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Lutte contre le sida: Alerte rouge à Matam - Le soleil - Sénégal - 06/07/02

L'hôpital d'Ourossogui, situé dans la région de Matam dépiste chaque semaine 4 nouvelles personnes infectées par le VIH. Ceci montre l’acuité de l’épidémie dans cette zone. Depuis quelques années, l'infection à VIH/Sida constitue un véritable problème de santé publique. Selon les chiffres recueillis au niveau des structures sanitaires, la situation est alarmante dans la nouvelle région de Matam, une zone qui ne semble pas jusqu’à aujourd’hui touchée par les multiples campagnes de sensibilisation. En effet, dans la ville de Ourossogui, la plus commerciale de la région, aucune action concrète dans le domaine de la prévention n'a été menée depuis trois longues années. Dans une zone peuplée d'une population très ancrée dans ces traditions, la maladie du SIDA est toujours concédée au destin et est réservée à certains hommes “libertins”.

Mieux encore, le SIDA y est perçu comme une maladie du “diable” impossible à guérir, n'ayant aucun rapport avec le sang et encore moins avec le rapport sexuel, comme le confirment les techniciens de la santé publique. Une décennie après l’enregistrement de certains cas dans la zone nord du pays, la situation est aujourd'hui plus qu'inquiétante. A l'hôpital régional de Ourossogui, trois à quatre malades du SIDA sont reçus chaque semaine. Et mieux encore, selon une étude réalisée sur place, la prévalence de l’infection à VIH représenterait 5 % de la population de la région de Matam.

Malgré l’ampleur de cette épidémie et le nombre de plus en plus élevé de malade avérés, cette structure sanitaire est de moins en moins lotie en moyens médicaux pour prendre en charge des malades qui, après quelques jours d’observation dans les services de l'hôpital, sont envoyés par la suite vers Dakar, où ils suivront un traitement. Jusque-là, l'hôpital de Ourossogui ne dispose d'aucun médicament ARV et n’a que peu de produits pour les infections opportunistes, alors que le sida y fait de nombreuses victimes.

INQUIETUDE DES AUTORITÉS SANITAIRES

La forte propagation de l’infection à VIH a fini de susciter une grande inquiétude chez les autorités sanitaires de la région. Le directeur de l'hôpital, M. Seck, ne cache pas son amertume : “Ce qui se passe dans le Fouta est extraordinaire. Je n'ai jamais connu une zone avec autant de malades du SIDA. Ce qui est plus étonnant, c'est qu'il n'y a jamais eu de soutien de la part de ceux qui ont en charge les différents programmes de lutte contre le SIDA. Depuis que je suis à la tête de cet hôpital, je ne peux pas vous dire le nombre de cas détectés chaque jour dans nos services. On dirait que la population ignore encore qu’on peut éviter de contracter le virus ”.

Certaines ASC ont bénéficié de financements pour mener des activités dans le domaine de la prévention. L’impact de leurs interventions ne semble pas très important si l’on considère la réaction des responsables du laboratoire de l'hôpital. Selon l'un d'eux, M. Sagat Wadji , “depuis qu'on a commencé à parler du sida, le nombre de donneurs de sang a baissé. Pour beaucoup de personnes, on risque de se faire contaminer en donnant son sang. Cela donne une idée du déficit d’information sur le SIDA dans la région. Devant les cas urgents, nous sommes obligés de faire appel aux services du camp militaire pour sauver des patients. A cela s'ajoute l’importance du rôle joué par ces croyances traditionnelles.

Beaucoup d’habitants de Fouta estiment que le sang de “nobles” ( ”Torodo”) ne doit pas être transfusé à un “esclave” (“Mathioudo”). Le laborantin de l'hôpital souligne, par ailleurs, l'existence du virus du sida dans le sang donné par la plupart des accompagnateurs. Ces derniers, malheureusement, ne reviennent jamais pour prendre connaissance des résultats des tests. “Dans ce cas, a-t-il dit, la chaîne de transmission du sida demeure permanente et rapide au sein de la population”. Conscients de cet état de fait, les techniciens du laboratoire de l'hôpital ont mis en place une stratégie pour combler la forte demande au niveau de cette structure sanitaire qui couvre une superficie de 200 km2.

CRAINTE DU DON DE SANG

Concernant le don de sang, l’avis du vieil Amadou Kane, rencontré dans les locaux de l'hôpital, explique l'ignorance de la population sur les modes de transmission du VIH : “Jamais, je me présenterai au service du laboratoire pour un prélèvement de sang. C'est très dangereux et je ne vois pas combien on pourrait me payer pour vider mon sang avec des aiguilles qui pourrait me transmettre le virus. Je peux dire que seul mon fils aîné mériterait un tel geste”. Aux services de la médecine, le Docteur Guèye tire, lui, la sonnette d'alarme. Tous les cas suspectés sont des sujets avérés et dépistés dans d’autres centres hospitaliers. “Mais ce qui est étonnant, c'est que les sujets ne se présentent jamais devant moi avec leurs documents reçus dans les autres hôpitaux où ils ont été testés. On dirait qu'ils sont revenus au bercail pour mourir. Et quand nous ordonnons leur évacuation sur Dakar ou St-Louis, ces malades préfèrent retourner au village et y attendre la mort”. Certains sont reçus dans les salles d'hospitalisation, mais, selon Docteur Guèye, faute de médicaments, ils sont mis sous antibiotique avec en supplément, du fer poly-vitaminé, avant leur évacuation vers Dakar, afin qu’ils bénéficient de soins plus spécifiques.

A ce sujet, le médecin de l'hôpital dit n'avoir jamais bénéficié de formation en trithérapie. Il affirme également tout ignorer du programme de lutte contre le sida. “Depuis que je suis à Ourossogui, nous a-t-il confié, je n'ai jamais entendu parler de campagne de sensibilisation sur le sida. J'ai l'impression que les autorités ne sont pas informées de ce qui se passe dans cette région. Nous sommes en retard sur la prise en charge des malades du SIDA par rapport aux autres régions du pays”. Malgré une forte prévalence, l'hôpital ne dispose d'aucun médicament. Je précise à nouveau que les 4 malades du SIDA qu'on enregistre par semaine ne sont que la partie visible de l’iceberg. Si on entre dans cet hôpital et qu'on ne retrouve même pas de préservatif, on a tendance à imaginer que le SIDA n'est pas un problème de santé publique”.

Au sein de la population, les règles élémentaires de lutte contre le sida ne sont pas connues de tous, révèle le jeune Silou Cissé, demeurant à Matam. “Jusque-là, nous croyions que le SIDA ne pouvait être transmis que par le sang. Les femmes, de leur côté, pensent que le préservatif masculin n'est qu'un moyen d'éviter les grossesses indésirées. Cela prouve que l'information et la sensibilisation font défaut dans cette zone de forte émigration ”. De l'avis des techniciens de la santé, l'émigration est jusque-là une des causes principales de la forte prévalence du SIDA au Fouta. En effet, dans les années 70, période de la grande sécheresse, beaucoup d’individus dans la force de l’âge avaient migré d’abord vers d’autres villes, vers Dakar, avant de partir en direction de l’Europe ou d’autres pays du continent africain (Ex Zaïre, Gabon, Côte d’Ivoire, Congo, etc.)

L’ÉMIGRATION, PORTE D’ENTRÉE DE VIRUS

Après plusieurs années passées à l’étranger, certains émigrés porteurs du virus du SIDA, de retour au bercail, se sont mariés et ont infecté leurs épouses. A ce propos, le Dr Guèye va plus loin : “de nombreux hommes sont infectés par le VIH et, sans se soucier de l’existence de tests de dépistage, des parents ont ordonné le mariage de leurs jeunes filles qui ignorent totalement l'état de santé de leur nouvel époux. Au cours de ces 10 dernières années, la polygamie a aussi beaucoup contribué à la propagation de l’infection à VIH. J'ai reçu, à plusieurs reprises, des malades du SIDA mariés à quatre femmes. Imaginez qu'à leur retour dans leur pays d'accueil, ils laissent souvent derrière eux des épouses enceintes, dont les bébés viendront au monde, infectés ”.

Dans certaines localités du sud du Fouta, certaines personnes revendiquent désormais les tests de sang avant le mariage. C’est le cas à Ndendory où une femme, A.T., qui a perdu son mari, décédé après son retour au pays. A. T. devait se marier avec Moussa S., émigré, en vacances au pays. Interrogée sur sa demande, la dame s'est contentée de nous confier : “il y a une maladie sexuelle qu’on appelle le SIDA qui tue en Afrique centrale et que les émigrés ramènent au Sénégal, alors qu'on ne la connaissait pas chez nous. C'est pourquoi, après le décès de mon mari, je me suis rendue à l'hôpital en cachette pour effectuer le test. Mon résultat était négatif. C'est une chance que je voulais préserver, car je n’avais aucune information sur celui qui demandait ma main, bien qu'il fût un homme riche. Je sais, aujourd'hui, qu'il est séropositif. Je remercie Dieu de m'avoir donné une chance ”.

Pour le sujet qui s'était rendu à Dakar pour la confirmation de son résultat, il ne s'est pas dit surpris : “deux mois avant mes vacances, je suis resté 2 semaines au lit. Je ne savais pas ce qui m'arrivait. Un jour de lundi, je suis allé dans une clinique centrafricaine. Le docteur m'a seulement dit ceci : “vous avez une maladie gênante, mais vous pouvez continuer votre travail, car cela va vous gêner avec vos collègues. A la fin de l'opération, il m'a remis une carte et m'a ordonné de me rendre dans un hôpital situé non loin de la capitale. Ce que je n’avais pas fait. Aujourd'hui, ce qui me tracasse, c'est que je ne sais pas, depuis quelques années que je porte le virus, si certains de mes enfants sont infectés. Je suis désolé pour mes trois premières épouses, mais je crois que je leur dirai la vérité grâce à l'aide de l'imam de la mosquée de mon village”.

VIE DURE ET LONGUES ABSENCES DU MARI…

L’émigration, avec l’argent qu’elle draine et aussi les longues absences du mari, a également fait le lit à une prostitution “cachée” de femmes mariées. Certaines de ces femmes, infestées, allongent la chaîne de transmission du SIDA. Un phénomène sur lequel insiste le médecin généraliste de l'hôpital de Ourossogui : “des émigrés restent pendant 6 à 10 ans à l'étranger sans envoyer de mandats à leur épouse, car, il faut le dire, la vie est souvent très dure à l'étranger”. Si des cas de prostitution clandestine sont très fréquents dans les grandes villes comme Ourossogui, Matam, Thilogne, Kanel, Semmé, ce n’est pas le cas à Aouré, où les populations ont mis fin au lévirat et au sororat Au district sanitaire, il faut dire que, contrairement à l'hôpital, des actions de sensibilisation ont été menées en rapport avec Alliance nationale de lutte contre le sida (ANC). Des agents-relais ont été formés pour véhiculer le message. Malgré cela, l'obtention de préservatifs demeure toujours un casse-tête pour les gens. En dehors de la seule pharmacie qui ferme ses portes à 21h, il n'y a que les boutiques qui vendent les capotes à 150 F l'unité. Ce qui fait dire à Mamadou Bâ, lycéen : “on dirait que la forte prévalence ne préoccupe pas les autorités.

En effet, comment peut-on connaître les ravages de cette maladie au Fouta et ne pas réagir pour soulager les populations”. Quant à l'administration de l'hôpital de Ourossogui, son directeur, inquiet, espère qu'avec la régionalisation de Matam, les pouvoirs publics voleront au secours de cette structure sanitaire, la plus importante et la seule de la région de Matam. Il nous apprend que deux assistantes sociales chargées du councelling sont en service depuis quelques jours. Pour M. Seck, le renforcement des capacités en matière de sensibilisation et de prise en charge des malades du SIDA reste une priorité. ALY BANDEL NIANG

Lire l'article original : www.lesoleil.sn/archives/article.CFM?articles__id=15545&index__edition=9627

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