De
nombreuses cotisations faites chaque semaine pour venir en aide
aux Ivoiriens vivant en France lorsqu’ils perdent leurs parents
en Côte d’Ivoire ont amené la Confédération des associations des
Ivoiriens à penser à la prévention. Et la mutuelle Medirex France
est née.
•
La genèse de Medirex France se confondrait avec la création de la
confédération des associations d’Ivoiriens en France que vous dirigez.
Parlez-nous en ?
- Il y a que nous avons remarqu’en tant que Ivoirien vivant en France
qu’il existe beaucoup d’associations de villages, de régions. Et
chaque fois qu’il y a des événements heureux ou malheureux dans
une communauté, les autres n’y vont pas. D’où l’idée qui m’a animé
de regrouper les associations. J’ai réussi donc à regrouper 35 associations
d’Ivoiriens. J’ai commencé d’abord par les régions dont je suis
originaire, c’est-à-dire Adzopé, Anyama, Alépé. Car pour commencer
une telle œuvre il faut balayer d’abord devant sa maison. Et quand
ils ont vu qu’au niveau de ce regroupement associatif dénommé la
CARA (Confédération des associations des régions attié) qui comprenait
les 3 A (Agboville, Adzopé, Anyama), toute cette région du Sud-Est
de la Côte d’Ivoire, donnait de très bons résultats, les autres
ont adhéré. Et à partir de ce moment-là on a recensé pratiquement
tout le monde. Car pour pouvoir envoyer des convocations aux gens,
il fallait leurs adresses, un numéro de téléphone. Cela nous a permis
effectivement de connaître tout le monde.
•
Que recherchiez-vous à travers ce regroupement ?
- C’est que les regroupements par région de ressortissants de villages
n’étaient pas faits dans le sens de l’unité nationale. Il fallait
un seul regroupement pour faire un mélange à l’image de la Côte
d’Ivoire. Mais j’ai travaillé dans le mouvement associatif pendant
une quinzaine d’années avant de faire le regroupement qui est intervenu
en 1996. Un premier président a été élu. Le mandat étant de trois
ans, en 1999, j’ai pris les rênes du regroupement. Mon objectif
était de faire connaître la confédération en dehors de la communauté
ivoirienne, c’est-à-dire par les autorités notamment en Côte d’Ivoire.
Je remercie au passage l’ambassadeur Jean Marie Kacou Gervais qui
m’a beaucoup aidé à faire connaître cette confédération au-delà
même de la France.
• Et qu’est-ce que vous faites pour être connus au-delà de la France
?
- Nos activités importantes se résument au soutien mutuel.. Lorsque
par exemple un Ivoirien décède ici en France, nous devons rapatrier
son corps en Côte d’Ivoire. L ’ambassadeur de l’époque nous a reçus
pour nous faire comprendre que la Côte d’Ivoire ne peut plus rapatrier
les corps de ses ressortissants. Il fallait qu’on se prenne en charge,
qu’on trouve une société de pompes funèbres à coûts réduits, qu’on
signe des contrats pour que lorsqu’un frère décède on puisse faire
face aux charges liées au décès. Nous avons décidé de ne jamais
enterrer un Ivoirien à l’extérieur. Donc lorsqu’il y a un décès,
on se retrouve, on loue une salle et le soir on fait la collecte.
On a souvent des sommes assez importantes qui nous permettent non
seulement de payer le rapatriement du corps, le transfert jusqu’au
village, la sépulture, mais aussi de soutenir la veuve par exemple
restée ici. Si c’est un Ivoirien de Tiassalé par exemple qui décède,
nous demandons à quelqu’un de Bouna d’accompagner le corps, pour
prouver aux parents que c’est l’unité nationale en France. Il s’agit
de donner l’exemple au pays pour que les divisions se taisent. Nous
payons le billet d’avion de la veuve ou du veuf, des enfants afin
qu’ils accompagnent le corps. Nous payons le loyer de la veuve pour
un, deux voire trois ans et préparons la rentrée scolaire des enfants.
Voilà un peu des exemples concrets de nos activités.
•
Le point fort de la confédération semble l’organisation de funérailles,
les rapatriements de corps mais que fait-elle en cas de maladie,
d’un membre de sa famille au pays ?
-
C’est cette situation qui a conduit à la création de Medirex France.
La confédération nous a donné d’autres responsabilités puisqu’on
a élargi la plate-forme. Un frère vous appelle et dit que sa mère
est décédée. Vous allez vous retrouver, vous cotiser et cela indépendamment
des décès ici en France. C’était devenu lourd. On a décidé de réfléchir
sérieusement à la question. On a constitué des commissions pour
mener cette réflexion. Parmi celles-ci la commission sociale. On
s’est dit qu’avec la masse d’argent collectée ici à chaque annonce
de décès au pays, si on peut trouver des cliniques là-bas pour soigner
nos parents, cela permettrait de prolonger la vie de ces vieilles
personnes. Aussi M. Akobé Séraphin, l’actuel directeur financier
de Medirex ingénieur des travaux publics de formation, avait une
société qui construit des maisons au pays. Donc il faisait souvent
des voyages entre la France et la Côte d’Ivoire. Comme il faisait
partie de la commission sociale, il a été chargé de tâter le terrain
lors d’un de ces voyages pour voir la faisabilité de la chose sur
le terrain. Il est donc allé rencontrer des patrons de cliniques
à Abidjan mais la plupart n’ont pas voulu recevoir ou n’ont pas
trouvé intéressant notre projet, sauf le président directeur général
de la Pisam, le Professeur William Djibo à qui nous disons merci.
Cette rencontre a été très importante pour nous, elle nous a galvanisés.
Akobé est revenu d’Abidjan avec des dépliants que nous avons améliorés
par la suite. On a vu la sécurité sociale en France pour nous aider,
la Banque de France également.
• Comment êtes-vous passés de ces dépliants à la matérialisation
du projet ?
- A son retour, lorsqu’on a vu que l’idée intéressait au moins une
clinique à Abidjan, la Pisam, nous avons convoqué des réunions dans
la communauté ivoirienne qui a montré son intérêt. Il fallait donc
passer à l’étape suivante. Mais on n’avait pas d’argent. Il fallait
monter un dossier. On a été voir M. Pierre Delma qui est le président
de la Mutualité française à qui nous disons aussi merci. Il nous
a conseillé de déposer nos dossiers à la Banque fde France et que
si on n’avait pas un passé chargé, elle nous attribuerait ce qu’on
appelle un numéro national d’émetteur. On a suivi son conseil et
quatre mois après, nous avons eu ce numéro qui nous permettait de
faire des prélèvements bancaires sur d’éventuels adhérents avec
bien sûr leur consentement. Les 1er adhérents au début de Medinex
France en novembre 1998 étaient au nombre de huit. On avait collecté
en gros 210.000 F CFA, et c’était 160.000 pour l’adhésion par personne.
Pour un départ il ne fallait pas appliquer des tarifs élevés car
il fallait créer la confiance entre nous les Ivoiriens en France.
Ils avaient tellement été grugés qu’ils étaient méfiants. Il ont
dit qu’on allait prendre leur argent et retourné au pays. Donc il
ne fallait pas des tarifs élevés si on voulait avoir des adhérents.
La Pisam a accepté de soigner au début les 1ers parents avec ses
fonds propres avant que les cotisation ne rentrent. Et les 1ers
parents qui ont été reçus à la Pisam ont fait la publicité pour
nous en envoyant des cassettes à leurs enfants en France. C’est
avec ces casettes reproduites que nous sommes allés chercher de
nouveaux adhérents.
•
Quel bilan faites-vous, 4 ans après ?
- Il ne peut pas avoir une activité qui au départ soit irréprochable.
Nous commettons des erreurs, mais l’essentiel, c’est d’être conscients
de ces erreurs pour pouvoir les corriger. Et c’est ce que nous faisons.
Aujourd’hui Medirnex France a ses propres médecins, assistants qui
prennent en charge les parents, les conduisent dans les salles d’examens.
Une maman qui arrive du village ne sait pas comment s’orienter dans
un établissement comme la Pisam. Donc nous avons du personnel qui
s’occupe des parents, leur téléphone pour leur rappel d’examen,
etc. Ce sont des petites choses mais qui mises bout à bout qui font
qu’on peut avoir une révolution.
• Quels sont vos projets ?
-
Pour l’avenir, nous pensons qu’il faut conventionner au maximum
des cliniques à l’intérieur du pays pour éviter les déplacements
longs et épuisants aux parents. Mais il aurait fallu commencer quelque
part. Quand un enfant naît, on lui donne le temps de s’asseoir,
d’aller à quatre pattes et de marcher. C’est ce que nous avons fait.
Maintenant après quatre ans nous pensons qu’il faut ouvrir à l’intérieur
du pays, aller voir des cliniques qui sont équipées, voir leur plateau
technique à Bouaké, à Ferké, à Man, à Korhogo, à Daloa, à San-Pedro,
etc. C’est ce que dans les mois à venir précisément à partir du
mois de septembre, nous allons nous atteler à faire. D’ailleurs,
sans même avoir commencé cette étape des cliniques nous appellent,
nous écrivent pour des conventionnements. Notre vœu le plus cher
pour l’avenir de Medirex est que les Ivoiriens y adhèrent nombreux.
Et que les autorités nous permettent aussi d’exercer cette activité
en Côte d’Ivoire pour que nos frères puissent mettre leurs familles
en sécurité. C’est notre rêve.
•
D’autres communautés africaines vivant en France semble-t-il sont
intéressées par le projet ?
- Bien sûr. C’est vrai que le concept qui consiste à payer une cotisation
en France et que le parent qui est au pays bénéficie de soins jusqu’aux
produits pharmaceutiques sans rien débourser, est nouveau. Mais
nous ne pouvons pas le confisquer. Nous sommes obligés de le faire
partager d’ouvrir. C’est ainsi que nous avons eu des appels de pied
de nos frères du Sénégal, du Mali. Nous avons un brevet, mais nous
mettrons Medirex à la disposition de l’Afrique.
Interview réalisée à paris par B. ZÉGUÉLA
·
Repères *80% des Ivoiriens vivant en France et qui cotisent pour
la santé de leurs parents sont des femmes. *En février 1999, la
mutuelle enregistrait huit adhérents. En mars, un mois plus tard,
ce nombre est porté à 30. Fin 1999, elle amorçait son envol avec
2000 adhérents. Fin 2000, ce sont environ 3000 adhésions. A la date
du 5 juin dernier, 5193 Ivoiriens ou personnes vivant en France
payaient pour les soins de leurs parents vivant en Côte d’Ivoire.
Soit 193 en plus depuis la conférence de mars. *En 2000, sous la
transition, Medirex France a été menacé de disparition parce que
des patrons de clinique se sont plains de ce que la PISAM a créé
une mutuelle. Il a fallu que MM. Assi et Akobé prouve, avec des
documents à l’appui, que c’est une affaire créée par des Ivoiriens
vivant en France. Et que la PISAM n’est que partenaire. *Une souscription
à Medirex France permet aux bénéficiaires de recevoir des soins
d’une valeur de 2,5 millions par an. *Contre la fraude, les abus
de confiance, Medirex France a développé un logiciel de gestion
des assurés sociaux dénommé Pgas. Aujourd’hui, on en est à la version
4. Ce progiciel permet de contrôler les paiements par les adhérents,
de faire les suspensions, les radiations et de contrôler les consommations
de médicaments et autres. *Les Ivoiriens de l’Ouest représentent
environ 50% des adhérents de la mutelle.
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l'article original : www.fratmat.co.ci/story.asp?ID=11952
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