L'hôpital
d'Ourossogui, situé dans la région de Matam dépiste chaque semaine
4 nouvelles personnes infectées par le VIH. Ceci montre l’acuité
de l’épidémie dans cette zone. Depuis quelques années, l'infection
à VIH/Sida constitue un véritable problème de santé publique. Selon
les chiffres recueillis au niveau des structures sanitaires, la
situation est alarmante dans la nouvelle région de Matam, une zone
qui ne semble pas jusqu’à aujourd’hui touchée par les multiples
campagnes de sensibilisation. En effet, dans la ville de Ourossogui,
la plus commerciale de la région, aucune action concrète dans le
domaine de la prévention n'a été menée depuis trois longues années.
Dans une zone peuplée d'une population très ancrée dans ces traditions,
la maladie du SIDA est toujours concédée au destin et est réservée
à certains hommes “libertins”.
Mieux
encore, le SIDA y est perçu comme une maladie du “diable” impossible
à guérir, n'ayant aucun rapport avec le sang et encore moins avec
le rapport sexuel, comme le confirment les techniciens de la santé
publique. Une décennie après l’enregistrement de certains cas dans
la zone nord du pays, la situation est aujourd'hui plus qu'inquiétante.
A l'hôpital régional de Ourossogui, trois à quatre malades du SIDA
sont reçus chaque semaine. Et mieux encore, selon une étude réalisée
sur place, la prévalence de l’infection à VIH représenterait 5 %
de la population de la région de Matam.
Malgré
l’ampleur de cette épidémie et le nombre de plus en plus élevé de
malade avérés, cette structure sanitaire est de moins en moins lotie
en moyens médicaux pour prendre en charge des malades qui, après
quelques jours d’observation dans les services de l'hôpital, sont
envoyés par la suite vers Dakar, où ils suivront un traitement.
Jusque-là, l'hôpital de Ourossogui ne dispose d'aucun médicament
ARV et n’a que peu de produits pour les infections opportunistes,
alors que le sida y fait de nombreuses victimes.
INQUIETUDE
DES AUTORITÉS SANITAIRES
La forte propagation de l’infection à VIH a fini de susciter une
grande inquiétude chez les autorités sanitaires de la région. Le
directeur de l'hôpital, M. Seck, ne cache pas son amertume : “Ce
qui se passe dans le Fouta est extraordinaire. Je n'ai jamais connu
une zone avec autant de malades du SIDA. Ce qui est plus étonnant,
c'est qu'il n'y a jamais eu de soutien de la part de ceux qui ont
en charge les différents programmes de lutte contre le SIDA. Depuis
que je suis à la tête de cet hôpital, je ne peux pas vous dire le
nombre de cas détectés chaque jour dans nos services. On dirait
que la population ignore encore qu’on peut éviter de contracter
le virus ”.
Certaines
ASC ont bénéficié de financements pour mener des activités dans
le domaine de la prévention. L’impact de leurs interventions ne
semble pas très important si l’on considère la réaction des responsables
du laboratoire de l'hôpital. Selon l'un d'eux, M. Sagat Wadji ,
“depuis qu'on a commencé à parler du sida, le nombre de donneurs
de sang a baissé. Pour beaucoup de personnes, on risque de se faire
contaminer en donnant son sang. Cela donne une idée du déficit d’information
sur le SIDA dans la région. Devant les cas urgents, nous sommes
obligés de faire appel aux services du camp militaire pour sauver
des patients. A cela s'ajoute l’importance du rôle joué par ces
croyances traditionnelles.
Beaucoup
d’habitants de Fouta estiment que le sang de “nobles” ( ”Torodo”)
ne doit pas être transfusé à un “esclave” (“Mathioudo”). Le laborantin
de l'hôpital souligne, par ailleurs, l'existence du virus du sida
dans le sang donné par la plupart des accompagnateurs. Ces derniers,
malheureusement, ne reviennent jamais pour prendre connaissance
des résultats des tests. “Dans ce cas, a-t-il dit, la chaîne de
transmission du sida demeure permanente et rapide au sein de la
population”. Conscients de cet état de fait, les techniciens du
laboratoire de l'hôpital ont mis en place une stratégie pour combler
la forte demande au niveau de cette structure sanitaire qui couvre
une superficie de 200 km2.
CRAINTE
DU DON DE SANG
Concernant
le don de sang, l’avis du vieil Amadou Kane, rencontré dans les
locaux de l'hôpital, explique l'ignorance de la population sur les
modes de transmission du VIH : “Jamais, je me présenterai au service
du laboratoire pour un prélèvement de sang. C'est très dangereux
et je ne vois pas combien on pourrait me payer pour vider mon sang
avec des aiguilles qui pourrait me transmettre le virus. Je peux
dire que seul mon fils aîné mériterait un tel geste”. Aux services
de la médecine, le Docteur Guèye tire, lui, la sonnette d'alarme.
Tous les cas suspectés sont des sujets avérés et dépistés dans d’autres
centres hospitaliers. “Mais ce qui est étonnant, c'est que les sujets
ne se présentent jamais devant moi avec leurs documents reçus dans
les autres hôpitaux où ils ont été testés. On dirait qu'ils sont
revenus au bercail pour mourir. Et quand nous ordonnons leur évacuation
sur Dakar ou St-Louis, ces malades préfèrent retourner au village
et y attendre la mort”. Certains sont reçus dans les salles d'hospitalisation,
mais, selon Docteur Guèye, faute de médicaments, ils sont mis sous
antibiotique avec en supplément, du fer poly-vitaminé, avant leur
évacuation vers Dakar, afin qu’ils bénéficient de soins plus spécifiques.
A
ce sujet, le médecin de l'hôpital dit n'avoir jamais bénéficié de
formation en trithérapie. Il affirme également tout ignorer du programme
de lutte contre le sida. “Depuis que je suis à Ourossogui, nous
a-t-il confié, je n'ai jamais entendu parler de campagne de sensibilisation
sur le sida. J'ai l'impression que les autorités ne sont pas informées
de ce qui se passe dans cette région. Nous sommes en retard sur
la prise en charge des malades du SIDA par rapport aux autres régions
du pays”. Malgré une forte prévalence, l'hôpital ne dispose d'aucun
médicament. Je précise à nouveau que les 4 malades du SIDA qu'on
enregistre par semaine ne sont que la partie visible de l’iceberg.
Si on entre dans cet hôpital et qu'on ne retrouve même pas de préservatif,
on a tendance à imaginer que le SIDA n'est pas un problème de santé
publique”.
Au
sein de la population, les règles élémentaires de lutte contre le
sida ne sont pas connues de tous, révèle le jeune Silou Cissé, demeurant
à Matam. “Jusque-là, nous croyions que le SIDA ne pouvait être transmis
que par le sang. Les femmes, de leur côté, pensent que le préservatif
masculin n'est qu'un moyen d'éviter les grossesses indésirées. Cela
prouve que l'information et la sensibilisation font défaut dans
cette zone de forte émigration ”. De l'avis des techniciens de la
santé, l'émigration est jusque-là une des causes principales de
la forte prévalence du SIDA au Fouta. En effet, dans les années
70, période de la grande sécheresse, beaucoup d’individus dans la
force de l’âge avaient migré d’abord vers d’autres villes, vers
Dakar, avant de partir en direction de l’Europe ou d’autres pays
du continent africain (Ex Zaïre, Gabon, Côte d’Ivoire, Congo, etc.)
L’ÉMIGRATION,
PORTE D’ENTRÉE DE VIRUS
Après
plusieurs années passées à l’étranger, certains émigrés porteurs
du virus du SIDA, de retour au bercail, se sont mariés et ont infecté
leurs épouses. A ce propos, le Dr Guèye va plus loin : “de nombreux
hommes sont infectés par le VIH et, sans se soucier de l’existence
de tests de dépistage, des parents ont ordonné le mariage de leurs
jeunes filles qui ignorent totalement l'état de santé de leur nouvel
époux. Au cours de ces 10 dernières années, la polygamie a aussi
beaucoup contribué à la propagation de l’infection à VIH. J'ai reçu,
à plusieurs reprises, des malades du SIDA mariés à quatre femmes.
Imaginez qu'à leur retour dans leur pays d'accueil, ils laissent
souvent derrière eux des épouses enceintes, dont les bébés viendront
au monde, infectés ”.
Dans certaines localités du sud du Fouta, certaines personnes revendiquent
désormais les tests de sang avant le mariage. C’est le cas à Ndendory
où une femme, A.T., qui a perdu son mari, décédé après son retour
au pays. A. T. devait se marier avec Moussa S., émigré, en vacances
au pays. Interrogée sur sa demande, la dame s'est contentée de nous
confier : “il y a une maladie sexuelle qu’on appelle le SIDA qui
tue en Afrique centrale et que les émigrés ramènent au Sénégal,
alors qu'on ne la connaissait pas chez nous. C'est pourquoi, après
le décès de mon mari, je me suis rendue à l'hôpital en cachette
pour effectuer le test. Mon résultat était négatif. C'est une chance
que je voulais préserver, car je n’avais aucune information sur
celui qui demandait ma main, bien qu'il fût un homme riche. Je sais,
aujourd'hui, qu'il est séropositif. Je remercie Dieu de m'avoir
donné une chance ”.
Pour
le sujet qui s'était rendu à Dakar pour la confirmation de son résultat,
il ne s'est pas dit surpris : “deux mois avant mes vacances, je
suis resté 2 semaines au lit. Je ne savais pas ce qui m'arrivait.
Un jour de lundi, je suis allé dans une clinique centrafricaine.
Le docteur m'a seulement dit ceci : “vous avez une maladie gênante,
mais vous pouvez continuer votre travail, car cela va vous gêner
avec vos collègues. A la fin de l'opération, il m'a remis une carte
et m'a ordonné de me rendre dans un hôpital situé non loin de la
capitale. Ce que je n’avais pas fait. Aujourd'hui, ce qui me tracasse,
c'est que je ne sais pas, depuis quelques années que je porte le
virus, si certains de mes enfants sont infectés. Je suis désolé
pour mes trois premières épouses, mais je crois que je leur dirai
la vérité grâce à l'aide de l'imam de la mosquée de mon village”.
VIE DURE ET LONGUES ABSENCES DU MARI…
L’émigration,
avec l’argent qu’elle draine et aussi les longues absences du mari,
a également fait le lit à une prostitution “cachée” de femmes mariées.
Certaines de ces femmes, infestées, allongent la chaîne de transmission
du SIDA. Un phénomène sur lequel insiste le médecin généraliste
de l'hôpital de Ourossogui : “des émigrés restent pendant 6 à 10
ans à l'étranger sans envoyer de mandats à leur épouse, car, il
faut le dire, la vie est souvent très dure à l'étranger”. Si des
cas de prostitution clandestine sont très fréquents dans les grandes
villes comme Ourossogui, Matam, Thilogne, Kanel, Semmé, ce n’est
pas le cas à Aouré, où les populations ont mis fin au lévirat et
au sororat Au district sanitaire, il faut dire que, contrairement
à l'hôpital, des actions de sensibilisation ont été menées en rapport
avec Alliance nationale de lutte contre le sida (ANC). Des agents-relais
ont été formés pour véhiculer le message. Malgré cela, l'obtention
de préservatifs demeure toujours un casse-tête pour les gens. En
dehors de la seule pharmacie qui ferme ses portes à 21h, il n'y
a que les boutiques qui vendent les capotes à 150 F l'unité. Ce
qui fait dire à Mamadou Bâ, lycéen : “on dirait que la forte prévalence
ne préoccupe pas les autorités.
En
effet, comment peut-on connaître les ravages de cette maladie au
Fouta et ne pas réagir pour soulager les populations”. Quant à l'administration
de l'hôpital de Ourossogui, son directeur, inquiet, espère qu'avec
la régionalisation de Matam, les pouvoirs publics voleront au secours
de cette structure sanitaire, la plus importante et la seule de
la région de Matam. Il nous apprend que deux assistantes sociales
chargées du councelling sont en service depuis quelques jours. Pour
M. Seck, le renforcement des capacités en matière de sensibilisation
et de prise en charge des malades du SIDA reste une priorité. ALY
BANDEL NIANG
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l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=15545&index__edition=9627
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