandes disparités concernant
le taux de mortalité. Dans les pays en développement, les chiffres
ont baissé et sont de 15 ans, pour les hommes de 60 ans et de 16
ans pour les femmes. Tandis que dans les pays développés, l’espérance
de vie à 60 ans est de 18 ans pour les hommes et de 23 ans pour
les femmes.
Le
nombre de personnes âgées dans les zones rurales d’Afrique, d’Asie
et d’Amérique latine, devrait doubler d’ici à 2025. Dans les régions
en développement, comme le Sénégal, les plus de 60 ans, représentent
aujourd’hui, selon chiffres disponibles donnés par les Nations Unies,
quelque 8% de la populations. Mais, d’ici 2050, ils devraient représenter
près de 20% de la population. Dans 10 pays, principalement situés
en Afrique subsaharienne, la proportion de personnes âgées dans
les zones rurales est au moins deux fois plus élevées que dans les
zones urbaines. En zone rurale, le nombre des femmes âgées est supérieure
et dans certains cas très supérieure, à celui des hommes âgés.
Un
allongement de la vie active
Dans
les pays développés, les personnes âgées sont depuis longtemps,
autorisées à continuer à travailler aussi longtemps qu’elles le
souhaitaient ou qu’elles le peuvent. Cet allongement de la vie,
selon les spécialistes, peut avoir une incidence positive sur leur
revenu, sur le marché du travail, sur les retraites et sur les régimes
de sécurité sociale. Dans les zones rurales des pays en voie de
développement. Cependant, cela peut s’avérer impossible, selon eux,
notamment dans le cas d’activités reposant sur un travail physique
important. Dans les régions touchées par le Vih/Sida, soit dans
beaucoup de régions d’Afrique, les personnes âgées travaillent déjà
aussi longtemps et aussi durement qu’elles le peuvent : beaucoup
parmi elles ayant à leur charge les enfants des malades du Vih/Sida,
leurs propres petits enfants, sont obligées d’assumer seules le
travail agricole et de tenir lieu de parents à tout ce monde. Pour
certains médecins chargés de la prise en charge des vieilles personnes,
il conviendrait pour ces gens-là, de mettre en place des aides techniques
et organisationnelles novatrices en terme de travail et de retraite.
Une féminisation du vieillissement
Les
femmes vivent plus longtemps que les hommes et sont bien souvent
plus pauvres. Vivant plus longtemps, il y a plus de risque, disent
les médecins, qu’elles souffrent d’invalidité liées à l’âge. Les
femmes sénégalaises souffrent de plus en plus à plus de 60 ans,
de problèmes de rhumatismes qui affectent les jambes et une grande
partie du corps. Or du fait de leur situation économique plus difficile,
la plupart n’ayant jamais eu accès à un emploi, leurs problèmes
de santé sont souvent négligés voir ignorés. Trop souvent, déplorent
encore les spécialistes, les systèmes de santé ne sont pas adaptés
aux femmes et les responsables publics, à les en croire, ne s'y
intéressent pas assez et allouent peu de ressources en faveur de
l’atténuation des invalidités qui les touchent souvent en optant
pour l’aide à domicile plutôt que pour des soins à l’hôpital.
Vieillir
sans devenir vieux
A
70 ans révolus, Abdoulaye Wade dirige encore le Sénégal. Comme lui,
de nombreux septuagénaires sont encore en activité dans le monde
et à des niveaux de responsabilités très élevés. C’est bien le signe
que les vieilles personnes assises à longueur de journée sur un
canapé ou une chaise pliante est révolu. En soignant son alimentation,
en continuant à s’activer et à apprendre, on vit dde mieux en mieux,
et plus longtemps.
Depuis
quelques années, l’Organisation mondiale de la santé (Oms) a développé
un nouveau concept intitulé, " comment vieillir sans devenir vieux
", en encourageant les mesures qui permettront aux personnes de
demeurer actives le plus longtemps possible.
Le
vieillissement actif consiste ainsi à optimiser le bien-être physique,
social et mental, tout au long de la vie en vue d’allonger la durée
de vie en bonne santé, la productivité et la bonne qualité de vie
jusqu’à un âge avancé. Quelques pistes ont été dégagées par les
gérontologues pour un vieillissement actif.
Pour
ce qui est de l’aspect sexe et culture, la différence de sexe peut
avoir une incidence importante sur le statut social, les moyens
d’accès aux soins, à un emploi etc. Les facteurs comportementaux
à travers le changement d’attitude est un autre pallier à franchir
pour bien vieillir. Il s’agit d’activités physiques équilibrées,
un régime alimentaire sain et bénéfique à la santé mentale. Outre
la quantité suffisante de calcium, les vitamines D et B12 sont particulièrement
recommandées, mais un régime équilibré et varié est également essentiel.
Les carences en vitamines chez les personnes âgées peuvent être
à l’origine de graves démences.
Arrêter de fumer, même tard, pourrait contribuer à réduire fortement
le risque de crise cardiaque, d’infarctus et de cancer du poumon.
Boire de l’alcool en quantité raisonnable (moins d’un verre par
jour) peut aussi en partie permettre d’éviter les problèmes coronariens
et les crises cardiaques chez les personnes âgées de 45 et plus.
Mais l’abus d’alcool produit l’effet inverse.
L’environnement physique et social influe aussi sur le vieillissement
des personnes. Un soutien social, la possibilité d’être formé et
d’apprendre tout au long de sa vie permet de mieux aborder la vieillesse.
S’y ajoute la possibilité de sortir, rendre visite à des voisins
et se promener dans des parcs, dans la brousse, en toute sécurité.
Ce qui a l’avantage de faire oublier l’isolement ou les risques
de dépression. L’exposition à des situations de conflits en famille,
accroissent fortement le risque d’invalidité et de décès prématurés.
Mame Aly KONTE & Hawa BOUSSO
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l'article original : www.sudonline.sn/archives/19062002.htm
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